Si vous avez du mal à terminer le premier jet de votre manuscrit, que vous êtes perdu dans un acte intermédiaire sans but ou une conclusion terne ?
Votre manuscrit est-il d’une fadeur inquiétante, dépourvu d’un fil narratif fort pour attirer les lecteurs du point A au point B ? Auteurs et autrices, il est temps de faire tourner le moteur narratif de votre histoire…
Le moyen le plus sûr de faire avancer votre intrigue est de donner à vos personnages des objectifs qu’ils sont motivés à atteindre. Opposez les objectifs de vos personnages les uns aux autres (ou à leurs besoins personnels), et vous créerez un conflit délicieusement captivant qui passionnera vos lecteurs.
Mais comment développer des objectifs qui servent efficacement ses personnages et son histoire ? Est-il même nécessaire de donner un objectif à chaque personnage, d’ailleurs ? Approfondissons ce sujet.
L’objectif au cœur du conflit
Le moteur narratif d’une histoire est la force qui donne de l’élan à son intrigue, en faisant progresser les personnages à chaque acte avec clarté et direction. Cette force est le conflit central d’une histoire, la question dramatique qui maintient les lecteurs engagés du début à la fin.
Par exemple, Hercule Poirot découvrira t-il qui a tué Ratchett dans cet Orient Express ?
En fiction, les objectifs des personnages majeurs servent de catalyseur pour déclencher ce moteur narratif intégral. Avec des objectifs narratifs solides, le conflit n’arrive pas seulement à vos personnages ; vos personnages jouent un rôle actif dans sa création (et sa résolution).
Un personnage avec un objectif, c’est forcément du conflit à venir, donc vous avez une intrigue.
Seulement, l’élan, il faut pouvoir l’alimenter. Cela s’obtient par deux types de conflit : l’un est extérieur (le personnage doit accomplir quelque chose dans le monde), l’autre est intérieur (le personnage doit résoudre ce qui fait défaut en lui).
Le conflit externe se produit lorsqu’un personnage lutte pour atteindre son objectif en raison de l’opposition d’une force extérieure, généralement un autre personnage. Poirot par exemple est empêché dans son investigation par le tueur de Rachett.
Lorsque le conflit central d’une histoire est de nature externe, la formule de l’intrigue peut alors être lue comme : Un personnage avec un objectif contre une opposition externe, c’est aussi une intrigue. C’est assez simple : le protagoniste veut quelque chose, l’antagoniste veut quelque chose et la confrontation qui s’ensuit crée un nécessaire conflit.
Mais lorsque l’intrigue tourne autour du personnage, c’est-à-dire lorsque la question dramatique porte sur un conflit personnel, l’objectif est alors plus délicat à élaborer.
Pourquoi les conflits internes peuvent brouiller les cartes des objectifs des personnages…
Plutôt que de faire face à une opposition externe, le conflit interne se produit lorsqu’un personnage lutte pour atteindre son objectif en raison d’une forme d’opposition interne : Dans N’oublie jamais, Allie lutte pour décider si elle va rester avec son riche et dévoué fiancé ou le quitter pour l’homme de la classe ouvrière dont elle est tombée amoureuse.
Le conflit interne d’Allie est assez simple. Elle souhaite avoir une relation avec Noah, mais les circonstances extérieures les séparent. Lorsque la vie les réunit à nouveau, Allie est fiancée à un autre homme, ce qui la place devant un choix difficile : est-elle prête à décevoir son fiancé et à risquer la désapprobation de ses parents pour épouser l’homme qu’elle aime vraiment ? C’est un cas de figure semblable qui préoccupe Kala dans Sense8.
En somme, ce qu’étudie le conflit interne, c’est le rapport à soi-même. La vie est une vie de relations. Nous sommes tout autant affectés par les autres que par nous-mêmes. Il faut apprendre à se dépasser et c’est là tout l’intérêt du conflit interne.
Se dépasser, ce serait par exemple vaincre ce qui nous retient d’aimer alors qu’on s’est convaincu pour de fausses raisons que l’on ne pouvait pas être aimé. Croire n’est pas une mauvaise chose lorsqu’elle est un choix sensé. Lorsque la croyance est imposé, il devient alors difficile d’être soi-même.
Comprendre l’objectif de son personnage
Pour déterminer des objectifs efficaces pour vos personnages, considérez la fin de votre histoire. Que voulez-vous que chaque personnage atteigne, expérimente ou réalise au moment où l’aventure se termine ? Vont-ils se débarrasser de leurs inhibitions et tomber amoureux ? Sauver la galaxie de l’invasion des extraterrestres ?
Réaliser la valeur du pardon ?
Pour découvrir la cause, considérez l’effet et établissez dès l’acte Un si cet effet est bien celui qui était recherché. Il y a aussi cette distinction à faire entre le désir et le besoin. On réalise un désir, on se réalise par le besoin. Le désir est superficiel : c’est ce qui se voit, se manifeste, la réalité en quelque sorte.
Le besoin, souvent un manque qu’il faut combler, est l’essence même de votre personnage. L’objectif sera donc double : un désir qui meut le personnage vers le climax (qui est la réponse à toutes les questions dramatiques que l’on a pu se poser jusqu’à maintenant) et la personne (fictive certes) qu’il ou elle est réellement et qu’il ou elle devra découvrir ou reconnaître.
Un récit, c’est rarement le récit d’un seul personnage. Donc plusieurs objectifs sont à prendre en compte.
Si l’objectif d’un personnage établi dès les premières pages de votre récit échoue sur le désir ou le besoin ou les deux à la fois (un personnage peut capituler sur le plan extérieur et néanmoins s’accomplir pleinement malgré l’échec de ses ambitions et d’autres fois, le triomphe extérieur ne fait que masquer son incapacité à aller à la rencontre de cet être qu’il désespérait pourtant de trouver) donc, si l’objectif ne correspond pas à cette finalité (désir et besoin) que vous avez en tête, demandez-vous pourquoi :
- Le personnage est-il un antagoniste qui ne parviendra pas à atteindre son objectif parce que le protagoniste y parvient ? En effet, c’est un peu à cela qu’on reconnaît le méchant de l’histoire : il est incapable de changer.
Si c’est le cas, identifiez d’abord l’objectif de votre protagoniste. En fiction, tout est conflit. Ce rapport à l’antagoniste est une source naturelle de conflits. Réfléchissez à l’objectif qui permettrait le mieux à votre antagoniste de créer ce conflit dans la nécessaire évolution de votre héros (une marche en avant que d’aucun nomme le Hero’s Journey). - Il se peut aussi que l’objectif initial soit une erreur, une illusion. Si c’est le cas, réfléchissez à ce que le personnage voulait à l’origine et aux nouvelles informations qui le conduiraient à adopter une mission alternative.
- Êtes-vous en train d’écrire une histoire centrée sur le personnage qui met en avant sa maturation personnelle et sa transformation ? Dans ce cas, réfléchissez à la peur ou à la fausse croyance qui pourrait initialement empêcher votre personnage de comprendre ce dont il a vraiment besoin, puis développez un objectif défini par ce mensonge intime.
Lorsque vous réfléchissez au genre d’histoire que vous allez écrire, vous devez avoir une idée générale des objectifs de vos personnages. Par exemple :
- Si vous écrivez une histoire d’amour, vos tourtereaux devront probablement surmonter leurs peurs et leurs fausses croyances avant de pouvoir s’avouer leur amour.
- Si vous écrivez un roman policier, votre protagoniste voudra probablement résoudre le meurtre tandis que vos personnages secondaires auront diverses raisons de cacher leur lien avec l’affaire.
- Si vous écrivez de la fantasy ou de la science-fiction, vos héros se lanceront probablement dans une quête pour vaincre un seigneur des ténèbres ou obtenir un objet magique qui changera leur vie.
Bien sûr, toutes les histoires ne sont pas aussi simples. Plus votre récit est littéraire, moins les objectifs de vos personnages peuvent être définitifs, car ce type de récit est défini par un commentaire social plutôt que par une intrigue.
Enfin, sachez que le développement des objectifs de vos personnages peut prendre beaucoup de votre temps. Il est normal d’identifier une version de base de cet objectif (par exemple, survivre à une situation) avant de l’affiner à mesure que vous développez d’autres aspects de votre histoire.
Renforcer l’objectif
Les objectifs de vos personnages peuvent être le catalyseur d’un conflit (la vie est une souffrance car les nécessaires relations qu’elle nous impose nous affectent. Nous sommes des êtres de passions et toutes ces passions individuelles souvent égoïstes se confrontent et sont douloureuses), mais les objectifs de votre histoire ne sont pas forcément aptes à alimenter les flammes de l’intrigue s’ils ne sont pas correctement développés. Qu’est-ce qui fait l’efficacité d’un objectif ?
Les ambitions, on en a à la pelle, mais une intention, un dessein ? Une intention (c’est-à-dire une volonté) incitent à une action définitive.
Il est difficile de faire naître un conflit à partir du désir d’un personnage de devenir par exemple une actrice. Mais si cette actrice en herbe se met au défi de trouver un engagement en trente jours ou d’abandonner cette ambition pour de bon, vous avez de quoi alimenter votre intrigue. Un des critères d’un objectif sera donc sa spécificité : à chaque personnage correspond un objectif précis.
Mais il faudrait aussi que cet objectif ait du sens. Les personnages qui ont des objectifs forts ont une vraie raison de les poursuivre. Un personnage est arc-bouté sur son objectif. Il faut pouvoir justifier en quoi cette motivation est si puissante ; comment et pourquoi existe t-elle ?
Les personnages risquent la mort pour vaincre le Seigneur des Ténèbres parce que leur village est en danger ; ils évitent leur nouveau voisin séduisant parce que leur dernier partenaire a ruiné leur estime de soi ; ils cachent leur sexualité parce que leurs parents les mettraient à la porte…
Le désir (dans le jargon de la théorie narrative Dramatica, le désir est assimilé au Story Goal) alimente le besoin (c’est-à-dire le conflit interne au personnage). Quel que soit le genre d’histoire que vous écrivez, un objectif bien développé permet ou entrave le développement personnel de votre personnage.
Sa quête pour détruire les envahisseurs extraterrestres l’oblige à devenir plus courageux et plus sûr de lui, ou sa détermination à se battre pour atteindre le sommet de l’échelle professionnelle le laisse seul et déprimé.
Dans les deux cas, les troubles émotionnels du personnage constituent le cœur de son récit personnel. C’est cette subjectivité mise à nu qui crée le lien humain qui donne aux lecteurs et lectrices une raison de s’intéresser à lui.
À la fin du premier acte, vos personnages auront des objectifs clairs sur lesquels ils ont déjà commencé à agir, ce qui entraîne les lecteurs plus profondément dans votre histoire.
L’immédiateté du besoin
Les personnages de fiction ne sont pas si différents des êtres humains qu’ils imitent. Il faut accepter cette noirceur baroque qui nous constitue. Cette métaphore facile dit que le fond de notre âme est tapissé de ces teintes en clair-obscur et que ce fond sombre nous tient à distance voire nous éloigne de ce que nous aspirons à être vraiment.
Dans la vie réelle, ce ténébrisme nous est difficilement accessible ou inconnu. Mais chez les personnages de fiction, le besoin et le désir doivent être immédiatement connus du lecteur/spectateur.
L’objectif devrait être rapidement connu du lecteur parce qu’il engendre de la tension dramatique. Il n’y a rien de bien excitant dans un personnage qui surmonte facilement un obstacle mineur pour atteindre un objectif simple. Des objectifs forts font que les lecteurs sont accrochés parce qu’ils comprennent ce qui est en jeu si le personnage n’atteint pas son objectif (ou s’il ne prend conscience de sa nature imparfaite). Plus important encore, la pression exercée sur vos personnages pour qu’ils atteignent leurs objectifs les pousse à agir, ce qui entraîne des conflits intéressants.
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