Une scène est l’unité minimale d’un récit, et probablement l’élément le plus important d’un scénario, car l’essentiel de l’impact émotionnel sur les lecteurs et les lectrices provient des scènes. L’expression la plus commune est la scène dramatique. Tout comme l’histoire dans laquelle elle s’inscrit, la scène dramatique est précisément dramatique parce qu’elle se nourrit d’un conflit.
Les scènes dramatiques sont les plus importantes dans un scénario, mais cela ne signifie pas que toutes les scènes doivent être dramatiques.
Les scènes d’exposition
Comme leur nom l’indique, ces scènes ont pour but de fournir des informations et donnent souvent le ton des scènes à venir, comme cette ouverture brûlante de La Fièvre’au Corps de Lawrence Kasdan.
Ce sont des scènes d’exposition parce qu’elles établissent le lieu ou le contexte (par exemple le manoir de la littérature gothique), ou cette scène d’ouverture de Blade Runner. Ce sont aussi des scènes de transition parce qu’elles sont souvent utilisées pour montrer le déplacement d’un personnage d’un lieu à un autre, comme cette carte lorsque Indiana Jones se rend en avion au Tibet dans Les Aventuriers de l’Arche perdue.
Quelle que soit leur appellation, les scènes d’exposition fournissent des informations au lecteur afin qu’il puisse comprendre le contexte d’une scène dramatique à venir. Le conflit n’est pas nécessaire. La scène d’exposition prépare l’acceptation par les lecteurs/spectateurs du conflit à venir. .
Les scènes d’exposition peuvent établir une époque dans un film d’époque, un cadre, un thème, ou le passage du temps (les métaphores sont souvent un bon outil narratif pour cette expression du temps).
Vous pouvez également les utiliser pour relâcher la tension, en marquant une pause entre deux scènes intenses afin que le lecteur puisse reprendre son souffle car laisser lecteurs et lectrices incessamment tendus risque de les lasser.
Toutes les scènes ne participent pas à la narration. Un récit, c’est une succession de moments ou d’événements qui sont significatifs dans l’explication ou la démonstration d’un message. Quand on a quelque chose à dire, il faut un support pour le poser. Une scène d’exposition est donc nécessaire si vous souhaitez qu’on vous comprenne.
D’autres scènes aussi ne participent pas au récit, ni à l’exposition, d’ailleurs. Elles seraient purement esthétiques comme dans E.T. et cette envolée des vélos contre la pleine lune, les avions de combat dans Top Gun ou les dinosaures de Jurassic Parc.
En fin de compte, ces scènes particulières nous hypnotisent et nous font oublier que nous regardons des images en mouvement sur un écran. Elles font partie du divertissement ou du sentiment esthétique comme un tableau d’un maître et nul besoin de conflit ici. S’il y a un conflit, nous avons une scène dramatique.
Les scènes dramatiques
Ces éléments sont au cœur de la narration. L’histoire est un drame ; par conséquent, le conflit est essentiel dans ces scènes. Ce sont les scènes qui changent un personnage, font évoluer l’intrigue dans une autre direction et produisent le plus d’impact émotionnel.
La longueur d’une scène dramatique n’a pas d’importance tant que vous la construisez en fonction de son impact sur le lecteur. Elle peut faire un quart de page ou huit pages. La plupart d’entre elles, cependant, font deux ou trois pages.
Une scène dramatique est une histoire en soi. Cela signifie qu’elle doit être structurée comme une histoire, avec un début, un milieu et une fin clairs et distincts, une question dramatique, une tension croissante et un point culminant (autrement dénommé climax), qui devrait mener le lecteur vers la scène suivante.
Une scène a une triple fonction : faire avancer l’histoire par le biais d’un conflit, révéler des couches psychologiques supplémentaires chez les personnages et, surtout, avoir un impact émotionnel sur le lecteur, qu’il s’agisse de créer une tension, de susciter la curiosité et l’anticipation, voire de le surprendre. Il ne faut jamais avoir une scène neutre. Neutre signifie ennuyeux.
Tout comme pour une histoire, la façon la plus simple d’envisager une scène est qu’un personnage veut absolument quelque chose et qu’il a du mal à l’obtenir. Comme vous l’avez déjà découvert, un objectif contre une opposition crée de l’anticipation et de la tension. Si la page 3, par exemple, crée de l’anticipation, le lecteur lira la page 4. Si la page quatre crée de la tension, il lira la page cinq, et ainsi de suite. Pour faire de votre scénario un page-turner, vous devez créer un impact émotionnel à chaque page de celui-ci, conseille Karl Iglesias.
Justifier une scène
Une scène se prépare. Il est important de prévoir tout ce qu’il doit se produire en son sein. Ce que chacun des personnages qu’elle met en scène ressent en ce moment singulier, à quel instant de l’action doit-elle commencer (le in media res, c’est-à-dire alors que l’action a déjà débutée, est très souvent conseillé) et quel est le signe qui indique qu’elle devrait se clore maintenant.
D’autres éléments interviennent aussi. Puisqu’elle se structure tout comme le récit classique avec un début, un milieu et une fin, le début concerne l’exposition, c’est-à-dire quelles sont les conditions qui rendent possible cette scène. Il y a aussi l’émotion qui devrait s’en dégager, c’est-à-dire quel effet cherchez-vous à obtenir chez vos lecteurs et vos lectrices ; Ce qui justifie aussi une scène, c’est le changement qu’elle opère au moins sur l’un des personnages qui y participe.
Révéler les personnages, c’est bien si la scène affecte aussi le lecteur à travers la tension, l’anticipation, l’humour ou la surprise. N’oubliez pas que le principe d’une scène dramatique, comme l’ensemble de l’histoire, est d’avoir un impact sur le lecteur. Si elle fait également progresser l’intrigue, ce qu’elle doit faire, et révèle un personnage, elle est tout à fait légitime. Mais ne négligez jamais l’impact émotionnel d’une scène.
Considérez votre scénario comme un château de cartes, chaque scène est une carte. Si vous pouvez supprimer une scène et que le château est toujours debout, en d’autres termes, si l’histoire fonctionne toujours sans elle, cette scène n’a pas sa place dans votre scénario. Aucune scène ne doit servir à révéler un personnage ou à mettre en place des indices pour plus tard. Le Checkov’s Gun (introduire un élément, souvent un objet, dans une scène au cours de l’acte Un par exemple et s’en servir bien plus tard souvent pour sauver une situation apparemment perdue d’avance) s’inscrit dans une scène. Il ne sera pas une scène lui-même. Si un fusil est suspendu au mur au cours d’une scène d’exposition, alors il pourra servir par exemple au cours de l’acte Deux à se défendre contre un intrus alors que le personnage qui s’en sert n’a pas été décrit comme sachant manier une arme).
Un autre élément essentiel d’une scène est le lieu où elle se produit. Ce lieu peut grandement affecter le ton d’une scène. Une scène qui se déroule dans un parc ensoleillé ne procure pas la même sensation que ce même parc sous un ciel gris et menaçant (nous sommes d’ailleurs totalement passif dans cette sensation). Une grande ville ou une petite ville de campagne décriront deux contextes totalement différents. Un bar miteux ou un gentil restaurant créeront des ambiances différentes qui peuvent renforcer l’impact émotionnel global de la scène et servir aussi à donner des informations sur la personnalité des personnages.
Le lieu seul peut vous épargner des descriptions supplémentaires dont vous avez besoin pour créer une atmosphère différente et renforcer l’impact émotionnel global de la scène. Veillez simplement à choisir le bon endroit pour l’intention de la scène. Parfois, le fait de changer le lieu d’une scène lors de la réécriture est un excellent moyen de la transformer en quelque chose d’unique et d’inattendu, constate Karl Iglesias.
Les personnages de la scène
Une scène dramatique comprendra toujours au moins un personnage en conflit avec lui-même, un autre personnage, ou le monde naturel.
Le type le plus courant est le conflit entre deux personnages. L’un veut quelque chose et l’autre ne veut pas lui donner, ou lui barre la route vers son but, ou encore les deux personnages veulent la même chose. En tant qu’auteur et autrice, vous devez déterminer à qui appartient la scène, quel est le personnage qui la dirige ?
Dans chaque scène, le lecteur cherche un personnage auquel s’identifier afin de pouvoir vivre la scène de façon émotionnelle. Souvent, il s’agit du héros, mais cela ne veut pas dire que le protagoniste va régler toutes les scènes du scénario. Parfois, une scène appartiendra à l’antagoniste ou à un personnage secondaire dans une intrigue secondaire.
Ainsi, chaque scène dramatique avec deux personnages ou plus aura un personnage qui la dirigera et avec lequel le lecteur aura de l’empathie. Il s’agit généralement du personnage qui a un objectif clair et une stratégie active pour l’atteindre.
Si un personnage ne fait que réagir aux actions d’un autre personnage, il y a de fortes chances que ce ne soit pas sa scène. Par exemple, dans La Mort aux Trousses, lorsque Thornhill rencontre Vandamm pour la première fois après avoir été kidnappé, la scène appartient à Vandamm, même si Thornhill est le personnage principal et nous nous identifions à lui.
La raison en est que Vandamm contrôle la scène avec l’objectif clair de vouloir que « Kaplan » se confesse et révèle ses secrets, tandis que Thornhill ne cesse de protester qu’il n’est pas Kaplan et n’a aucune stratégie pour résoudre sa situation.
L’un des moyens de maintenir l’intérêt du lecteur est de veiller à ce que vos scènes suivent un schéma de cause à effet, rappelle Karl Iglesias (vous pourriez bien sûr ne pas en convenir). Lorsque vous organisez un événement dans une scène, le lecteur attend avec impatience son dénouement dans une autre scène. Cela fonctionne particulièrement bien avec les émotions des personnages. Par exemple, si un personnage découvre qu’il a été trahi, nous attendons avec impatience la scène où il affronte le traître car nous comprenons les émotions en jeu et anticipons le drame entre les deux personnages.
Soyez toujours conscient de ce qu’il est arrivé au personnage avant qu’il n’entre dans cette scène (un bon usage du In Media Res peut être utile). A-t-il perdu son emploi ? Est-il tombé amoureux ? Découvert un mensonge ? Le moment précédent donne souvent à un personnage un sentiment d’urgence et d’immédiateté dans son objectif actuel.
Une fois que vous avez déterminé la cause, cela vous donnera ses sentiments et ses attitudes actuelles, qui devraient être un critère pour le déroulement de la scène présente. Par exemple, s’il a perdu son emploi, il peut être déprimé, en colère, amer et frustré (ou heureux selon les circonstances), alors que s’il vient de tomber amoureux, il peut être plein d’espoir et euphorique, sans se soucier du monde.
Une question d’objectifs
La façon la plus simple de penser à une scène est qu’un personnage veut absolument quelque chose et a du mal à l’obtenir. Si ce qu’il veut est trop facile à obtenir, la scène ne sera pas dramatique. L’objectif est généralement le pourquoi d’une scène (le comment serait plutôt la condition de possibilité de cette scène), et la raison en est un désir immédiat (souvent le désir est un masque).
Interrogez les motivations de vos personnages dans une scène singulière. George Bernard Shaw a dit un jour que les intrigues portent en réalité sur la façon dont on négocie et crée des relations. Cette pensée rapporte la scène au personnage ce qui signifie que cette scène existe parce qu’il y a un personnage au cœur de la scène qui exige que cette scène existe et que plus le personnage est unique, plus les choix qu’il fera pour obtenir ce qu’il veut seront uniques.
En fait, les objectifs dans la plupart des scènes concernent les relations – l’amour, le pouvoir, le sexe, l’amitié, l’acceptation, une activité impliquant plusieurs personnages…, et parce qu’un objectif nécessite une réponse de la part d’un autre personnage dans la scène ou une scène ultérieure (parfois la réponse a eu lieu avant même la scène qui la provoque), la meilleure façon de le formuler est d’une manière qui implique cet autre.
Par exemple, plutôt que de dire que votre personnage veut un emploi dans une scène qui décrit l’entretien d’embauche, on pourrait le résumer ainsi : mon personnage veut que l’autre individu lui donne un emploi. Ainsi, le héros sera actif dans son objectif et l’autre personnage sera réactif, ce qui rend la scène plus intéressante.
Essayez également de formuler l’objectif avec des phrases affirmatives, positives. Par exemple, un personnage veut se marier pour fonder une famille, et non pour éviter la solitude. Un objectif positif est plus clair et plus fort que lorsqu’il s’exprime par la négation.
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Bonjour William et internautes Scénarmag, juste pour ajouter une jolie remarque de la cheffe du département scénario de Orion pictures lors d’une réunion de travail et révélée par Christopher Vögler, alors membre de l’équipe de scénaristes : « La scène est un contrat ».
Qu’elle débouche ou pas sur un accord, une fois la négociation (la confrontation) à son terme, la scène est bouclée (et on passe à la suivante).
Il en est de même d’ailleurs pour tout le film pour décider quand lancer le générique de fin et libérer le public (rassasié et admiratif).
Source non inventée : « Mémo à l’usage des scénaristes » co-écrit par Christopher Vögler et David McKenna (DIXIT).
Mine de rien, essayé et çà peut transformer et rebooster une scène en difficulté ou ressentie comme telle.