Force est de constater que l’intrigue secondaire est souvent mal comprise. L’intrigue secondaire est souvent définie comme une seconde ligne dramatique. Si cette définition n’est pas incorrecte, elle n’est pas non plus complète – et cette simplification excessive peut conduire auteurs et autrices à utiliser l’intrigue secondaire à mauvais escient, par exemple en allongeant ou en compliquant inutilement leur histoire dans le but d’obtenir une meilleure narration.
Si les intrigues secondaires peuvent rendre les histoires plus longues et plus complexes, elles devraient être néanmoins efficaces, c’est-à-dire soutenir l’intrigue principale plutôt que d’être autonomes et sans lien indirecte avec le tout.
Comme tout bon élément de l’histoire, l’intrigue secondaire doit servir un objectif narratif fort. Les intrigues secondaires les plus efficaces sont celles qui existent parce qu’elles sont nécessaires, car les supprimer reviendrait à créer un récit qui ne serait pas sincère, qui serait mal organisé ou qui ne serait pas résolu.
L’intrigue secondaire n’est pas seulement un accessoire de l’histoire, c’est un conflit secondaire qui découle des actions et des réactions des personnages lorsqu’ils s’engagent dans le conflit central de l’histoire.
Cette seconde intrigue (il pourrait aussi y avoir une troisième intrigue) est supposée être peuplée par des personnages secondaires, mais les événements survenant aux personnages du récit principal peuvent également engendrer des conflits secondaires avec un début, un milieu et une fin.
Quelle intrigue secondaire ?
Bien qu’un conflit secondaire, quelle que soit sa nature, puisse jouer un rôle important dans votre récit, la plupart des intrigues secondaires tendent à entrer dans l’une des catégories suivantes :
Un effet miroir
Un personnage secondaire vit un conflit qui reflète le dilemme principal du protagoniste, fournissant volontairement ou involontairement au protagoniste la perspective ou la motivation dont il a besoin pour résoudre son propre conflit.
Considérons que votre personnage principal est une femme qui a élevé seule son enfant. Parmi les personnages secondaires se trouvent son frère et sa belle-sœur. Ce couple est apparemment heureux mais l’intrigue secondaire dont ils sont les principaux personnages s’évertuera à démontrer les non-dits et les éventuelles dissensions du couple.
Ainsi, cette intrigue secondaire sert de contrepoint à la décision de votre personnage principal d’élever seule son enfant.
Un aspect romantique
La relation amoureuse du personnage principal compliquera la résolution de son problème. Dans Hunger Games, alors que Katniss et Peeta s’invente une romance (enfin davantage Katniss que Peeta) pour s’assurer de leur survie dans les jeux, une flamme naîtra néanmoins entre eux deux et les détournera de leur conflit principal avec le Capitol.
Cette intrigue secondaire ne fait pas avancer l’histoire mais la relation entre Peeta et Katniss devait être précisée et clarifiée. Elle était donc justifiée. Par contre, si vous écrivez une comédie romantique, l’intrigue amoureuse est au cœur du conflit. Elle ne peut donc servir d’intrigue secondaire.
L’intrigue parallèle
Une intrigue apparemment sans rapport avec l’histoire se déroule en parallèle jusqu’à ce que les deux entrent en résonance et se chargent mutuellement de significations. Par ailleurs, une intrigue secondaire montre aux lecteurs le conflit central de l’histoire à travers les yeux d’un personnage secondaire, présentant ainsi les deux faces d’une même histoire.
Une intrigue secondaire parallèle se mêle à l’entièreté du récit, montrant différents aspects de la même intrigue. Cela crée du suspense car le lecteur attend que les deux intrigues se rejoignent (comme dans Le Fugitif).
L’intrigue qui s’invite
Un problème que l’on rencontre parfois est de pousser l’intrigue secondaire dans l’espace principal où elle n’a pas sa place. La première règle des intrigues secondaires est qu’elles sont, par définition, subsidiaires à l’intrigue principale.
Une intrigue secondaire peut suivre la même ligne dramatique que l’histoire principale, mais avec quelque chose en plus. C’est quelque chose d’autre qui se met en travers de l’objectif. C’est quelque chose d’autre qui est souhaitable comme une condition de possibilité pour atteindre l’objectif.
Le plus souvent, votre protagoniste est le même. Ou c’est un mentor qui montre au protagoniste la bonne façon d’agir. Vous pourriez vous demander qui est une autre version du protagoniste ? Ou quel est le trait de caractère du personnage principal qui doit être renforcé ?
Quelle petite force pourrait finir par faire exactement la même chose que la force antagoniste, ce qui préparera le protagoniste à faire face à la vraie cause ? Quel objectif permettra au protagoniste de faire des progrès plus importants pour atteindre l’objectif réel ?
Luke Skywalker (le protagoniste) veut combattre l’empire (l’antagoniste) et faire quelque chose d’important, la bonne chose (c’est son désir).
Pour lui apprendre à le faire, il rencontre Obi Wan Kenobi (un Jedi, comme le Jedi que Luke deviendra) qui emmènera Luke affronter les storm troopers, les serviteurs subalternes de l’empire (les péons de la Force antagoniste), pour sauver la princesse Leia, qui est le cœur de la rébellion (c’est l’objectif de cette relation entre Obi Wan et Luke, une relation déplacée dans une intrigue secondaire).
C’est vraiment la même histoire, elle est juste encapsulée dans un espace plus petit, préparant Luke à un conflit plus important. Vous n’avez pas besoin d’un personnage secondaire ou d’un mentor si cela ne convient pas aux exigences de votre récit. Il n’est pas non plus nécessaire que l’antagoniste secondaire travaille pour l’ennemi.
Par ailleurs, on peut avoir tendance à placer ici une intrigue amoureuse. Le protagoniste doit faire la paix avec son futur amour, ce qui ajoute beaucoup de problèmes supplémentaires à l’intrigue, mais lui apprend aussi ce qu’il doit savoir pour se dépasser, ce qui est en fin de compte, sa vérité.
Un contraste
Un personnage secondaire connaît un dilemme similaire à celui du personnage principal mais s’efforce de résoudre le conflit d’une manière différente. Cela offre un contraste qui met en évidence les qualités et les caractéristiques du protagoniste.
Hamlet, Fortinbras et Laerte cherchent tous trois à venger la mort de leurs pères. Mais alors que Fortinbras et Laerte cherchent à se venger physiquement, Hamlet prépare une stratégie visant à humilier publiquement son oncle meurtrier. C’est une opposition dans les méthodes pour montrer un trait de la personnalité de Hamlet qui manque chez Fortinbras et Laërte.
Cette intrigue peut également servir de contrepoint à l’intrigue principale. Elle met en lumière certains aspects essentiels de l’intrigue principale en montrant une situation opposée. Ce n’est donc pas un effet miroir mais plutôt une négation comme prêche pour la vérité.
En fiction, les auteurs soulignent parfois certains aspects de la personnalité d’un personnage en utilisant un faire-valoir : un personnage secondaire dont la personnalité et les valeurs contrastent. Le fait de placer le faire-valoir et le personnage principal à proximité l’un de l’autre permet d’attirer l’attention du lecteur sur les attributs du personnage principal.
Les auteurs font se rencontrer les personnages pour créer le drame et le conflit dans une histoire. Les faire-valoir et les antagonistes sont deux types de personnages qui remplissent des fonctions très différentes. Un antagoniste est un personnage qui s’oppose délibérément au protagoniste. Ses actions empêchent le protagoniste d’atteindre son objectif. Cette relation permet de construire un conflit et de faire avancer l’histoire.
Un faire-valoir existe simplement pour mettre en lumière certains traits d’un autre personnage, sans nécessairement créer d’opposition ou de conflit. Un faire-valoir peut même être un ami du personnage sur lequel il est censé attirer l’attention : Le Dr John Watson, par exemple, est le faire-valoir de Sherlock Holmes.
Une intrigue secondaire en deux étapes
Il est possible de créer une intrigue secondaire au début de l’histoire, puis de la clore en dernier (après l’intrigue principale), afin de permettre aux lecteurs de se ressaisir après l’apogée émotionnelle du récit (qu’on appelle souvent le climax) et de mieux apprécier le fait que l’ordre a été rétabli. Ils ont alors droit à un petit plaisir supplémentaire et inattendu dans le dénouement.
Sam du Seigneur des Anneaux a trop peur d’inviter Rosie Cotton à danser avant de quitter le Comté avec Frodon. Lorsqu’il revient enfin, devenu un Hobbit plus courageux, il découvre qu’il a maintenant le pouvoir de demander la main de Rosie.
L’intrigue secondaire donne de la profondeur au récit
Bien qu’elles ne soient pas indispensables, les intrigues secondaires font souvent partie intégrante du succès d’une histoire car elles soulignent le conflit central de l’histoire.
Les intrigues secondaires peuvent révéler de nouvelles informations sur les personnages majeurs, donner de la profondeur à des personnages secondaires autrement unidimensionnels, et présenter presque tous les personnages sous un jour nouveau et révélateur.
Elles peuvent aussi fonctionner comme ironie dramatique donnant des informations partagées entre certains personnages et le lecteur afin de fournir un contexte, substrat nécessaire pour la compréhension du récit dans son ensemble.
On sait que le personnage principal est déterminé au-delà du possible pour accomplir son objectif. L’intrigue secondaire peut alors servir à démontrer les raisons de ce comportement, ce qui le motive.
Certes, le désir est une chose au vu et su de tout un chacun. La théorie (et pratique) narrative Dramatica le nomme Story Goal. Sommairement, c’est de savoir ce que veut votre protagoniste, de connaître le problème qu’il essaie de résoudre avant de commencer ne serait-ce qu’à planifier la succession des événements constituant votre récit et de comprendre aussi les motivations qui le poussent à agir comme il le fait.
Cependant, la poursuite d’un objectif n’est pas ce qui rend le personnage fascinant. Ce qui occupe l’esprit des lecteurs et lectrices, c’est de participer intimement au tourment du personnage. Un personnage principal se débat avec un conflit interne. Ses représentations du monde sont fortement impactées par ce problème personnel dont il a parfois conscience dès le début de son aventure.
Cette faille dans la personnalité du personnage influe énormément sur ses relations. Une intrigue secondaire permettra alors d’explorer ce qu’il se cache sous ce comportement et de faciliter peut-être l’identification (par empathie) des lecteurs avec ce personnage car la compréhension du geste est une condition nécessaire (probablement pas suffisante) pour établir un lien empathique avec un personnage.
Comme dans la vie réelle, lorsque l’indifférence se fait ignorance, on perd tout contact avec l’autre.
L’intrigue secondaire ajoute au suspense
La finalité d’une intrigue secondaire est de donner de la complexité et de la profondeur à un récit. Que signifie ces concepts dans la pratique ? L’intrigue secondaire interviendra sur la tension dramatique et donc le suspense quant au résultat des événements du récit.
Considérons une intrigue secondaire romantique dans laquelle le personnage principal est ou non participant. Nous avons alors deux personnages que tout devrait rapprocher et malgré cela que tout sépare. La question dramatique que soulève cette seconde intrigue absorbe toute une tension dramatique quant à savoir si ces deux êtres parviendront à s’entendre. Et cela en plus de la tension de l’intrigue principale.
De même, l’intrigue secondaire sur le principe de l’ironie dramatique crée du suspense en informant le lecteur sur des événements futurs qui deviennent ainsi possible sans que le personnage principal ne soit lui-même informé de la menace.
Une configuration possible est que les intrigues secondaire et principale soient complètement séparées au départ, et que les lecteurs ne perçoivent pas le lien entre elles immédiatement. Par exemple, dans le récit d’une catastrophe, vous pouvez présenter trois ou quatre personnages complètement distincts, dans des situations différentes, et passer de l’un à l’autre, en développant les différents volets de leurs histoires respectives jusqu’à ce qu’un événement important (comme un tremblement de terre ou une guerre) les réunisse (c’est cette idée que nous retrouvons par exemple dans L’armée des morts de George Andrew Romero).
De même, dans un thriller, vous pouvez créer une histoire autour d’un détective et une autre autour d’une jeune fille, qui semblent toutes deux sans lien entre elles jusqu’à ce que la jeune fille soit assassinée.
Bien que cette approche puisse donner de bons résultats, il peut être difficile de retenir l’attention de vos lecteurs et de vos lectrices s’ils ne savent pas exactement à quel personnage ils doivent s’intéresser.
Vous pouvez leur faciliter la tâche en présentant d’abord un personnage et en ne présentant les autres que lorsque leurs trajectoires se rejoignent. Ainsi, dans le thriller, vous pouvez vous concentrer sur la jeune fille jusqu’à ce qu’elle soit assassinée, puis introduire le sujet de l’histoire qui est celle du détective. Vous pouvez aussi vous concentrer sur le détective jusqu’au meurtre, puis le laisser reconstituer le passé de la jeune fille pendant qu’il enquête sur le crime.
Renforcer le thème
L’utilisation d’intrigues secondaires par Tolkien a amélioré son récit principal de deux manières distinctes :
Premièrement, les intrigues secondaires alimentent le thème central du roman. Les intrigues secondaires opposent chaque personnage principal au mal (chaque intrigue secondaire a un début, un milieu, une fin ET son propre personnage principal). Bien que certains personnages succombent au mal, l’ensemble des intrigues secondaires renforce le thème selon lequel le bien finit par triompher du mal.
Deuxièmement, les intrigues secondaires contribuent à créer un sentiment d’espace. Le lecteur est en mesure d’explorer les différents lieux de la vaste Terre du Milieu, car chaque intrigue secondaire montre un endroit différent. De cette façon, les intrigues secondaires servent à construire le monde.
Les intrigues secondaires peuvent mettre en évidence des points de vue et des expériences différents qui approfondissent les différents thèmes d’une histoire. Et il en est de même des enjeux.
Les intrigues secondaires sont un moyen efficace pour augmenter les enjeux du récit. Elles peuvent créer des obstacles supplémentaires, donner à votre personnage des objectifs secondaires et tertiaires, et constituer un excellent terrain de jeu pour compliquer et intensifier le conflit principal.
Les intrigues secondaires peuvent soudainement faire échouer l’objectif principal de votre personnage, au moment même où il pensait pouvoir l’atteindre. Elles peuvent aussi rendre l’objectif principal de votre personnage encore plus important.
Par exemple, dans A Couteaux Tirés, le principal objectif de la protagoniste, Marta, est d’éviter de se faire prendre pour la mort accidentelle de son ami et employeur, le riche Harlan. L’une des intrigues secondaires du film concerne la lecture du testament de Harlan à ses enfants et petits-enfants. Ils découvrent qu’il a tout laissé à Marta. Non seulement Marta doit absolument éviter de se faire prendre, mais toute la famille se retourne contre elle et commence à la soupçonner d’avoir tué Harlan. Une utilisation réussie de l’intrigue secondaire pour faire monter les enjeux d’une histoire déjà intense.
Le contexte
Les événements et les expériences du passé des personnages peuvent se révéler dans les intrigues secondaires s’il est nécessaire que lecteurs et lectrices comprennent pourquoi un personnage est comme il est dans ce présent du récit. Cela pourrait même servir de prologue comme dans Wonder Woman de Allan Heinberg et Zack Snyder.
Une intrigue secondaire efficace
Les lignes dramatiques secondaires émergent souvent naturellement à mesure que vous élaborez le conflit central de votre histoire, mais vous pouvez créer des intrigues secondaires ex nihilo si le besoin s’en fait sentir.
Les intrigues secondaires efficaces font partie intégrante du conflit central d’une histoire. Si vous pouvez supprimer une intrigue secondaire de votre texte sans que cela n’affecte gravement le conflit central de votre histoire, c’est que votre intrigue secondaire n’a probablement pas d’objectif narratif fort.
Lorsque vous développez des intrigues secondaires, demandez-vous si elles contribuent vraiment à la réussite globale de l’histoire que vous essayez de conter. En quoi apporte-t-elle de la profondeur et de la clarté au périple de votre personnage principal ?
Si vous ajoutez une intrigue secondaire à votre histoire pour augmenter le nombre de mots, demandez-vous si l’histoire est vraiment inachevée sans ces mots. Mieux vaut une nouvelle succincte qu’un roman plein de fioritures.
Si vous espérez qu’une intrigue secondaire rendra votre histoire plus complexe, demandez-vous si votre histoire ne manque pas de la tension dramatique nécessaire pour captiver les lecteurs sans cette intrigue supplémentaire. Une complexité inutile peut facilement rendre une histoire alambiquée et confuse.
Une intrigue secondaire est plus qu’un simple événement ou une conversation rapide ; c’est un arc narratif qui doit avoir son propre début, milieu et fin. Développez les intrigues secondaires de votre histoire en conséquence, en accordant une attention particulière aux objectifs des personnages, à leurs motivations et aux conflits qu’ils rencontreront au sein de cette seconde ligne dramatique.
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