A la suite de notre article invité LES FEMMES ET LE COVID-19, nous avons le plaisir d’accueillir la sociologue Monique HAICAULT.
Au cours de l’analyse de la charge mentale entreprise depuis les années 1970 j’ai insisté d’abord sur l’aspect managérial de la gestion domestique et sur son contenu exceptionnel qui mobilise des capacités cognitives particulières. Par la suite j’ai pu identifier trois phases dans ses transformations depuis l’après-guerre et creuser son cadre conceptuel afin de montrer ses liens avec les transformations du système productif. Essentiel au maintien et à la reproduction de la vie même, le travail constant de gestion-exécution pluri-qualifié occupe une place et une fonction charnière qui assure l’articulation des sphères sociales entre elles.
Pourquoi cette fonction de liaison est-elle absente en tant que telle des théories socioéconomiques, absente aussi du calcul de la richesse nationale ? Présentée comme relevant de la nature, enfouie dans l’extension de la fonction maternelle, elle s’y trouve légitimée et du même coup sa gratuité et son invisibilité sont « justifiées » par ce qu’on peut nommer avec Bourdieu l’exercice d’une « violence symbolique ».
On est donc loin du simple partage des tâches et des analyses qui masquent la fonction managériale majoritairement occupée par les femmes et ce quel que soit leur âge. Par ailleurs mes travaux me permettent de dire que, loin de diminuer avec les technologies domestiques (leur coût, leur mise en fonctionnement et leur maintenance requièrent un minimum de gestion, y compris prévisionnelle) elle tend plutôt à se complexifier avec de nouvelles responsabilités en lien avec le développement mondialisé des sociétés et avec l’émergence d’une prise de conscience globale.
De nature sociétale il s’agit principalement de trois domaines de gestion : la santé physique et mentale des membres de la famille, la santé globale de la planète terre et du monde vivant, enfin le maintien en équilibre du budget familial qui nécessite le contrôle et la sobriété de chacun face à la mondialisation effrénée de la production/consommation.
Avec le Covid ces trois domaines imbriqués ont été rendus visibles et soudain essentiels et avec eux la charge mentale de la sphère famille. Au niveau sociétal, ce sont les liens du virus avec la production/consommation systémique mondialisée qui se manifestent dans les conditions de son émergence, dans son développement et ses conséquences.
Au sein des familles les charges de gestion de santé nécessitent toujours plus de vigilance et un renouvellement régulier des connaissances, ne serait-ce que celles concernant la qualité des produits alimentaires et de tout ce qui concourt à la bonne santé des membres de la famille.
Le Care, nouveau champ de pratiques individuelles a pris des dimensions collectives avec la pandémie. De son côté, le souci de l’état de la planète et le respect du vivant se traduisent au quotidien par le contrôle d’une quantité de gestes ordinaires qui vont du tris des déchets, des économies d’eau, d’énergie, d’empreinte carbone, aux pratiques d’achats en cycles courts ou encore aux pratiques quotidiennes de mobilité non polluantes.
Enfin, le budget familial, aux prises avec le harcèlement consumériste des modes de vie impose aux individus et aux familles un contrôle constant des dépenses afin de maintenir un équilibre entre consommer et s’endetter.
Peu présentes dans les enquêtes, ces nouvelles préoccupations qui s’impriment dans les pratiques quotidiennes relèvent de l’état de conscience des individus, également du niveau de conscience de la pratique politique des Etats. Quoi qu’il en soit, de la conscience et de la complexité de ces « responsabilités », elles se répercutent toujours et singulièrement en temps de pandémie sur la charge mentale. Son histoire n’est donc pas finie.
Monique HAICAULT