Pour les auteurs et autrices gothiques, les ruines ne sont pas seulement un pinceau dramatique mais surtout l’expression du pouvoir de la Nature sur les créations humaines. Les esprits qui s’attardaient volontiers sur l’impermanence de la vie et de l’effort humains cherchaient les symboles d’une philosophie panthéiste naturaliste dans les écrits gothiques.
Les ruines sont de fières effigies de la grandeur perdue, les représentations visuelles et statiques d’un mystère tragique, une relique sacrée, un mémorial, un symbole de tristesse infinie, de sensibilité et de regret les plus tendres.
Écoutons Ann Radcliffe (Gaston de Blondeville) :
Les générations nous ont précédés et sont passées, comme vous nous contemplez maintenant, et vous passerez. Elles ont pensé aux générations d’avant leur temps, comme vous pensez maintenant à elles, et comme les générations futures penseront à vous.
Les voix qui se sont réjouies sous nos yeux, le faste de la puissance, la magnificence de la richesse, la grâce de la beauté, la joie de l’espoir, les intérêts des grandes passions et des basses poursuites ont disparu à jamais de cette scène ; cependant, nous restons, nous, les spectres des années passées, et nous resterons, faibles comme nous le sommes, lorsque vous, qui nous regardez maintenant, aurez cessé d’être de ce monde.
Pour Devendra P. Varma, ces scènes évoquent une sensation de sublimité qui se transforme en terreur, un temps figé d’étonnement et d’émerveillement mêlés.
De l’ordre de la mémoire
L’amour des objets naturels combiné à une profondeur de sentiment religieux constitue une partie de l’esprit gothique. Cet amour met l’accent sur l’effet scénique plutôt que sur le détail, et établit une concordance entre l’humain et l’aspect prédominant de la nature. Les auteurs gothiques présentent le spectacle de la nature et le temps de façon subjective : les méchants gothiques planifient des meurtres sombres et profanes sur un fond de nuages noirs, de tonnerre infernal et d’éclairs aveuglants.
Une telle méthode est à la hauteur du traitement mélodramatique du personnage. L’agitation des éléments est en accord avec la vie agitée de l’homme ; jamais avant le gothique le rugissement du tonnerre ou un éclair n’ont été liés dans l’imagination à une calamité à redouter, à la destinée des vivants ou au séjour des morts (le cas échéant).
Puis dans le même registre, les teintes d’un ciel d’automne ou l’ombre des bois d’automne – chaque lueur faible et sacrée est indéfiniment combinée aux souvenirs.
Il y a des scènes dans les romans gothiques qui se distinguent par leur caractère bienveillant et grand – puissantes, mais silencieuses dans leur puissance – progressives et certaines et résolues dans leur fin, et pleines d’un noble repos.
Mais on ne ressent pas seulement une exultation religieuse, on ressent aussi la profonde puissance régénératrice de la nature.
L’esprit gothique se contente rarement de percevoir simplement les caractéristiques du paysage ; il les voit affectées par les conditions atmosphériques. Son esprit se délecte des vents hurlants, des nuages orageux et de l’imagerie sombre et sauvage de la nature, de sorte qu’il trouve le repos dans ce qui n’a pas de fin, et tire satisfaction de ce qui est indistinct.
La plupart des scènes sont enveloppées d’une obscurité profonde, parfois percée par un reflet de lune ou par la faible lueur d’un quelconque scintillement. L’effet de la lumière et de l’obscurité est ainsi contrasté : l’approche de la nuit plonge les larges arcs dans l’obscurité jusqu’à ce que les rayons de la lune qui traversent les vantaux emblématiques teintent les toits à frettes et les piliers massifs de mille nuances de lumière et de couleur.
Parfois, une partie d’une salle est plongée dans l’obscurité totale, tandis que l’autre est éclairée par une lumière festive. Différents sons se font entendre dans l’obscurité ambiante : il peut s’agir de cris inqualifiables ou de gémissements à moitié étouffés.
Une accumulation de détails
L’effet surnaturel se construit progressivement par l’accumulation de détails qui ne sont pas tous donnés d’un coup mais successivement : des paysages désolés, des landes balayées par le vent, des tempêtes, des hiboux hurleurs, des chauve-souris en vol, des événements fascinants dans des caveaux funéraires ou à la tombée de la nuit.
Les scènes gothiques se déroulent dans un crépuscule sobre ou sous le doux éclat de la lune dans une abbaye en ruine, ou un tombeau à moitié démoli, ou encore une arche voûtée couronnée de lierre ; nous écoutons le murmure étrange des arbres dans un vallon romantique solitaire, tandis qu’un ruisseau brisé s’écoule au loin.
Le cadre romantique efficace, le charme continu de l’horreur, la couleur de la mélancolie, de la crainte et de la superstition : tous ces élans de l’esprit gothique ont d’abord convergé vers Walpole, qui leur a donné la forme, la cohérence et le langage du roman gothique. Walpole avait vécu entièrement dans un monde de fantaisie gothique.
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