UN HÉROS IMPARFAIT

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Rien n’est pire qu’un héros parfait. Les stéréotypes sont blanc ou noir. Ils sont catalogués comme des opposés polaires, suivent un parcours correspondant trait pour trait à l’archétype dont ils s’inspirent sans profondeur, vivant définitivement une vie qui n’est en aucun cas pertinente pour notre monde réel ou leur propre monde fictif.

Des méchants aux sombres desseins mais sans mobile et au passé peu compliqué ; des demoiselles en détresse physique ou psychologique ; des héros simples d’esprit qui sont la personnification de la tradition et de la culture dont ils sont issus : des héros mythiques en somme.

Leurs problèmes n’ont ni tête, ni queue, ni corps et ces personnages stéréotypés traitent ou surmontent ces problèmes de manière terriblement banale.

La fiction imite le monde réel

Les personnes réelles sont confrontées à de nombreux obstacles au quotidien. Que ces difficultés soient absurdes ou redoutables, chaque personne dispose de moyens uniques et complexes pour y faire face. Les plus simples d’entre nous sont des individus stratifiés et nuancés, avec des émotions et des psychismes complexes. Les meilleurs d’entre nous ne sont pas nécessairement bons et les pires ne sont jamais tout à fait mauvais.

Notre vie est pleine de luttes et ces luttes sont notre histoire. C’est pourquoi il est important pour les auteurs de créer des protagonistes qui ne sont pas seulement bons et dont le Hero’s Journey est un moyen de se racheter. Car c’est à cela que nous pouvons nous identifier.

Plus le personnage est complexe et développé, plus il est crédible. Les personnages simples qui traversent des intrigues simples peuvent avoir leur public, mais le meilleur type de héros est celui qui se situe entre les deux : ceux qui pêchent sauvent et ceux qui sauvent pêchent, des criminels au cœur d’or, des médecins qui se droguent, des policiers qui sont des tueurs en série et des tueurs en série qui cherchent la rédemption.
Ce sont ces personnages qui créent des situations intrigantes, imprévisibles et dont la personnalité multiple peut en effet être analysée.

Quand on pense aux personnages marquants de la fiction occidentale, parmi les plus célèbres figurent Don Quichotte, Frankenstein et son monstre, Dracula, Huckleberry Finn, Sherlock Holmes, Jay Gatsby, Lisbeth Salander, Hannibal Lecter, et bien d’autres encore.
Le cinéma et la télévision nous ont également donné une horde de héros mémorables – Michael Corleone, V, Bruce Wayne, Logan, Lucifer, Jessica Jones, … Ces personnages ont quelque chose en commun : ils sont tous imparfaits d’une manière ou d’une autre. Ils sont tissés de failles et de défauts, et c’est ce qui les rend plus vraisemblables, plus humains, plus réalistes.

Un personnage humain ou anthropomorphe fictif est réel dans le monde inventé où il vit. Ces héros méritent d’avoir autant de profondeur et de portée en eux que nous en avons en nous, autant de lumière et d’obscurité et d’entre-deux si ce n’est plus (car une fiction imite certes la réalité mais elle est aussi bien plus que cela : une sorte de transcendance dans notre tentative désespérée de comprendre notre monde et ceux qui y vivent).

Ce sont des personnages qui luttent contre la société, contre l’humanité, et bien souvent dans le même coup contre eux-mêmes. Ces héros qui s’affranchissent du temps, de l’espace, des cultures qui les ont vus naître, s’enracinent alors dans l’imaginaire collectif.

Un modèle malgré eux

Aucun de ces personnages n’est un parangon de vertu. Leur morale et leurs idéaux sont peu orthodoxes, leurs croyances atypiques. Ils agissent souvent dans leur propre intérêt, et suivent leur propre code éthique perverti. Ils sont souvent égoïstes, narcissiques et cyniques, vaniteux, amers et blessés.

Ils ne sont certainement pas des modèles. Ils possèdent des traits sombres, souvent assez sinistres, mais ils ont toujours une ou plusieurs qualités rédemptrices qui non seulement nous aident à leur pardonner mais aussi à les préférer parmi la vaste gamme de nobles et « bons » personnages.

Ces héros imparfaits – ou anti-héros – vous font les détester et les aimer dans le même coup. Ils transcendent les frontières établies du protagoniste et de l’antagoniste, du bien et du mal – non pas parce qu’ils ont été écrits de manière ambivalente, mais parce que tout au long du récit, les choix qu’ils font les changent et les façonnent constamment.

Ces personnages vous incitent à réfléchir et à vous interroger. Nous nous reconnaissons en eux car ils portent en eux nos désirs secrets dans leurs actions et leurs contemplations. C’est cette capacité à créer un lien avec le lecteur qui les rend si spéciaux. Ils durent parce qu’ils ont la capacité de durer.

Ces héros ne sont pas victimes des circonstances. Leurs décisions, directement ou indirectement, affectent leurs actions et ils sont responsables de leurs propres choix – qui, bien souvent, peuvent conduire à une fin tragique pour eux. Comme pour nous, le changement signifie le déclin mais chez eux, cette agonie est une transcendance.

La plupart d’entre eux ont tendance à disparaître ou à mourir – ce qui est souvent la conséquence d’un dernier acte rédempteur qui fixe leur place dans nos cœurs pour toujours. Leurs qualités rédemptrices contrebalancent leurs qualités plus négatives. Ils ont tous été des personnes horribles à un moment donné, ont échoué à un moment important de leur passé, mais leur lutte pour se réapproprier ce passé est fascinante, impérieuse et profondément humaine.
Dans Crime et châtiment de Dostoïevski, le protagoniste Raskolnikov commet un meurtre qui le mène sur le chemin de la rédemption, et après une lutte intérieure intense, il réalise qu’il doit être puni pour ses actes, en se dénonçant aux autorités.

Les personnages qui brouillent les lignes et les limites doivent avoir un désir latent ou un potentiel de rédemption, de transformation, de voyage intérieur. Quand nous faisons leur connaissance, il nous faut comprendre que ces héros possèdent cette volonté (qu’ils en aient déjà conscience ou non) de progressivement vouloir ou non se transformer en un autre en réponse aux évolutions de l’intrigue.

Ce genre de personnages sont leurs propres héros et méchants. Ils sont aussi tout ce qui se trouve entre les deux. Et nous avons besoin de plus d’entre eux.

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