PROLOGUE & ÉMOTION

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Chacun a sa propre idée du prologue. Il n’en laisse pas moins que c’est un élément dramatique important, responsable de la première impression. C’est une promesse faite au lecteur et à la lectrice. Il fait naître aussi quelques questions qui appelleront de nécessaires réponses.

Il est le premier pas dans le monde inventé de l’auteur et il imprègne de son atmosphère le lecteur. Ce monde est vital pour l’histoire car l’action s’y produit. Instaurer dès les premiers mots, par une description par exemple, les contours de ce monde dans le prologue et vous préparez lecteurs et lectrices à accepter ce monde.

Nous rencontrons une voix, percevons le but de l’histoire, obtenons quelques indices de sa signification et nous nous installons généralement dans le flux de quelque chose qui est déjà en mouvement. Nous sommes happés mais pas encore tout à fait accroché. Cela se fera un peu plus tard dans l’acte Un.

Sollicitation

Les avis convergent pour dire du prologue qu’il devrait exciter notre curiosité. Mais il n’est pas la première scène. Dans la première scène, le lecteur fait la connaissance du personnage principal. Habituellement, il est bon que le prologue ne le mentionne pas.

La première scène, juste après le prologue, montre que quelque chose ne va pas ou bien ira de travers. Même si cela n’est pas explicitement démontré, on sent que le personnage devra relever un défi, ne serait-ce que sortir de cette sorte de zone de confort dans lequel il s’est installé. Cette zone de confort, cette habitude pourrait être pointée dans le prologue.

Au cours de l’exposition, on comprendra assez rapidement que le personnage principal désire quelque chose. L’objet de ce désir n’émane pas du néant mais d’une situation. Le prologue peut alors servir à mettre en place celle-ci.

L’ouverture d’un récit ne se limite pas au prologue. Elle s’étend généralement sur les cinq premières pages. L’étonnement serait de se demander pourquoi avons-nous une tendance à croire des événements que nous savons fictifs ? Plus étrange encore, comment pouvons-nous ressentir une empathie envers un personnage de fiction ou bien pourquoi n’acceptons-nous pas ce qu’il fait sachant que cela ne peut nous atteindre ?

Lecteurs et lectrices cherchent à participer à une expérience. Pour être divertissante, une histoire doit présenter quelque chose de nouveau, un défi ou une valeur esthétique (pouvant être combinée à la novation et au défi). Une histoire provoque ce que les psychologues appellent une évaluation cognitive (Cognitive Evaluation) chez les lecteurs, ce qui signifie en clair qu’il est sollicité à réfléchir, à deviner, à questionner et à comparer.
Nous faire réfléchir en lisant rend non seulement une histoire intrigante, mais participe aussi de notre bien-être. Éprouver une expérience à travers la fiction, c’est s’étonner d’abord de ce qu’il s’y passe. Obliger le lecteur à imaginer une solution. Le prendre au dépourvu par des rebondissements. Faire en sorte que le lecteur décide de quelque chose. Des indices, de nouvelles informations, des surprises et des défis moraux excitent tous la cognition, ou ce que nous appelons la réflexion.

Une expérience émotionnelle

Mais une intrigue n’est pas suffisante à nous entraîner dans ses rets si elle ne procure pas dans le même coup une expérience émotionnelle. Lecteurs et lectrices veulent ressentir quelque chose, non pas à propos de l’histoire, mais à propos d’eux-mêmes. La lecture est un jeu pour eux. Ils veulent anticiper, deviner, penser et juger, c’est vrai, mais ils veulent aussi sortir d’une histoire en se sentant autres, comme s’ils avaient vécu quelque chose.

Le plus important, c’est qu’ils veulent avoir l’impression d’être en relation avec les personnages d’une histoire, de vivre leurs expériences de fiction. Pour créer cette expérience comme si (La philosophie du comme si de Hans Vaihinger), il ne suffit pas d’accompagner les lecteurs dans l’intrigue.

Les lecteurs ne retiennent une histoire que lorsqu’ils l’ont ressentie, dans leur âme et leur corps (comme j’aime à répéter). Les sentiments peuvent être provoqués par les développements de l’intrigue, bien sûr, mais seulement dans une mesure limitée. Les rebondissements de l’intrigue provoquent le plus souvent une simple surprise.
C’est très bien ainsi, mais un lien plus profond est créé par quelque chose que les lecteurs ressentent pour les personnages d’une histoire, et non le simple déroulé d’une intrigue. Cela se produit initialement lorsque les lecteurs sont en mesure de faire des jugements moraux immédiats et positifs sur les personnages, lorsqu’ils aperçoivent quelque chose de bien en eux.

Les psychologues nomment cela comme une disposition affective. Nous appelons cela aimer, ou plus précisément admirer. C’est pourquoi les auteurs et les autrices de romans rendent leurs personnages attrayants. C’est pourquoi les scénaristes sauvent la mise. Mais ce n’est qu’un début. Un jour ne devient pas profondément émotionnel au lever du soleil ; c’est le reste de la journée qui le rend ainsi.

Ce besoin de ressentir les personnages explique certaines choses déroutantes en matière de fiction. Par exemple, pourquoi les auteurs de thrillers doivent-ils, pour nous retenir, mettre leurs personnages en danger et les faire courir constamment, alors que les auteurs romantiques peuvent, sans qu’on puisse discerner de mouvement dans l’intrigue, revenir sans cesse au même conflit (je t’aime/je te résiste) et créer néanmoins une expérience narrative absorbante et dynamique ?

Une implication émotionnelle

Les thrillers et les romans d’amour sont aux antipodes l’un de l’autre : une pure action contre une pure implication émotionnelle. Cependant, la combinaison la plus efficace pour susciter l’implication des lecteurs et des lectrices est de doser de manière égale action et émotion.

Lorsque l’action et l’émotion se produisent ensemble, ils travaillent ensemble. L’intrigue prépare le lecteur à un ressenti émotionnel ; et cette connexion émotionnelle amplifie ces éléments dans le monde de l’histoire qui amènent les lecteurs à s’émerveiller, à s’interroger, à élaborer leurs propres théories sur la suite à venir. Les meilleures ouvertures (et partant, les prologues), donc, créent à la fois de l’intrigue et une implication émotionnelle.

Le plus compliqué est de trouver une accroche émotionnelle envers un personnage. C’est-à-dire peut-être la raison la plus ténue pour que ce personnage nous préoccupe. Pour Donald Maass, cela signifie que l’auteur doit parvenir à ce que ses lecteurs et lectrices s’emparent de quelque chose de bon envers un personnage dès le moment où ils font sa connaissance.

Les lecteurs saisissent presque instantanément des indices (ils pourraient même les élaborer sans que l’intention de l’auteur ne soit concernée) et forment leurs jugements, il est donc vrai que nous devons réaliser ce lien dès la première page, du moins dès la scène une après un éventuel prologue). En d’autres termes, les lecteurs savent tout de suite si un personnage vaut la peine qu’ils le suivent le temps d’un récit.

Que percevons-nous donc de bon chez un personnage ? La réponse varie selon le lecteur, mais généralement les personnages les plus universellement séduisants sont des modèles de ce que nous pourrions appeler les valeurs du cœur : la compassion, la lucidité, l’engagement envers la justice, la famille, l’amour, la persévérance, le sacrifice, l’altruisme et d’autres vertus accrochent les lecteurs plus vite et plus fort que les questions de survie, de quête de pouvoir ou de puissance, que le désir de reconnaissance, la marginalisation ou la solitude.

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