Nous avons vu dans les articles précédents que la littérature gothique fut surtout méprisée par les critiques. Néanmoins, un engouement pour la fiction fut un amusement à la mode au cours du dernier quart du dix-huitième siècle mais méprisée comme une perte de temps par les personnes se qualifiant souvent elles-mêmes sérieuses d’esprit.
Une sorte de censure s’appliqua et les romans gothiques se réduisirent. Ils furent considérés comme une activité éphémère et la question de leur survie ne se posa pas. Les livres qui ne bénéficièrent pas d’une reliure digne étaient voués à une inéluctable destruction. Même la moindre trace de leur existence disparut à jamais.
La renaissance de la littérature gothique
Pourtant, grâce à un seul homme, un libraire de livres anciens et éditeur du nom de Charles Elkin Mathews (1851-1921) qui eut la chance de se procurer un lot de romans de la fin du dix-huitième et du début du dix-neuvième siècle proposa un tel catalogue qu’il créa un engouement chez les collectionneurs de livres anciens.
Le roman gothique était redécouvert et prit alors de l’importance. Il fut aussi très prisé des psychologues freudiens et des surréalistes. Mais, somme toute, prévient l’expert et auteur du gothique Devendra P. Varma, peu de thèses révélèrent la véritable valeur du roman gothique. Peu de thèses s’inquiétèrent de la signification et de la portée de la romance gothique comme si l’aspect horrifique du matériel étudié déroutait ou était méprisé. Le motif de la terreur dans l’art et la littérature en vue d’en déterminer l’effet esthétique et la valeur de l’émotion suscitée n’était pas ou peu examiné.
Et pourtant un besoin du romantisme horrifique existait qui devait être analysé. Dans le large éventail de son étude Joyce Marjorie Sanxter Tompkins enregistre la montée et la chute de la sensibilité et de la didactique dans la fiction. Elle rassemble de nombreuses causes contributives de la mode littéraire qui a précédé la Révolution française, et place la romance gothique en relation avec les goûts et les conditions de son époque.
Tompkins attribuait une historicité au roman gothique au sens de la philosophie existentialiste qui considère la dimension historique d’un fait dans les conditions de son époque, du moment de sa survenance.
Partant, si les conditions changent, le goût pour le gothique disparaissait.
Montague Summers est probablement celui qui passa le plus de temps à fréquenter les contes de terreur et d’amour, ainsi que les châteaux en ruine, les donjons, les squelettes et les fantômes des œuvres gothiques. Son livre The Gothic Quest est indéniablement une précieuse ressource du roman et des auteurs gothiques, sa ferveur et sa connaissance des œuvres gothiques en témoignent.
Mais, souligne Devendra P. Varma, ce zèle pour le roman gothique a provoqué une turgescence de son style dans l’éloge et le blâme bien que son argument principal soit cohérent et logique mais parfois difficile à démêler des digressions, des hostilités affichées et des interpolations maladroites parsemant l’œuvre de Summers. De plus, il débattit avec les surréalistes qui s’étaient introduits dans son domaine de prédilection, annexant les ruines où l’amour, la mort, la vengeance et la rétribution (au sens religieux) reposaient et les adjura de retirer leurs doigts hérétiques de ces reliques sacrés.
Pourtant, tout genre littéraire est susceptible de nouvelles interprétations au fil du temps s’il reste une force vitale et non seulement une relique inutile. La pensée des surréalistes est tout à fait légitime, explique Devendra P. Varma, au même titre que celle de Montague Summers, mais dans l’approche surréaliste particulière du fantastique du roman gothique qui s’avéra singulièrement fécond.
Le mot Gothique
Gothique n’a de rapport aux Goths parce qu’ils étaient considérés comme des barbares. Et l’idéal gothique forgé dans de sombres châteaux et cathédrales est apparu sombre et barbare à l’esprit de la Renaissance.
Jugé par ce même esprit d’âge sombre de l’histoire de l’humanité (Dark Ages), le Moyen-Âge fut affublé du terme gothique pour désigner un dédain presque total des œuvres se réclamant du genre gothique. Le mot gothique était venu à signifier archaïque, grossier, laid, barbare, expressif d’une architecture rude et sauvage.
La Renaissance pourtant, du moins l’aspect romantique de celle-ci, donna au terme gothique une certaine respectabilité. Mais les habitudes sont parfois bien ancrées et durant tout le dix-huitième siècle, gothique continua à être synonyme de barbarie dans le sens d’inhumain et signifiait ignorance, cruauté et sauvagerie.
L’art gothique n’en continuait pas moins d’être actif. Comme la sensibilité du dix-huitième siècle s’élargissait et s’approfondissait, se dépassait en quelque sorte, le gothique devenait un produit de l’imagination et perdait l’implication de raillerie qui lui était associé. Gothique désigna un changement d’attitude envers le Moyen-Âge. Les idées gothiques furent réadaptées et leurs senteurs furent plus dans l’air du temps.
Le terme médiéval prenait aussi une connotation respectable. On osait enfin associer gothique et médiéval à la tragédie. Rien de tel pour donner des lettres de noblesse à une activité.
Julien l’Apostat ou Voyage dans l’autre monde (1741/1742) de Henry Fielding appuie sur la structure de l’ordre gothique. Par ordre gothique Fielding signifiait l’architecture gothique produisant ce sentiment vénérable, ces impressions d’immensité et de morosité, qui sont souvent vaguement désignés par gothique. Lorsque Fielding s’attela à Tom Jones (entre 1746 et 1748), sa disposition pour le gothique se révéla dans les descriptions qu’il fit de certaines demeures et de quelques paysages.
Richard Hurd avec son Letters on Chilvary and Romance en 1762 revendiqua non seulement la reconnaissance de l’art gothique mais de plus, il qualifia les manières gothiques comme supérieures. Le mot gothique cessa enfin d’être synonyme de barbarie et de violence et s’associa à la poésie chevaleresque du Moyen-Âge.
Puisque la normalité est ainsi faite, le gothique reçut autant d’éloges que de dénigrements. Les idées évoluaient. Elles menèrent au mouvement romantique dont le gothique et ses connotations de barbarie et de médiéval fantastique fut l’un des principaux symptômes.
Horace Walpole
C’est à Horace Walpole que nous devons le terme gothique. Il est impossible de lire les lettres ou les romances de Walpole sans être frappé par les preuves indubitables qu’elles contiennent moult de ses prédilections médiévales. Son Château d’Otrante est peut-être la première œuvre de fiction moderne qui dépeigne son intérêt pour les événements d’une époque chevaleresque, et devient ainsi le prototype de cette classe de romans qui sera ensuite imitée par Ann Radcliffe et perfectionnée par Walter Scott.
Le tyran féodal, le vénérable ecclésiastique, la demoiselle solitaire mais vertueuse, le château lui-même, avec ses douves et son pont-levis, ses sombres donjons et ses couloirs solennels aux candélabres si caractéristiques (dont le personnage Lumière chez Disney est une incarnation anthropomorphique), sont tous issus d’une mine d’intérêts qui a depuis été exploitée plus efficacement et pour un meilleur profit.
La pensée du gothique fournit à l’esprit de Walpole non seulement les âges obscures de superstitions et de domination religieuse (Dark Ages pour qualifier le moyen-âge considéré ainsi surtout dans la culture anglaise), mais aussi ce temps des chevaliers et des croisades. Walpole transposa toutes ces idées dans son Château d’Otrante.
Walpole permit de changer le concept de gothique de l’opprobre à la louange. L’épithète gothique prit non seulement le sens d’une certaine liberté, d’une libération mais aussi du point de vue du discours religieux, il ouvrait la voie à des valeurs spirituelles, morales et culturelles que le dix-huitième siècle ramassa en un seul mot : illumination.
Ces romans gothiques visaient une atmosphère médiévale par l’utilisation d’un arrière-plan médiéval (châteaux hantés, donjons, chevaliers solitaires en armure et de la magie), mais, pour un lecteur moyen, la caractéristique remarquable de ces contes n’était pas le cadre gothique, mais les événements surnaturels qui s’y produisaient.
Ceux qui ont suivi Walpole accentuèrent progressivement l’aspect spectral du genre tandis que la tonalité et l’univers médiévaux s’estompaient dans des œuvres telles que Le Moine de Matthew Gregory Lewis (publié en 1796) et peut-être même, quoi que cela mérite débat, avec le Caleb Williams de William Goldwin (de 1794).
Le terme perdit toute connotation avec médiéval et devint synonyme de grotesque, d’épouvante et de fiction surnaturelle ou au caractère surhumain. Le roman gothique devint le roman du surnaturel et le gothique s’identifia lui-même avec l’épouvante. L’imagination gothique fut stigmatisée comme inférieure, viciée, inculte du moins jusqu’à ce que des universitaires, des éditeurs et autres autorités littéraires lui permirent de retrouver un prestige perdu.
Le mot gothique émergea de tout cela non plus comme un synonyme de barbarie mais plutôt consacrant les plus hautes valeurs morales et spirituelles.
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