L’importance de la causalité dans le récit est indéniable. Elle sert autant à développer l’intrigue qu’à l’organisation du récit. Une histoire peut s’analyser (c’est-à-dire si on l’a déjà comprise dans son ensemble) en liens logiques et chronologiques.
Notre compréhension du monde est basée sur sa cohérence (du moins de ce que nous nous représentons comme sa cohérence) et sur son ordre apparent.
Autrefois, néanmoins, la foi, les croyances et les superstitions nous donnaient cette compréhension de nous-mêmes et de notre monde. Maintenant, notre monde s’explique par la science. C’est ce que nous rappelle Chris Sykes dont nous tentons ici de comprendre la pensée.
Cause et Effet
Ce serait donc par la cause et l’effet d’un phénomène que nous pouvons nous expliquer ce que nous percevons de ce phénomène. Même encore aujourd’hui, lorsque l’accès à la connaissance (j’avoue ne pas vouloir vous imposer le mot vérité) n’est pas immédiatement prouvé par des données scientifiques, on a tendance à se réfugier dans le surnaturel, peut-être bien pour se rassurer d’ailleurs.
Une certitude, néanmoins, est que la vie n’a pas attendu la science pour être de la vie. De même, le récit n’a pas attendu qu’on l’organise pour conter des choses. Seulement, la science veut trouver des causes à tout (elle est seulement un peu réticente à trouver des causes premières qui pourraient, selon son propre aveu, être introuvables) et cette croyance (j’ose le mot) en que tout a une cause a fini par déteindre sur l’organisation des événements à l’intérieur d’un récit qui devient ainsi une histoire.
En effet, le récit décrit les événements dans l’ordre chronologique de leur survenue. L’histoire reconfigure ces événements (ellipse temporelle, analepse, prolepse essentiellement) et mélange allégrement les causes et les effets (une cause pourrait avoir lieu dans l’acte Un et son effet se faire ressentir au milieu de l’acte Deux ou bien encore, l’auteur pourrait nous exposer d’abord l’effet et poser bien plus tard son explication).
Edward Morgan Forster
Bien qu’il y ait peu de choses à dire sur la façon dont la méthode scientifique a influencé notre écriture, constate Chris Sykes, il y a depuis fort longtemps déjà une compréhension du rôle de la causalité dans l’explication des intrigues.
Le romancier E. M. Forster en parle dans son ouvrage bien connu Aspects of the Novel (de 1927), où il fait une distinction entre l’histoire (qui se caractérise surtout par son intrigue) et le récit. Les deux, a-t-il dit, sont la narration (on peut admettre la narration comme l’acte de raconter ou bien comme une suite de faits mais ce n’est pas un discours) d’événements organisés selon une séquence temporelle.
Forster donne un exemple maintenant célèbre qui a fait la distinction entre récit et histoire (ou intrigue) : « Le roi est mort, puis la reine est morte » est un récit. C’est la description de deux faits. On sent bien qu’il y a une relation entre le roi et la reine parce qu’on suppose cette relation par les mots roi et reine (mais ce pourrait être le roi d’une contrée et la reine d’une autre et ces deux-là pourraient fort bien ne s’être jamais rencontrés).
La reine aurait pu mourir plusieurs années après le roi et sa mort aurait pu être sans rapport avec la mort du roi.
Pourtant ces deux décès peuvent être des mouvements d’une même histoire. « Le roi est mort et la reine est morte de chagrin » est une histoire parce que cet énoncé apporte un élément essentiel de causalité qui la fait devenir récit.
Par la causalité, les deux incidents deviennent intimement liés. C’est parce que le roi est mort que la reine est morte de chagrin ; un événement suit irrésistiblement l’autre. Reliez-les, dit Forster, et vous avez une intrigue.
Pour Forster, la structure chronologique et puis… et puis… et puis est essentielle à une histoire. Ce n’est pas par hasard qu’il a choisi un roi et une reine comme personnages dans son exemple. Les contes de fées suivent souvent cette méthode structurelle chronologique et sont souvent peuplés de rois, de reines, de princes et de princesses.
Dans les contes de fées, des événements étranges se produisent sans explication, mais qui, dans le contexte de la terre féerique dans laquelle ils se situent, sont parfaitement acceptables et incontestés. Des bêtes magiques apparaissent, puis des créatures étranges, puis de la magie, puis un beau prince, et puis…
Une chaîne d’événements
Une intrigue est plus qu’une série d’événements qui se suivent chronologiquement. L’intrigue est une série d’événements causalement liés, rappelle Chris Sykes.
B se produit parce que A s’est produit. C se produit parce que B s’est produit, et ainsi de suite. La configuration du récit peut être considérée comme une chaîne de cause à effet. Chaque étape, chaque mouvement menant à un autre. Et puisqu’il y a un commencement, ces mouvements devenus narratifs mènent l’histoire à un dénouement.
Nul besoin de se casser la tête à trouver des raisons logiques évidentes à tout. Par l’inférence, vous pouvez confier au lecteur et à la lectrice le soin d’ajouter toute information spontanément sans que votre texte ne le lui fournisse.
L’inférence est un dispositif littéraire couramment utilisé autant dans la littérature que dans nos quotidiens, où les déductions logiques sont faites sur la base de prémisses supposées être vraies. Une autre définition de l’inférence suggère qu’elle est rationnelle mais non logique, ce qui signifie que, par l’observation des faits présentés selon un arrangement particulier, on infère finalement des interprétations et des perspectives différentes ou nouvelles.
Les symboles et la description de situations anormales, irrégulières sont très importants lors de son utilisation. Les inférences ne servent pas tant à tirer des conclusions qu’à ouvrir de nouvelles interrogations. Lorsqu’on étudie l’inférence sous cet aspect, on la divise en deux types : l’inférence inductive qui consiste à aller du particulier au général (on conçoit une universalité à partir d’un fait singulier) et l’inférence déductive qui aboutit à une conséquence nécessaire (on déduit une loi générale) par l’observation de faits singuliers. Dans la déduction, si cela s’est passé ainsi, c’est parce que.
[Je m’en doutais, par exemple, pourrait être pris comme une déduction].
Par exemple, nous nous apprêtons à assister à une conférence. En nous approchant de la salle, nous entendons des bavardages. Nous en inférons que la conférence n’a pas encore commencé. Nous n’avons que peu d’indices (nous savons que nous sommes à l’heure et les bavardages nous font penser que le conférencier n’a pas encore pris la parole) mais nous ne possédons aucune preuve, aucune évidence que la conférence n’a pas encore débuté.
Il est simplement raisonnable d’aboutir à cette conclusion au vu des éléments fournis. C’est une méthode chronologique de narration où les événements se produisent l’un après l’autre dans le temps, et il pourrait y avoir des ellipses temporelles entre l’une ou l’autre de ces étapes. C’est une méthode traditionnelle de narration, constate Chris Sykes. Beaucoup d’histoires ont été écrites de cette manière.
Le pourquoi des choses
Dans Les deux anglaises et le continent de François Truffaut, lorsque Claude fait la connaissance d’Ann, il se déplace encore avec de grandes difficultés à la suite de son accident. Après cette première rencontre, la séquence suivante nous montre Ann et Claude se promenant dans un parc. On infère ici une ellipse temporelle entre les deux moments.
Dans cette méthode de narration, l’événement suit l’événement chronologiquement. Il n’y a pas d’ordre particulier ou d’importance de l’événement. Néanmoins, constate Chris Sykes, s’il n’est pas imprégné un élan qui pousse le récit vers l’avant, un texte rédigé de cette façon ne va nulle part.
S’il n’y a pas un en-deçà et un au-delà au moment actuel, un présent fuyant dans le passé et dans l’attente d’un futur, un mouvement purement chronologique manque de passion. Cela dit, s’il est suffisamment bien écrit, le lecteur voudra savoir ce qu’il se passera ensuite. La curiosité est importante ; après tout, manipuler la curiosité du lecteur est l’un des dispositifs de base de la narration, ajoute Chris Sykes.
Une liaison causale met en œuvre une connexion claire et intime entre une activité et une sensation par exemple. Quelle que soit la motivation, une action mène à une autre. Les événements dans la méthode causale sont beaucoup plus étroitement liés que dans la méthode chronologique. Un effet possible pour une cause devient la cause d’un autre effet possible.
Et c’est pour cette raison que quand les événements sont reliés de cette façon, une histoire possède en soi un mouvement vers l’avant. Elle se dirige quelque part. Comme chaque événement se connecte avec celui qui précède et celui qui suit, l’histoire a une progression et un mouvement linéaires. Cet élan et cette accumulation sont l’une des principales caractéristiques d’une intrigue linéaire.
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