L’EFFET DU SUBLIME DANS LA FICTION GOTHIQUE

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Avant de continuer la lecture de l’essai de Robert D. Hume Gothic Versus Romantic : A Reevaluation of the gothic novel, j’aimerais faire un détour par l’effet de sublime dans la fiction gothique.

Avec ses fantômes, ses châteaux spacieux et ses héros évanescents, la fiction gothique communique à la fois frisson et intrigue. La littérature gothique est une combinaison de fiction d’horreur et de pensée romantique ; la pensée romantique est celle d’une crainte révérencieuse envers la nature. Essentiellement, le romantisme est une réaction contre les Lumières, un temps qui a révolutionné la pensée scientifique, et met l’accent sur la réponse émotionnelle et l’intuition plutôt que sur la connaissance clinique des choses et du monde orchestrée par la raison.

La terreur comme sublime

La littérature romantique suscite le plaisir personnel de la beauté naturelle, et la fiction gothique prend cette réaction esthétique et la subvertit en créant un plaisir différent et de la confusion en jouant de la terreur.

Cet usage de la terreur est appelé le sublime, qui est un outil important dans le récit gothique. Les exemples de littérature gothique vont de la Dark Romance, qui consiste essentiellement à franchir les interdits, jusqu’aux mystères surnaturels.

Dans les romans gothiques, peu importe le contexte socio-historique du monde inventé ou le méchant de l’histoire, le sublime existe comme une expérience différente de l’appréciation de la beauté naturelle.

En fait, ce concept traite de la façon dont les auteurs saisissent les traumatismes et les peurs de leurs personnages. Il est important de regarder le sublime à la fois en tenant compte des expériences des personnages mais aussi des contextes du monde réel qui influencèrent les auteurs à dépeindre de telles expériences.

Au-delà de l’identification du sublime, une partie cruciale de l’examen de cette technique est de voir comment les craintes présentes dans la littérature gothique prennent en compte les préoccupations de la vie réelle, telles que les rôles et les restrictions imposées aux femmes dans le contexte socio-culturel où ont été produites ces œuvres.

L’utilisation de la terreur éclaire la façon dont les marginalisés, une fois qu’ils ont une voix, font face à leurs pénibles situations, et la lecture de ces luttes aide à favoriser la compréhension et l’empathie envers les personnages.

gothiqueCe qui sépare l’expérience du sublime de l’expérience de la beauté, c’est la rupture de l’harmonie. Le gothique montre des éléments de réactions romantiques à l’expérience humaine de la beauté harmonieuse de la nature mais en utilisant la peur. Selon Edmund Burke, l’imagination ressent à la fois le frisson et la peur à travers ce qui est sombre, incertain et confus. En distinguant le sublime de la beauté, le sublime crée plus qu’une réponse positive et contemplative à une esthétique, telle qu’une belle peinture ou une prairie ensoleillée.
Le sublime provient d’une crainte et d’une terreur puissantes qui soulignent les limites de l’individu, dépassant toutes les autres réponses et surchargeant le destinataire à la fois dans sa révulsion et sa fascination. En ce qui concerne le regard romantique porté sur la nature, le sublime peut se produire lorsque la grandeur naturelle accable un individu au point de causer la peur ou un sentiment d’insignifiance impuissante.

Dans l’ensemble, approcher le sublime a lieu lorsque le regard produit une expérience impressionnante ou horrible dans le sens ancien des deux mots, c’est-à-dire caractérisée par ou inspirant la crainte, et la crainte est une émotion contenant la peur, l’émerveillement et la révérence. Le sublime interroge la dichotomie sans nuance entre le plaisir et la douleur car une scène effrayante peut aussi provoquer l’émerveillement, une étrange sorte de plaisir à contempler une scène horrifiante, mais captivante pour le spectateur.

Le sublime : masculin ou féminin ?

En raison de son pouvoir et de ses vues sexuées, Edmund Burke considérait le sublime romantique ou gothique comme une expérience plus masculine et puissante que la beauté, qu’il percevait comme féminine, et donc plus fragile et superficielle.

gothique
Mary Wollstonecraft

Cependant, Mary Wollstonecraft, une écrivaine anglaise et fervente défenseure des droits des femmes, a plaidé contre cette perspective et sa représentation des femmes comme étant intrinsèquement faibles et passives. Pour Wollstonecraft, le sublime traitait du moi et de ses vues subjectives de la société ainsi que des paysages naturels spectaculaires.

Il est intéressant de noter que Ann Radcliffe, l’écrivaine anglaise qui a été la pionnière du roman gothique (ainsi que du roman Female Gothic, de la littérature gothique pour les femmes, par les femmes), a soutenu que l’horreur et la terreur existent en tant qu’entités séparées, et que la terreur, et non l’horreur, crée le sublime parce que, alors que l’horreur est sans équivoque, la terreur provoque des émotions ambiguës, qui à leur tour étendent l’âme et éveillent les facultés à un degré élevé de vie.

L’horreur consiste à voir le monstre, à voir du sang ou un cadavre, tandis que la terreur s’enfonce dans le psychisme obscur d’un individu et entraîne de multiples émotions contradictoires et simultanées.

Partant du point de vue de Mary Wollstonecraft dans le cadre de sa relation à la société (et comment la culture occidentale du dix-neuvième siècle traitait l’intelligence et l’éducation des femmes), le sublime, à travers des détails sensoriels extrêmes, peut révéler ce qui effraie le personnage en se fondant sur de véritables luttes.
Et pour les femmes de l’Angleterre victorienne (entre 1837 et 1901), le sublime est déclenché par une peur de l’enfermement et de la répression basée sur les conventions sociétales de cette époque ; un exemple de cette peur apparaît dans Jane Eyre de Charlotte Brontë.

personnagesAu début, Jane éprouve de la terreur quand sa tante l’enferme dans la chambre rouge, l’ancienne chambre de son oncle défunt. Comme son emprisonnement s’éternise, l’expérience a des conséquences sur Jane, et elle croit bientôt que le fantôme de son oncle, un symbole patriarcal, va se lever et l’attaquer.

Elle déclare : « Mon cœur battait fort, ma tête s’échauffait, un bruit me remplissait les oreilles, ce que j’imaginais comme le bruissement assourdissant d’ailes ; quelque chose semblait près de moi ; j’étais opprimée, j’étouffais ; mon courage s’effondrait ; je me précipitais vers la porte et secouais la poignée dans un effort désespéré. »

Un point de vue outrageusement masculin

Jane Eyre est submergé par une expérience qui l’affecte à la fois sur le plan physique et émotionnel, une expérience qui la met à rude épreuve, qui la met au défi et dépasse la capacité de son imagination.

Le sublime crée l’hystérie, et le concept d’hystérie dérive de la croyance archaïque que les femmes agissent excessivement ou ont des accès d’émotions incontrôlables et irrationnelles lorsque leur utérus ne fonctionne pas correctement. Compte tenu de l’expérience de la femme victorienne, ainsi que des précédentes (bien que publié à l’époque victorienne, Brontë situa historiquement le roman à l’époque géorgienne), la chambre rouge peut être rouge pour une variété de raisons symboliques : la menstruation (Jane a dix ans au début du roman et entrera bientôt dans la puberté), la passion, le tourment ou encore le sang.

De plus, l’emprisonnement de Jane dans la chambre rouge découle de la punition pour avoir affronté son cousin après qu’il l’ait frappée et insultée parce qu’elle dépend de sa famille et parce que les livres qu’elle lit ne lui appartiennent pas.

Elle souffre pour s’être rebellée, pour s’être éduquée et pour avoir vécu dans un environnement où elle ne possède pas sa propre indépendance, de sorte que la surréalisme de sa rupture avec la réalité souligne la terreur de son expérience (ce qui crée le sublime) en tant que jeune fille approchant la féminité.

gothiqueDans Jane Eyre, ce problème se manifeste également dans le personnage de Bertha Mason, l’épouse du malheureux Edward Rochester, qui passe plusieurs années enfermée dans un grenier en raison de son instabilité mentale.
En raison du traitement de la maladie mentale par la société victorienne, en particulier en ce qui concerne le sexe et l’identité raciale de Bertha (elle est d’origine créole), Bertha est aussi piégée que Jane l’était au début du roman, et son épreuve culmine dans un résultat à la fois terrifiant à voir mais éblouissant et saisissant à sa façon terrible : par le feu.

Monstre et sublime

Le roman de Mary Shelley Frankenstein traite de nombreux thèmes complexes tout en invoquant le sublime. Mary Shelley considérait le roman comme son propre monstre, avec elle-même comme le créateur. Alors que beaucoup de ses contemporains masculins travaillaient principalement avec la poésie et opéraient dans des conversations exclusives, Mary Shelley écrivit ce roman complexe à un jeune âge.

Le récit traite de l’impact de la nature. En fait, Frankenstein conteste la condition de finitude de la nature elle-même en tant que son personnage titulaire, Victor Frankenstein, recherche à la fois la science moderne et l’alchimie pour vaincre la mort.

En termes environnementaux, le monstre prend vie à cause d’une violente tempête. Avant cet événement majeur du récit, Victor parle du sentiment de jubilation d’un événement naturel surprenant et intriguant :
Quand j’avais une quinzaine d’années, nous nous étions retirés dans notre maison près de Belrive, quand nous avons été témoins d’un orage violent et terrible. Il s’approchait de derrière les montagnes du Jura, et le tonnerre éclata aussitôt d’une terrible intensité venant de divers lieux du ciel. Je suis resté tout le temps de la tempête à regarder ses progrès avec curiosité et plaisir. Tandis que je me tenais à la porte, tout à coup je vis un flot de feu jaillir d’un vieux et beau chêne qui se tenait à une vingtaine de mètres de notre maison ; et aussitôt que la lumière éblouissante disparut, le chêne avait disparu, et il ne restait plus rien qu’une souche éclatée. Lorsque nous sommes allés le voir le lendemain matin, nous avons trouvé l’arbre brisé d’une manière singulière. Il n’a pas été brisé par le choc, mais entièrement réduit à de minces rubans de bois. Je n’ai jamais vu quelque chose d’aussi complètement détruit.

Cette scène montre non seulement le sublime, mais préfigure la ruine de Victor. Le propre accomplissement de Victor est un exploit impressionnant ; c’est une action qui incite à l’inspiration et à la terreur alors que le monstre devient un être vivant étonnamment intelligent, mais souffre de marginalisation parce qu’il est l’incarnation du sublime et non de la beauté.

Le monstre est horrible à regarder, et donc maltraité et abordé. Victor devient le Prométhée moderne, le Titan qui a apporté le feu à l’humanité à un prix terrible. En reflétant le destin du Titan, Victor accomplit un grand exploit, alimenté par la connaissance et le dépassement des limites, et souffre non seulement pour sa transgression, mais pour avoir négligé sa création grotesque, son enfant, pour une raison superficielle.

Bien que Victor cherche d’abord à ce que sa création soit belle, le résultat réel suscite la terreur. Victor déclare : « Aucun mortel ne peut supporter l’horreur de ce visage. » Lorsque la créature prend vie, elle « est devenue une chose telle que même Dante n’aurait pas pu concevoir ».

La situation, aussi miraculeuse et révolutionnaire qu’elle soit, devient l’enfer personnel de Victor. Témoin du devenir de Victor, le lecteur devient le destinataire d’une expérience sublime : aussi horrible que soit la chute, la narration propulse le lecteur vers la conclusion sombre et dévastatrice.

On pourrait penser que cette tragédie gothique dissèque les peurs des femmes victoriennes, bien que la création du monstre et la façon dont les gens le traitent sont également devenus des représentations d’innovations modernes brillantes mais moralement remises en question (les aliments génétiquement modifiés ou le clonage d’animaux, par exemple) et de marginalisation contemporaine (sur des questions de race, de sexualité, d’identité transgenre, de handicap…).

Une autrice impliquée

Concernant les peurs des femmes victoriennes, la mère de Mary Shelley, la susmentionnée Mary Wollstonecraft, est morte d’une infection post-naissance 10 jours après la naissance de Mary, et Mary elle-même a souffert de fausses couches et de la mort d’enfants en bas âge (sa fille meurt avant 1816, l’année où Mary écrit Frankenstein. Ce ne sera hélas pas la seule) et a certainement rêvé du retour à la vie de sa fille.

Il est tout à fait possible que Frankenstein contienne les pensées de Mary Shelley à la fois sur l’émerveillement et le traumatisme de l’accouchement, puisque la propre naissance de Mary a causé l’infection et la mort de sa mère.

Dans la préface de Frankenstein, Mary Shelley écrit : « Et maintenant, une fois de plus, je demande à ma hideuse progéniture d’aller et de prospérer. J’ai une affection pour elle, car c’était la progéniture des jours heureux, où la mort et le chagrin n’étaient que des mots, qui n’avaient pas encore de véritable écho dans mon cœur. »

Le monstre, sa création elle-même ne sont pas seulement des représentations du sublime, mais le roman lui-même, car il existe à la fois comme une entité de chagrins et de joies concernant les moments passés et présents de l’autrice mais aussi, comme prophétisé, son futur.

En tant qu’élément important des œuvres gothiques, le sublime aide le lecteur à découvrir des aspects de notre humanité. Le plaisir et la terreur se mélangent avec les émotions et les expériences personnelles des personnages et des auteurs des œuvres, ainsi que du lecteur.

Il est essentiel non seulement de pouvoir définir et de reconnaître le sublime dans la littérature gothique, mais aussi de déterminer les causes de la peur dans l’espoir que le lecteur puisse compatir, comprendre les souffrances des luttes complexes et implacables présentées dans diverses œuvres. Bien qu’il s’agisse d’un concept du dix-neuvième siècle, les questions cruciales soulevées dans des œuvres gothiques comme Jane Eyre et Frankenstein se répercutent dans la culture moderne.

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