Pour Robert McKee la souffrance n’est pas plus dramatique que le bonheur. Le bonheur et la souffrance sont les états statiques d’une expérience émotionnelle.
Et si rien ne change, rien ne se passe. Et si rien ne se passe, il n’y a pas de récit.
Qu’est-ce qui constitue la vérité d’un récit ? Comment un récit peut-il faire sens en fin de compte ? Robert McKee admet tout à fait que l’expression de la vérité est un exercice difficile. Établir la vérité d’un récit, c’est expliciter non seulement pourquoi les choses ont lieu mais aussi comment elles ont lieu. Il y a ce qui cause les choses, on en voit les effets. Il peut être intéressant pour le récit de connaître aussi comment les choses qui causent les choses ont-elles seulement pu se produire.
La vérité sous les apparences
Ce que ne dit pas explicitement le texte, voilà ce qui en fait sa qualité. Les mots posés par un auteur ou une autrice décrivent ce que McKee nomme surface of life, c’est-à-dire ce qui apparaît aussi bien aux autres, certainement la compréhension la plus simple de l’apparence des choses lorsque l’autre prend l’image que nous lui renvoyons comme objet, mais aussi ce qui se manifeste en nous et l’illusion ne nous dit pas vraiment ce qu’il existe sous cette surface qui offre aux regards, d’où qu’ils viennent, une opacité difficilement pénétrable.
Il est important de bien comprendre le thème ou le message sous-jacent au-delà des mots, au-delà du langage pour une portée plus globale des moyens d’expression.
La principale raison est que les significations implicites intensifient le contenu informationnel d’un scénario. On pourrait même ajouter qu’elles créent un engagement moral entre un lecteur et un auteur. Il semble important de créer un sens implicite parallèlement au sens littéral.
Pour commencer, définissons le sous-texte comme le sens implicite, c’est-à-dire le vrai sens qui vibre sous les mots et les actions, la vérité réelle et non falsifiée.
Linda Seger écrit que nous rencontrons constamment des sous-entendus dans nos vies. On ne dit pas toujours ce qu’on cherche vraiment à dire. Parce que la vérité peut être blessante ou bien parce qu’elle risque de ne pas être acceptée.
Les mots deviennent apparences et dissimulent la vérité. Et selon la situation d’énonciation, on souhaite ou non que l’autre comprenne immédiatement le véritable sens.
Cette philosophie de la vie configure une réalité cachée dans le texte, le rend plus proche de la vie, vrai et réaliste pour les lecteurs/spectateurs. C’est ainsi que Robert McKee explique que rien n’est ce qu’il semble être.
Ce principe exige que le scénariste prenne constamment conscience de la duplicité de la vie, qu’il reconnaisse que tout existe à au moins deux niveaux et qu’il doit donc écrire simultanément sur deux plans.
Comme dans la réalité, la fiction voile la vérité, les pensées et les sentiments réels des personnages derrière leurs paroles et leurs actes.
L’implicite
La signification sous-jacente est de l’ordre de l’implicite et du non dit. Le thème ou le message sous-jacent ont besoin qu’on pénètre profondément dans l’explicite pour leurs compréhensions correctes. Comme toute approche herméneutique, cela met en œuvre une perspicacité, une faculté à saisir ce qui échappe à la plupart, une connaissance du contexte qui peut être historique, social… On peut aussi par association comme dans la métaphore par exemple atteindre un sens dissimulé par les mots ou les images.
La perception est intuitive. Nos sens peuvent être trompeurs mais quand l’intuition procède à une compréhension profonde, sans même passer par une argumentation rationnelle complexe, elle devient un important identificateur du sous-texte.
Identifier la présence d’une vérité dissimulée, ce n’est pas pour autant la comprendre. On a le sentiment qu’il y a quelque chose d’autre mais cela semble insaisissable. C’est ce que Linda Seger explique. Habituellement, le message sous-jacent est quelque chose sur lequel on ne peut pas tout à fait mettre la main. On le sent.
L’auteur devrait considérer comme importante l’intuition car elle joue un grand rôle dans la lecture précise du message sous-jacent. La capacité de remarquer et d’apprécier ce qui est caché est communément appelée la capacité à lire entre les lignes. Il est donc important de pouvoir lire entre les lignes d’une œuvre dramatique. Cette capacité à sonder un texte, à interpréter spontanément par la seule perception la vérité derrière les actions, les mots et les événements est précisément l’intuition.
Le sous-texte du récit est la véritable histoire que vous racontez. Ce sont les événements émotionnels. C’est ce qu’il se passe sur un plan humain et émotionnel dans l’univers imaginé du scénario pour les personnages qui y vivent.
Linda Seger ajoute que parfois l’auteur n’est pas conscient de ce texte sous-jacent. Certains auteurs devinent quelles idées et quels mots correspondent le mieux au scénario, même s’ils ne peuvent pas vous dire exactement ce qu’ils cherchent vraiment à dire.
La création d’un message sous-jacent par l’auteur ou le scénariste consciemment ou inconsciemment est compliquée et toujours comme suspendue. Certes, le scénariste élabore chaque action d’une image du film, qu’il s’agisse de la mise en avant d’une scène particulière ou même de tout le film. Mais parfois, comme le reconnaissent les auteurs eux-mêmes, la signification sous-jacente comme résultat recherché n’était pas préméditée initialement.
Deux niveaux de lecture et de conception
Conformément à la nature du thème ou du message dissimulé, une scène devrait être configurée sur deux plans : explicite et implicite. C’est ainsi que Robert McKee voit ces deux niveaux, en tenant compte du principe de la duplicité de la vie (le fait d’avoir un comportement double, variant selon les circonstances et qui ne cherche pas d’ailleurs à volontairement tromper par dissimulation).
On peut aussi s’étonner de l’emploi du mot vie par McKee. C’est pourquoi je l’associe au comportement.
Tout d’abord, le scénariste doit donner une description des apparences, de ce que nos sens nous renvoient (images, bruits, actions et paroles. Et éventuellement, la musique aussi).
Ensuite, McKee estime qu’il faut créer le monde intérieur du désir conscient et inconscient, de l’action et de la réaction, de l’impulsion et de l’identité, des impératifs génétiques et expérientiels. Ces notions sont bien compliquées. Je vous renvoie aux articles publiés sur Scenar Mag pour découvrir un peu plus de la pensée de Robert McKee. Sinon, prenons l’exemple simple qu’il nous donne.
Une jeune femme est sur le bord d’une route se démenant à changer une roue. Un automobiliste lui offre son aide. La conversation est banale et s’oriente sur la tâche en cours qui consiste effectivement à changer cette maudite roue. C’est le sens littéral de la lecture de cette scène. Seulement l’intention de l’auteur est de décrire une rencontre qui mènera à une romance.
Dans la configuration de cette scène, il y a peu de place pour apporter cette idylle naissante. Alors, il suffira de réserver un ou plusieurs échanges de regard sans aucune ligne de dialogue entre les deux personnages. Ce que percevra le lecteur, c’est qu’il se passe effectivement quelque chose entre ces deux êtres. C’est l’information sous-jacente que voulait faire passer l’auteur. Il y a donc une coexistence organique (dans le sens où la scène est organisée pour fonctionner de cette façon) de deux actions : l’externe (qui consiste à réparer la roue) est au niveau explicite, et l’interne (la rencontre romantique) est au niveau implicite.
Donc, selon Robert McKee, la notion de surface of live signifie des faits. Et ces faits se traduisent chez l’individu par une succession d’expériences alternativement positives et négatives tel un flux et un reflux d’émotions, de sentiments, d’états mentaux différents que McKee affuble d’une polarité ou positive ou négative.
Mais les réponses que devraient trouver l’auteur ou l’autrice pour raconter son histoire se trouvent dans le pourquoi et le comment des faits. Pourquoi ce qui arrive arrive. Comment ce qui arrive arrive. Selon McKee, la vérité que cherche l’auteur est dans les causes profondes des effets produits. Cette logique causale est un point de vue. Mais ce qui devient intéressant, c’est que par causes profondes, ce qu’entend Robert McKee, c’est que l’inconscient des personnages peut entrer dans l’équation.
Le passé comme cause
Parmi les causes acceptables et même plausibles, un dommage psychologique tel un trauma peut avoir façonné le personnage à agir comme il agit actuellement. Cela pourrait expliquer, par exemple, pourquoi votre héros ou votre héroïne ont un comportement si autodestructeur.
C’est cette vérité-là que Robert McKee met en avant. La vérité d’un personnage n’apparaît pas dans ses actions mais dans les raisons de celles-ci.
Néanmoins, ce qui rend une histoire si riche, ce n’est pas l’explication d’un comportement. Ce sera le regard que d’autres poseront sur cette attitude. L’observation mène à des présomptions. Et un conflit naîtra de ce jugement qu’il soit erroné ou non d’ailleurs. En effet, on pourrait très mal réagir à la perspicacité de quelqu’un qui a su nous lire.
Robert McKee va plus loin cependant. Deux auteurs ne s’empareront pas du même fait de la même façon parce que chacun d’entre nous possèdent des valeurs, un vécu, des croyances, des points de vue sur la vie et le monde, des souffrances… diverses. A chacun sa vérité, en somme.
La magie opère cependant parce que si vous exprimez correctement votre façon de voir les choses à travers une œuvre, quelle qu’elle soit, ce regard autre que l’on posera sur votre création, un regard qui porte pourtant d’autres valeurs, peut néanmoins accepter votre vérité.
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