UN ARC DRAMATIQUE

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Une intrigue véritable possède de vrais personnages. Nous ne pouvons pas laisser le sujet de l’intrigue sans toucher à au moins un aspect du travail sur le personnage qui est crucial pour le devenir de l’œuvre : le changement, c’est-à-dire l’arc dramatique.

Lisez, ou mieux, étudiez les immortels et vous serez forcé de conclure que leur pénétration originale dans le caractère humain est ce qui a conservé cette immortalité à travers les siècles, pensait Lajos Egri dans The Art of Creative Writing.

Ce qui rend une intrigue vraiment mémorable n’est pas seulement l’action, mais ce que l’action fait au personnage. Lecteur et lectrice sont sensibles au personnage qui change, qui endure le creuset de l’histoire seulement pour émerger en une personne différente à la fin.

Ce peut être une différence majeure, comme avec Ebenezer Scrooge dans Un, Chant de Noël de Charles Dickens. Ou ce peut être un changement subtil, comme quand Scarlett O’Hara mûrit enfin à la fin de Autant en emporte le vent (mais juste pas assez tôt pour garder Rhett).

L’intrigue profite de l’arc dramatique

Ce qui rend plus intense, plus vive une intrigue, c’est lorsque les personnages évoluent, qu’ils grandissent de leurs pérégrinations et tribulations tout au long de l’acte Deux, l’espace de l’intrigue.

Des événements se produisent et devraient avoir un impact sur les personnages. Y a-t-il des histoires où les personnages ne changent pas ? Bien sûr, répond James Scott Bell. Il suffit de penser au James Bond (d’avant Daniel Craig) pour s’apercevoir que Bond est un personnage plutôt immuable (par contre son influence sur les autres forcent ceux-ci au changement).
Aussi dans une série, même si le personnage semble identique à lui-même entre le début et la fin d’un épisode, une force dramatique agit sur lui au fil de la série. Ce peut être un changement subtil, mais changement néanmoins.

Alors cherchez à créer un changement chez le personnage d’une manière qui approfondit l’intrigue et exprime un thème, conseille James Scott Bell. Car quand un personnage apprend quelque chose ou souffre parce qu’il change pour le pire, c’est une expression de l’auteur ou de l’autrice d’une portée plus large, non seulement de ce qu’il se passe dans l’histoire, mais de ce qu’il se passe dans la vie réelle.

Contrairement à l’intrigue, l’arc dramatique d’un personnage est une description de ce qu’il lui arrive à l’intérieur de lui-même au cours de l’histoire. Il commence comme une sorte de personne au début ; les choses arrivent à lui et autour de lui, le déplaçant progressivement le long d’une courbe (d’où la métaphore de l’arc dramatique) qui se termine quand l’histoire est terminée.

Habituellement, le personnage principal est autre à la fin du récit.

Par exemple, dans la version cinématographique du Magicien d’Oz, Dorothée commence comme une jeune fille rêveuse, une petite fermière avec la tête dans les nuages. Elle rêve de trouver une vie meilleure au-delà de l’arc-en-ciel.

À la fin, elle réalise qu’il n’y a pas de meilleur endroit que son foyer. On pourrait décrire cet arc dramatique comme allant du mécontentement au contentement, un arc de 180 degrés. Ou du rêveur au réaliste. Le point de vue réaliste est celui qui admet que les choses existent même si elles ne peuvent être observées. Que serait la parole s’il n’y avait personne pour l’entendre ? On ne saurait admettre qu’elle ne s’énonce pas lorsqu’il n’y a personne pour l’entendre ou la lire.

L’arc dramatique a une structure. Sans cette structure, le changement ne sera pas convaincant, affirme James Scott Bell. Un bon arc dramatique possède certains attributs :

  1. Un point de départ, où l’on rencontre le personnage et où on se fait une idée de qui il est, de ce qui le constitue en tant qu’être (fictif mais humain). C’est comme si l’on peignait le personnage de différentes couches successives qui se mélangent ou simultanées. Le résultat est une apparence souvent opaque dont toute la difficulté réside à percer l’opacité pour aller soit à la rencontre de soi-même, soit pour établir une saine relation en essayant de deviner qui peut bien être cet autre.
    Et effectivement, on élabore un personnage au même titre que l’on construit son intrigue.
  2. Un seuil que le personnage doit franchir, presque toujours à contrecœur. Il y a d’abord un refus. Le personnage est tellement installé dans une fausse sécurité, dans de fausses croyances qu’il est rarement enclin à les remettre en cause, à douter de ce qui fait qui il est actuellement. Pourquoi prendrait-il un risque en hâtant une décision dont il ne voit pas encore la nécessité ? Cet appel à l’aventure l’inquiète.
  3. Une fois passé le seuil, le personnage connaîtra un certain nombre d’incidents, d’obstacles, d’épreuves qui auront une incidence sur lui. Il commencera à douter. Ce ne sera pas encore un grand bouleversement. Tant que l’on ne fait pas l’expérience de nos croyances et que cette expérience remette en jeu certaines de nos valeurs, il n’y a guère de raisons de douter.
  4. James Scott Bell distingue une perturbation qui s’aggrave. Il fait probablement allusion à la pression spécifique de la force antagoniste. Parmi toutes les épreuves auxquelles se soumet le personnage principal avec plus ou moins de réussite, il y en a une qui lui résiste car cette force antagoniste surpasse en tous points les facultés de notre héros.
    C’est ainsi que le personnage principal sera amené à connaître une grave crise parce que ce qu’il ne soupçonne pas encore, c’est qu’il possède déjà en lui les moyens de vaincre l’adversité. C’est contre lui-même que le personnage principal luttera avant d’espérer affronter l’antagoniste avec quelques chances d’un triomphe toujours incertain.
  5. Un moment de changement, parfois via une épiphanie, une anagnorisis, une illumination c’est-à-dire une manifestation d’une réalité cachée car si les choses sont inobservables, elles existent néanmoins. Bref, il s’agit d’une révélation qui éclaire le personnage sur qui il est, sur les raisons de son existence, sur le but de celle-ci.
  6. Après le climax, son ultime confrontation avec la force antagoniste et qui communique alors le message de l’auteur, le dénouement nous montre en quelques mots le devenir possible du personnage maintenant qu’il est devenu autre.
    Comprenez bien qu’il ne s’agit pas vraiment d’une métamorphose. Si l’être et humain si possible pouvait connaître une métamorphose, ce serait un idéal pour l’humanité. Ce qu’il s’est passé tout au long de l’histoire, c’est qu’une terre sombre et aride est devenu féconde et verdoyante, tout emplie de couleurs nouvelles. Ce n’est pas un don qu’elle a reçu. Elle possédait déjà en elle cette perspective. Il suffisait seulement que cette terre se révèle à elle-même.
L’identité personnelle

On a tous un soi-même, avance James Scott Bell. C’est le produit de bien des choses au fil des ans — notre composition émotionnelle, notre éducation, nos traumatismes et nos expériences, et certainement de nombreux autres facteurs. La plupart du temps, nous ne pensons pas vraiment à qui nous sommes. Pourtant, il y a un je en nous. Quelque chose qui ne change pas alors que notre manière de voir le monde change au fil de nos expériences.
Alors que notre corps se corrompt même si notre vieillesse est belle, cette identité personnelle qui se mesure à l’aune de ce pronom personnel de la première personne du singulier des deux genres semble être une réalité.

Pour James Scott Bell nous faisons ce que nous pouvons pour protéger ce noyau de sens qui à défaut de nous déterminer, nous explique néanmoins. Du moins, si on accepte l’idée qu’on puisse réduire notre être en ses constituants alors qu’on pourrait penser que ces constituants que l’on croit percevoir ne peuvent être indépendants et s’extraire de l’ensemble puisqu’ils se fondent précisément dans cet ensemble. Ils n’existeraient donc pas indépendamment du tout que nous sommes.

On résiste au changement, précise James Scott Bell. Nous entourons donc ce noyau de couches qui sont en harmonie avec notre moi essentiel, ce je qui nous dit à nous-mêmes et aux autres.

En partant du cœur vers l’extérieur, ces couches comprennent des croyances, des valeurs, des attitudes dominantes et des opinions.
Ces couches deviennent plus fragiles en s’éloignant du noyau. Ainsi, les couches extérieures sont plus faciles à changer. Il est beaucoup plus simple de changer d’opinion, par exemple, que l’une de nos convictions profondes.

Mais il y a toujours un effet d’entraînement quand une couche subit un changement. Si vous changez une opinion sous l’effet d’une pression extérieure par exemple, elle s’infiltrera dans les autres couches. L’effet est souvent imperceptible. Mais lorsque les opinions ne résistent plus à un esprit critique, un esprit qui s’interroge, qui s’étonne, et vous commencez à changer les attitudes, les valeurs et même les croyances, explique James Scott Bell.
L’image que l’on a de soi change et cela affecte aussi comment les autres nous perçoivent.

D’un autre côté, changer soudainement une croyance fondamentale affecte automatiquement les autres couches parce que c’est un renversement puissant.

Comment pourrions-nous décrire l’identité personnelle de Scrooge au début d’Un chant de Noël ? C’est un misérable et un misanthrope. Il aime l’argent et déteste les gens. Il ne croit pas à l’amour et à la charité. Son attitude est que le profit est plus important que les bonnes œuvres. À son avis, Noël est une farce, et ses employés essaient toujours d’en profiter, et ainsi de suite.

L’arc dramatique de Scrooge consiste à faire de lui une autre personne. Par cette quête de lui-même, même si Scrooge s’en défend, l’intrigue avance. L’intrigue et le personnage sont intimement liés et il semble bien que l’évolution dramatique du personnage principal justifie l’intrigue, la rend légitime.

L’illumination dramatique

Comme Un Chant de Noël est l’histoire du changement d’un personnage en un être meilleur, les différents moments de l’intrigue sont clairement conçus à cette fin. Dans de nombreux récits, l’arc dramatique peut être plus silencieux et plus subtil.

Mais préparez ce moment du changement, que nous pourrions appeler l’épiphanie, cette prise de conscience qui vient à nous et qui change notre façon de voir le monde, prévient James Scott Bell. C’est véritablement le point d’orgue vers lequel s’efforce toute l’intrigue. C’est un aboutissement si marquant qu’il est précédé d’une crise personnelle et profonde du personnage principal au cours de laquelle il croit et nous aussi que tout est perdu.

Ce que nous devons éviter avec de tels moments, c’est le mélodrame, la surcharge des émotions. Les épiphanies et les réalisations sont souvent réussies lorsqu’elles sont minimisées, sans emphase. En fait, il est tout à fait possible de ne pas en jouer du tout !
Le moment du changement peut être impliqué par ce qu’il se passe après. La preuve du changement, sa vérification en quelque sorte, peut suivre la pression qui en est la cause. C’est une façon d’éviter d’être trop direct et de manquer de subtilité.

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