LA QUESTION DU CLIMAX

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Le climax prépare le dénouement. C’est l’acmé théâtrale des tragédies grecs et latines au cours de laquelle on peut dire que le mal qui affecte un personnage a alors atteint son paroxysme.
Cet apogée est le point culminant de la tension ou du drame dans l’intrigue d’un récit. Souvent, le climax se produit lorsque le problème principal de l’histoire (souvent incarné en ce qui représente une force que l’on peut qualifier d’antagoniste) est confronté par le personnage principal ou protagoniste. Selon l’intention de l’auteur, ce protagoniste peut ou non résoudre le problème.

Selon la théorie narrative Dramatica, on peut distinguer quatre issues possibles au climax. Le personnage principal a réussi à la fois à combler son désir (ce qu’il voulait obtenir depuis à peu près le début de l’histoire) et son besoin intime (par exemple, le climax pourrait être pour lui l’occasion de faire face à un vieux trauma, généralement de l’enfance, et enfin de l’intégrer par la magie des tribulations et pérégrinations de l’intrigue).

Ensuite, il peut échouer dans son objectif. L’adversité (quelle qu’elle soit) est décidément imparable. Cependant, lors de cette lutte perdue d’avance, le personnage principal a grandi. Peut-être a t-il vaincu ses propres peurs, ses angoisses, ce à quoi on se réfère habituellement comme à des démons. L’objectif n’est certes pas réalisé mais le personnage a atteint une conscience de soi qu’il ne soupçonnait pas et son rapport au monde est dorénavant bien moins toxique.

Autre cas de figure, l’objectif est atteint. Apparemment, le héros ou l’héroïne sont sortis vainqueurs. S’ils cherchaient l’amour, par exemple, ils l’ont trouvé. Ce pourrait être une fin heureuse mais le lecteur ou le spectateur ne peut s’empêcher de penser (parfois il faut interpréter les non-dits d’un texte) qu’il manque quelque chose dans le devenir de ce couple.
En fait, le personnage principal (même s’il s’agit d’un couple, il ne peut y avoir deux personnages principaux car il y en a toujours un qui influence l’autre et cette position précisément, probablement par convention, ne fait pas de lui un personnage principal), le personnage principal, donc, n’a pas comblé ce qu’il lui manquait intérieurement. Par exemple, il pourrait ne jamais avoir fait le deuil d’un amour perdu. Et cet amour nouveau est une illusion. Intérieurement, le personnage principal n’a pas vaincu ses démons. Il en est en fait incapable.

De là, on aboutit au dernier cas de figure dont l’évidence est supportée à la fois par l’échec de la mission et par le fait que la blessure personnelle et interne du héros ou de l’héroïne ne se cicatrisera jamais. C’est la substance même de la tragédie.

Climax est dérivé du grec

Lire une histoire, c’est comme monter une échelle (d’après l’origine grecque du mot), avec l’apogée au sommet. Ce qu’il y a de bien avec une échelle, c’est que si vous parvenez à ce que le lecteur/spectateur grimpe à chaque barreau, le climax sera accepté parce que nous aurons confiance dans les actions du personnage, constate Alexandra Sokollof.

Sokollof prend l’exemple du Shérif Brody des dents de la mer, dont la scène du climax est hautement improbable et néanmoins, Brody parvient à tuer le monstre. Nous atteignons à ce moment une catharsis.

Une catharsis est une décharge émotionnelle par laquelle on peut atteindre un état de renouveau moral ou spirituel, ou bien atteindre un état de libération de l’anxiété et du stress. Catharsis est un mot grec que l’on traduit habituellement par purification.

En littérature, il est utilisé pour la purification des émotions et des passions des personnages (souvent responsables des mauvaises décisions et des mauvais choix). Il peut également être n’importe quel autre changement radical, sorte de métamorphose qui permet à un personnage d’avoir une claire conscience du sens de son existence.

La magie opère lorsque cette catharsis est ressentie par le lecteur/spectateur. C’est l’aspect didactique d’une œuvre. Selon Aristote, la tragédie est l’imitation (mimesis) d’un acte grave, complet et d’une certaine ampleur par laquelle Eleos (la personnification de la pitié, c’est-à-dire cette compassion que nous éprouvons pour le héros) et la peur (phobos que l’on traduit par crainte, peur, frayeur ou effroi et qui accompagne la compassion) permet d’effectuer la purgation (catharsis) appropriée de ces passions considérées comme néfastes dans le rapport que nous pouvons avoir au monde et aux autres.

Pour Alexandra Sokollof, cela peut expliquer pourquoi le climax des Dents de la mer est tout à fait accepté malgré les libertés qu’il prend avec la vraisemblance. Une acceptation qui serait facilitée par le sentiment d’exaltation ressentie face à cette scène libératrice.

Ces personnages ont mérité ce climax, et le spectateur aussi, pour avoir survécu à toute la brutalité de l’expérience avec eux. L’émotion devait être là, ou Spielberg aurait manqué son public. Car il s’agit bien d’une expérience. Et c’est peut-être bien cela ce que signifie vraiment catharsis. Emmener le lecteur avec soi vers des horizons nouveaux par une sorte d’expérience supérieure.

L’intention de l’auteur

Donc, pendant que vous vous efforcez de rassembler tout ce que vous essayez de faire se produire lors du climax, il faudrait aussi identifier ce que vous voulez que votre lecteur ressente, conseille Alexandra Sokollof.

Un autre élément important lors d’un climax est un sentiment d’inéluctabilité. Le shérif Brody fait tout ce qu’il peut pour éviter d’être sur l’eau avec ce requin. Il a peur de l’eau, c’est un flic citadin, la ville est tout aussi dangereuse mais au moins, il en a l’habitude ; bref, c’est la personne la moins probable pour pouvoir faire face à cette créature gigantesque de la mer.

Se sachant totalement incompétent, il engage non pas un, mais deux experts (et donc deux approches diamétralement opposées), l’océanographe Hooper et le grincheux capitaine Quint, pour s’en occuper à sa place.

Mais au fond, nous savons depuis le début, presque à cause de sa peur de l’eau et de son inadaptation à la tâche, que dans la bataille finale, ce sera le shérif Brody, seul, mano a mano, avec ce requin. Et il le tue avec ses propres compétences particulières : c’est un flic, et une chose qu’il connaît, ce sont les armes.

Cette issue est peu probable, mais nous y adhérons parce que le message que dans les moments de crise, nous recourrons à nos expériences, à notre vécu pour trouver les réponses qui nous manquent, nous parle.

C’est une interprétation d’Alexandra Sokollof. Je ne sais ce qu’en pense Steven Spielberg, mais la théorie narrative Dramatica, pour sa part, critique ce point de vue et prétend plutôt que notre vécu appliqué à des problèmes actuels ne peut nous apporter les solutions nécessaires. Il nous faut être novateur. En suivant nos expériences, nous sommes dans la passivité.
Chercher en nous des actions nouvelles à ce qu’il nous arrive, c’est précisément comment fonctionne un récit. Au moment de la crise du personnage principal, alors qu’il croit (et le lecteur aussi) que tout semble perdu, il trouvera en lui une force, une volonté, une puissance dont il ignorait tout. Il l’applique à la situation actuelle et le climax (c’est-à-dire la réponse à la question dramatique posée depuis le début par l’auteur ou l’autrice) nous dit s’il a eu raison ou tort. C’est le message.

La solitude du héros

Autre concept important : l’héroïne ou le héros sont seuls face à l’antagoniste. Il n’y a que soi qui puisse résoudre son problème. Soi est certes un pronom personnel de la troisième personne mais il est aussi réfléchi ce qui signifie qu’il désigne le sujet c’est-à-dire ici, le personnage principal (d’où l’intérêt de bien comprendre si le personnage principal est aussi le protagoniste ce qui n’est pas une obligation selon Dramatica).

Donc il serait prudent de ne pas ôter des mains du héros ou de l’héroïne cette victoire (si le triomphe est l’intention du texte). Néanmoins, cela ne signifie pas, précise Alexandra Sokoloff, que les alliés de ce personnage ne soient pas présent lors du climax.

Dans Le magicien d’Oz, l’héroïne est celle qui a la confrontation ultime avec l’antagoniste, mais elle est entourée par ses alliés. Cette image fait un point thématique fort que nous ne sommes jamais seuls quand nous avons des amis (ou peut-être, que celui ou celle qui a le plus d’amis, réussit mieux qu’un être solitaire).
De même, à la fin de La vie est belle, même si George a déjà pris la décision ultime de son propre chef (George veut vivre), lors du dénouement (qui suit le climax), son problème financier est résolu par le rassemblement de la ville tout entière dans sa maison : toute sa famille, ses amis et ses voisins ont fait une collecte pour rembourser sa dette.

Une anagnorisis précède souvent le climax. Anagnorisis (qui signifie reconnaissance), dans une œuvre littéraire, est la découverte surprenante qui produit un changement d’état. Le personnage passe de l’ignorance à la connaissance.

Anagnorisis est discuté par Aristote dans La Poétique comme une partie essentielle de l’intrigue d’une tragédie, bien que l’anagnorisis se produisît aussi dans la comédie, dans les œuvres épiques, et, plus tard, dans le roman.

Anagnorisis implique généralement la révélation de la véritable identité des personnes, une identité que l’on était loin de soupçonner, comme quand un père reconnaît un étranger comme son fils (Je suis ton père), ou vice versa.
L’une des meilleures se produit dans Œdipe Roi de Sophocle quand un messager révèle à Œdipe sa véritable naissance, et Œdipe reconnaît sa femme Jocasta comme sa mère, l’homme qu’il a tué à la croisée des chemins comme son père, et lui-même comme le pécheur contre nature qui a apporté le malheur sur Thèbes.

Cette reconnaissance est d’autant plus satisfaisante sur le plan artistique qu’elle s’accompagne d’une péripétie (un renversement de situation, un coup de théâtre). Ici, il s’agit d’un changement de fortune du bien au mal qui mène à la catastrophe tragique.

Une anagnorisis n’est pas toujours accompagnée par une peripeteia, comme dans l’Odyssée, quand Alcinoos, roi de Schérie, observe son ménestrel divertir un étranger naufragé avec des chansons de la guerre de Troie, et cet étranger commence à pleurer et se révèle comme nul autre que Ulysse.

Aristote discute de plusieurs types d’anagnorisis employés par les dramaturges. Le type le plus simple est la reconnaissance par des cicatrices, des taches de naissance, des signes de reconnaissance en somme parce que l’intelligence ne suffit pas parfois. Plus intéressants, néanmoins, sont ceux qui découlent naturellement des incidents de l’intrigue.

La reconnaissance de l’autre en soi

Alexandra Sokollof précise qu’il y a très souvent un moment dans le déroulé du climax où l’héroïne ou le héros se rendront compte que elle ou lui et l’antagoniste sont des images miroir l’un de l’autre. Ou bien l’antagoniste peut fournir une révélation au moment de la confrontation qui détruit presque le héros ou l’héroïne… mais qui, en fin de compte, les rend plus forts.

Dans une fiction, le temps qui passe se confond avec l’espace de l’intrigue. Or l’être humain et paradoxalement l’être de fiction changent nécessairement au fil du temps ne serait-ce que de vieillir. On acquiert de nouvelles connaissances, on grandit de nos expériences et ce presque idéal se retrouve dans l’arc dramatique des personnages de fiction.

Cet arc dramatique est effectivement une métamorphose. Celle-ci peut nous mener vers d’autres horizons mais d’après ce que je comprends d’Alexandra Sokollof (qui ne l’a pas inventé, elle ne fait que répéter), il s’agirait plutôt d’intégrer une part d’ombre de notre personnalité (niée ou refusée jusqu’à présent) afin d’asseoir si possible ce que l’on peut admettre comme une identité personnelle.

Et c’est dans l’image de l’autre, antagoniste dans le cas présent parce que cela est plus dramatique, mais dans la vraie vie, ce n’est peut-être pas nécessaire, que l’on peut éventuellement atteindre à cette complétude qui nous manque.

Cela devrait pouvoir fonctionner avec l’image du père (quel que le sexe du personnage principal) mais avec d’autres images, nous pourrions en parler dans le forum si vous le voulez bien.

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