LE PLAN DU HÉROS

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Si un héros ou une héroïne était capable de réaliser son plan pour résister à l’adversité qui le ou la frappe sans problème, cela ne ferait pas un très bon drame, nous prévient Alexandra Sokoloff.
Donc, une fois que vous avez votre plan initial pour votre protagoniste, vous devez constamment bloquer ce plan, soit avec votre antagoniste, soit avec le conflit intérieur de votre personnage principal, soit avec des forces extérieures qui échappent à son contrôle.

hérosDans Les dents de la mer, le shérif Brody est confronté au problème d’un grand requin blanc, un tueur par excellence [cette notion d’excellence est fondamentale en fiction car bien que s’inspirant de la vie par une foultitude d’aspects, il est bon que la fiction soit néanmoins plus grande que la vie, quel que soit le sens que vous donnerez à grand], la stratégie initiale de Brody est donc de fermer la plage. Il rassemble quelques panneaux « Plages fermées » faits à la main et les plante dans le sable.

Le problème semble résolu. En effet, nos premières réactions face à un problème que nous ne contrôlons pas (qui nous tombe dessus en quelque sorte) est d’employer les solutions les plus simples. Et le héros Brody n’y échappe pas.

La stratégie du héros toujours menacée

Si ce plan initial avait réellement fonctionné, Les dents de la mer n’aurait pas connu un tel succès et ne serait certainement pas entré dans l’histoire du cinéma, dit Alexandra Sokoloff.

Le but du drame (y compris la romance et la comédie) est que le plan du héros ou de l’héroïne est constamment contrecarré : par l’antagoniste principal, par un nombre quelconque d’adversaires secondaires et tertiaires, par le Love Interest (c’est un personnage dont un autre personnage est ou tombe amoureux), par la nature ou bien par le héros lui-même (on dit souvent être notre propre ennemi).

Donc, presque toujours, le plan initial échoue. Ou s’il semble réussir, c’est seulement pour nous tromper un instant – avant que nous ne réalisions à quel point le plan a misérablement échoué. Si l’effort initial est si faible, c’est parce que c’est dans la nature humaine de déployer le moins d’efforts possible pour obtenir ce que nous voulons. Comme si les choses nous étaient dues sans que nous ayons à faire un effort suffisant pour obtenir ce que nous désirons.

Nous ne prenons des mesures plus importantes et plus désespérées que si nous y sommes contraints. Et le fait qu’un héros ou une héroïne soit forcé de prendre des mesures plus importantes et plus désespérées est l’une des pierres angulaires d’une action dramatique, constate Alexandra Sokoloff.

Maintenant, dans Les dents de la mer, le principal antagoniste est le requin. Le plan du requin est de se nourrir en dévorant tout ce qu’il lui passe devant le museau (il pourrait être intéressant de se pencher sur ce thème de la dévoration).

Le plan initial de Brody, qui consistait à fermer les plages, aurait peut-être résolu son problème avec le requin, car sans un approvisionnement régulier en nourriture, la bête aurait probablement déménagé sur une autre plage plus accueillante.

Mais la stratégie initiale de Brody fait ressortir un antagoniste secondaire : les édiles de la petite cité balnéaire. Ils ne veulent pas que les plages soient fermées, car les mois d’été, en particulier le weekend du 4 juillet, représentent 70 % (ou quelque chose d’approchant) des revenus annuels de la ville.

Le projet des autorités est de garder les plages ouvertes, ce qui est un conflit direct. Le maire menace donc indirectement le nouveau shérif Brody de perdre son emploi s’il ferme les plages. Et Brody capitule (il est important que le personnage ne soit pas imprégné par les expériences et les habitudes de la cité balnéaire car il doit réagir à l’instinct et non par une soudaine prise de conscience. De plus, s’il avait eu l’habitude de Amity, l’angoisse de Brody liée à l’eau n’aurait pas fonctionné).

Des choix désastreux

Cela s’avère désastreux et tragique, lorsque le lendemain même (alors que Brody observe l’océan depuis la plage, comme si cela allait empêcher une attaque du requin) un autre nageur, un petit garçon cette fois, est tué par le requin.

Cet événement culpabilise Brody d’autant plus qu’il lui prouve l’évidence que sa décision initiale de fermer les plages aurait certainement évité le drame.

Les élus de la ville organisent une réunion et décident d’un nouveau plan : ils ferment les plages pendant vingt-quatre heures. Brody n’est pas d’accord, mais son avis est rejeté.

L’excentrique capitaine Quint propose alors ses services pour tuer le requin – pour dix mille dollars. Mais le maire n’est pas vraiment disposer à payer.

Notez comme l’appel à l’aventure est habilement dissimulé ici. Habituellement, le héros est plutôt réfractaire à s’engager dans l’action pour telle ou telle raison qui justifie d’ailleurs tout à fait une telle attitude.
Brody veut prendre immédiatement des mesures ce qui le forcerait aussitôt dans une confrontation directe avec le requin, c’est-à-dire toute la moelle de l’acte Deux, de l’intrigue. Comme il lui est opposé une fin de non-recevoir en tant que Brody, ce sera la part d’ombre du shérif, Quint, qui fera une proposition. Bien sûr, le maire réagit de la même façon que ce soit Brody ou Quint.

Comme Brody ne peut accepter que Quint prenne le dessus, en réponse, il développe un nouveau plan, que l’on voit souvent dans les récits (constate Alexandra Sokollof) : il contacte un expert venu de loin, l’océanographe Matt Hooper, spécialiste des requins, pour qu’il vienne donner ses conseils d’expert.

Parallèlement, un nouvel antagoniste, la mère du petit garçon tué, annonce son propre plan : elle offre une prime à tout pêcheur qui tuera le requin qui a tué son fils.
La prime donne lieu à une régate de pêcheurs de tout horizon. L’un de ces équipages capture un requin tigre, que le maire s’empresse de déclarer comme le requin tueur. Affaire classée, problème résolu, et les plages peuvent être rouvertes.

Hooper est catégorique : le requin est de loin trop petit pour avoir causé les dommages causés à la première victime, et veut ouvrir le requin pour le prouver. Le maire refuse, et est tout aussi catégorique qu’il n’y a plus besoin de Hooper.

Nous comprenons que Brody est secrètement d’accord avec Hooper. Mais, en son for intérieur, il veut croire que le cauchemar est terminé. Cependant, quand la mère du garçon tué gifle Brody et l’accuse d’avoir causé la mort de son fils (en ne fermant pas les plages, puisque, à toute conséquence, il faut bien une cause), Brody accepte d’enquêter plus avant avec Hooper (c’est sa nouvelle stratégie comme moyen de résister à l’erreur manifeste des autorités) et ils découpent eux-mêmes le requin pour vérifier ce qu’il contient. Bien sûr, c’est le mauvais requin.

Les faits s’accumulent

hérosLe plan révisé de Brody consiste à convaincre le maire de fermer les plages, mais le maire refuse à nouveau et poursuit son projet de réouverture (accompagnée d’une grande publicité pour la capture du requin « tueur »).
Les plages rouvrent pour le 4 juillet et la sécurité est assurée par les garde-côtes en mer pour surveiller, au cas où. Alors que tout le monde est distrait par une fausse alerte au requin, le vrai requin glisse dans une crique soi-disant sûre où le propre fils de Brody nage.

Le requin dévore un canotier et tue presque le fils de Brody (et le timing est si diabolique qu’il semble presque que le requin ait son propre plan qui consisterait à narguer Brody sur son propre terrain).

Comprenez bien que ce qu’Alexandra Sokoloff tente ici est de nous faire la démonstration qu’un récit est une succession de stratégies.

A ce moment-là de l’intrigue, le plan du maire change : il fait un chèque pour Quint et le donne à Brody pour qu’il engage le capitaine Quint pour tuer le requin. Mais ce n’est plus suffisant pour Brody, maintenant. Il doit aller sur le bateau avec Quint et Hooper lui-même, malgré sa peur de l’eau (le personnage de Brody a évolué dont la menace sur son fils est une étape), pour s’assurer que ce requin soit bien mort (il conçoit ainsi une nouvelle stratégie. Faites la différence entre la conception et la réalisation. Concevoir une action ne signifie pas nécessairement qu’elle se déroulera selon ce qui est anticipé par l’élaboration même de la stratégie).

C’est ce qu’il se passe au point médian de l’histoire, et il s’agit d’une refonte radicale du plan initial de Brody (qui prévoyait toujours d’éviter à tout prix d’aller dans l’eau lui-même). Et il arrive très souvent qu’au milieu d’une histoire, la stratégie initiale soit complètement chamboulée.

Et pourtant, Brody n’est toujours pas vraiment engagé dans son aventure en fin de compte. Pour la seconde moitié de l’acte Deux il laisse d’abord Quint puis Hooper prendre la tête de la chasse au requin. Le plan de Quint est de tirer sur le requin des harpons reliés à des barils flottants et de le forcer à remonter à la surface, où ils pourront le harponner à mort. Mais le requin s’avère bien plus fort que ce que l’on attendait, et continue à s’immerger, même avec un tonneau après l’autre attaché à son cuir.

Et maintenant, une chose vraiment intéressante se produit, remarque Alexandra Sokoloff. Le requin, supposé n’être qu’une bête mue par son seul instinct de survie, commence à faire des choses réfléchies comme se cacher sous le bateau pour que les hommes pensent qu’ils l’ont perdu. Il semble avoir un nouveau plan et singulièrement intelligent qui lui est propre.
Et quand les défenses des hommes sont en déroute, le requin entre soudainement dans le bateau et fait un trou dans la coque, ce qui fait que le bateau prend une quantité d’eau alarmante et rend les hommes vulnérables aux attaques.

Lorsque tout semble perdu

C’est le moment du All is Lost. Le plan de Brody à ce moment-là est de demander de l’aide par radio et de quitter le bateau. Mais au milieu du chaos, Quint se transforme soudain en adversaire en fracassant la radio – il a l’intention de tuer ce requin lui-même.
Hooper prend le relais et propose un nouveau plan : il veut descendre dans une cage à requins avec un fusil à fléchettes empoisonnées pour tirer sur le requin. Mais le requin attaque la cage, et alors que le bateau continue de couler, le requin bondit à moitié sur le pont et dévore Quint.

Brody est maintenant seul contre le requin, et dans un dernier plan désespéré (le plus excitant dans un climax), il introduit un réservoir d’oxygène entre les mâchoires de la bête et tire jusqu’à ce que le réservoir éclate, et le requin explose en morceaux sanglants.

Comme presque toujours, c’est seulement ce dernier plan désespéré, dans lequel le héros ou l’héroïne font face à l’antagoniste complètement seuls (c’est une convention d’écriture), qui sauve la situation.

Il peut être vraiment instructif et utile de se concentrer sur les objectifs de tous les personnages clés d’une histoire et de suivre la façon dont ils s’affrontent et entrent en conflit, en particulier la façon dont ils échouent. Car chaque fois qu’un plan échoue, il nécessite un recadrage et une nouvelle action, ce qui crée de la tension, du suspense, un engagement émotionnel et une certaine excitation.

Si vous trouvez que votre propre intrigue s’affaisse, surtout dans ce long acte Deux, essayez d’identifier et de suivre les différents plans que vos personnages mettent en place pour confronter la situation présente. Ce sera peut-être ce qu’il vous faut pour faire de votre histoire une nouvelle histoire , plus intime, plus bouleversante pour le lecteur.
Vous trouverez peut-être utile de mettre ces énormes échecs des stratégies lors de votre point médian, et au climax de l’acte deux – le All Is Lost connu aussi comme Dark Night of the soul (un tourment de l’âme en quelque sorte).

Chaque fois que votre héros ou votre héroïne perdent (ou risque de perdre) gros, cela rend le lecteur inquiet sur ce qu’il va s’ensuivre, et c’est ce que auteurs et autrices recherchent. Vous voulez que votre lecteur soit aussi désespéré que peuvent l’être le héros ou l’héroïne d’accomplir leurs destinées.

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