Alexandra Sokoloff propose comme structure la forme des trois actes et des huit séquences. C’est une proposition et non une convention. Elle s’inspire d’ailleurs de Syd Field dans son découpage.
Cela signifie qu’un scénario de 110 pages (et cela représente une durée de 110 minutes – une page de scénario à peu près correctement formaté équivaut à une minute de présence sur l’écran et non de l’histoire) est divisé en un premier acte d’environ 30 pages, un deuxième acte d’environ 60 pages et un troisième acte d’environ 20 pages car le point culminant d’une histoire (son acmé ou climax) accélère et condense l’action.
Si vous structurez un livre, vous utilisez les mêmes proportions. Dans un livre de 400 pages, le premier acte compte environ 100 pages (p. 1-100), le deuxième acte 200 pages (p. 100-300) et le troisième acte 100 pages (p. 300-400).
C’est très arbitraire comme structure mais il ne faut pas s’en offusquer outre mesure. Avoir la tête dans les nuages est très agréable tant que les jambes sont suffisamment longues pour que les pieds touchent terre.
Pourquoi trois actes ?
Selon Alexandra Sokoloff, la finalité de cette structure en trois actes est de parvenir le plus naturellement possible au climax ou plutôt au concept de Act Climaxes, c’est-à-dire que l’action décrite dans un acte mène forcément à un acmé, un point culminant au-delà duquel seul l’imaginaire du lecteur/spectateur lui permettrait d’étendre l’histoire qui vient de lui être contée.
Voyez comment Robert McKee propose de lier cette apogée à l’action ou à la réaction d’un personnage. Le concept de climax est lié à l’histoire du théâtre. Le point culminant (et au théâtre, il peut y avoir plus que trois actes) se joue hors de la scène (hors de la perception du spectateur), nous dit McKee.
Ce qui se joue sur scène, c’est la réaction des personnages à ce moment de l’acte qui est le but de tout acte. Dans la vraie vie, dit Robert McKee, il y a sans cesse des événements et on réagit à ces événements. C’est une articulation entre une action et une réaction. Et cela se produit sans cesse. Dans le moindre des petits moments, dans nos rapports aux autres, dans nos conversations où on est à tour de rôle locuteur ou interlocuteur, sans cesse, il y a cet assemblage entre une action et une réaction.
Et cela n’a rien à voir avec ce stupide adage que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Pour une cause, il est possible une infinité d’effets. Pour une action, il est possible une infinité de réactions. Et on peut inverser la problématique : pour une réaction donnée, les conditions qui ont permis qu’elle se produise peuvent s’agencer selon de multiples circonstances.
Qu’est-ce qu’un climax ? Robert McKee avance la définition d’un renversement, d’un retournement de situation, d’un revers de fortune… Pour McKee, c’est le moment d’un changement majeur dans la vie d’un individu. Ce n’est pas toujours négatif. Mais cela provoque toujours une réaction. On ne reste pas indifférent à ce qu’il nous arrive.
Maintenant, du point de vue de l’auteur, Robert McKee insiste sur le choix que doit faire cet auteur s’il veut mettre l’accent sur l’action ou bien sur la réaction. Le choix devrait être guidé selon que l’action est commune ou bien plus particulière. Deux amants se séparent, par exemple. Il n’y a rien d’exceptionnel à cela. Une rupture ne mérite pas vraiment qu’elle soit décrite comme un climax de la relation qu’entretenait ces deux personnages, ces deux amants.
Certes, au moins pour l’un d’entre eux, un monde s’écroule. Mais une rupture est trop banale pour qu’on s’y attarde. Ce qui importe, c’est la réaction à cette séparation. Le pourquoi peut avoir été progressivement expliqué mais ce qu’il faudrait montrer, dit Robert McKee, c’est comment l’un des personnages vivra cette ruine d’une situation qui offrait pourtant un horizon si lumineux.
Il y a tellement de sacrifices qui ont été fait dans l’acte d’aimer et prendre conscience soudain que tout cet abandon de soi, un soi dissous dans l’amour de l’autre, est vain… s’avère être une chose terrible. Pour l’auteur et pour le lecteur, décrire cette prise de conscience est bien plus dramatique que de faire la démonstration, insignifiante parce que trop ordinaire, d’une rupture.
Dévoiler le personnage
Décrire comment un personnage vit une situation tragique permet à l’auteur de lui apporter une richesse qui ne pourrait se déployer dans la banalité.
Et inversement, souligne McKee, quand la réaction à des circonstances données est logique comme lorsqu’un monstre surgit face à nous, la réaction instinctive (celle de la survie) est de fuir et cette dérobade même si elle ressemble à une défaite (qui apporte le drame avec elle) est si commune qu’elle n’est pas digne de conclure un acte.
Alors c’est l’action qui doit mener au climax. L’acte se termine par une question dramatique (on peut d’ailleurs appliquer la même technique narrative au niveau de la scène) à laquelle il sera répondu plus tard.
L’action consiste à montrer la cause dans tout ce qu’elle a à offrir et on laisse de côté les effets. Car si on pose les conséquences au climax, on ruine tout l’effet de l’acte et c’est cet effet qui doit être recherché, qui permet de laisser le lecteur dans une position d’attente. C’est du suspense.
Revenons à la structure dramatique des trois actes. L’histoire du théâtre nous renvoie à des débuts datant entre 500 et 300 avant notre ère.
La structure en trois actes crée un rythme. C’est une bonne chose le rythme parce que c’est un mouvement. La vie est un mouvement. Nos relations aux autres sont des mouvements. Ce qu’il se passe en nous, au hasard de nos rencontres, est un mouvement.
Un autre résumé de la structure fondamentale d’une fiction qu’on entend souvent est qu’un individu veut très fort quelque chose et a du mal à l’obtenir (mais finit par l’obtenir, ou pas).
Encore une fois, trois parties : une héroïne ou un héros avec un désir (qui n’est pas un besoin), une opposition au désir (qui parfois vient de l’intérieur même du personnage) et un éventuel triomphe (ou échec).
Ce rythme de base de la narration en trois parties a été mis en forme par les dramaturges grecs classiques et est toujours largement le même aujourd’hui et pas seulement au théâtre, mais dans tous médias dramatiques.
Il est habituel aussi de distinguer deux parties dans l’acte Deux ce qui permet de situer imaginairement un point médian du récit. Ce point médian a son importance. C’est souvent à ce moment que le personnage principal connaît le plus terrible de sa situation actuelle. Tout semble vraiment perdu pour lui. Cela nous arrive aussi dans la vraie vie.
Ainsi, parce qu’elles ont été la forme de divertissement dramatique dominante pendant des milliers d’années, les pièces de théâtre ont eu une influence indiscutable sur tous les médias dramatiques. Et ce qu’il est important de comprendre à propos de la structure des pièces, souligne Alexandra Sokoloff, c’est qu’elles sont basées sur la durée pendant laquelle les êtres humains peuvent raisonnablement rester assis au même endroit sans s’ennuyer, sans s’agiter, sans avoir faim ni soif et sans être simplement engourdis et bien sûr sans avoir à quitter le spectacle.
Climax et Cliffhanger
La vie n’est pas faite seulement de mouvements. C’est un rythme de mouvements et de repos. Le souci est qu’au moment du repos, le lecteur/spectateur a tendance à se décrocher de l’histoire. Il est donc important lorsque le premier acte et le second acte se closent de parvenir à maintenir l’attention de son lecteur.
Et c’est ainsi que le cliffhanger est né. La « scène du rideau », ou tout simplement le « rideau », devait être si explosive – une révélation ou un renversement si saisissant, un changement si dramatique dans la dynamique du pouvoir des personnages – que le spectateur voulait revenir dans la salle après l’entracte pour savoir ce qu’il allait se passer ensuite.
Cette scène du rideau est bien vivante encore aujourd’hui, elle est devenue le point culminant de l’acte. Dans les films, ce n’est pas aussi évident parce que le film ne s’arrête pas pour une pause à l’apogée de l’acte, mais ce rythme est bien là. D’ailleurs, à la télévision, les emplacements des annonces commerciales savent dorénavant user de ce stratagème mercantile et déplorable pour nous matraquer leurs méchants messages.
Huit séquences vraiment ?
D’abord, quelques uns de nos articles :
Mais le vrai secret de l’écriture et de la réalisation de films, selon Alexandra Sokoloff (mais cela n’engage qu’elle), c’est que la plupart des films ont une structure en trois actes et huit séquences. La plupart des films peuvent être divisés en huit séquences distinctes de 12 à 15 minutes, chacune d’entre elles ayant un début, un milieu et une fin.
Ce qu’il est néanmoins difficile d’admettre dans ce raisonnement, c’est qu’en analysant ainsi un récit qui est un tout et non un assemblage de parties distinctes, on détruit, anéantit le récit. Il disparaît. Mais continuons avec la pensée d’Alexandra Sokoloff.
Vous ne voulez jamais interrompre l’expérience d’un rêve continu de votre lecteur/spectateur. Les premiers scénaristes ont donc intégré ce rythme de changement de bobines dans leur écriture, en développant des séquences avec leur propre début, milieu et fin, qui duraient exactement la longueur d’une bobine, et se terminaient par une scène de climax, une action, une révélation ou une question surprenante qui donnait au public quelque chose à se demander pendant ce rythme de changement de bobines.
C’est un effet de type cliffhanger : il donne au lecteur/spectateur une raison de vouloir savoir ce qu’il se passe ensuite. Il est accroché, artificiellement accroché et probablement écorché s’il ne se posait pas cette interrogation sur le devenir du personnage principal.
Et les films modernes suivent toujours ce même rythme de narration de huit séquences. Nous sommes si inconsciemment habitués à ce mouvement narratif que nous l’attendons (et cette attente participe du suspense), parce que nous l’avons vécu dans tant de films au cours de notre vie de spectateur (quelle que soit la taille de l’écran).
Et c’est cette expérience qu’Alexandra Sokoloff suggère de préparer pour le lecteur.
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