Penser un personnage, c’est aussi poser une personnalité sur ce personnage.
L’auteur d’une fiction est obligé de considérer la personnalité et le personnage de manière à répondre à ses besoins, dans son cas aux besoins de la fiction qu’il écrit. Quoi que les auteurs pensent réellement de la personnalité, lorsqu’ils entrent dans l’étude de l’écriture, ils entrent dans un monde d’artifices.
Ann et Eric Maisel nous proposent leur point de vue sur ce qu’un personnage signifie pour un auteur. Ils souhaitent nous guider au cours d’un voyage dans le monde tout autant artificiel de la psychologie. Les raisons de cette excursion ne sont peut-être pas évidentes à première vue, mais elles le deviendront au fur et à mesure que nous découvrirons dans nos articles ce qu’ils ont à nous dire.
Pour Ann et Eric Maisel, les auteurs de fiction ont une longueur d’avance sur les psychologues lorsqu’il s’agit de comprendre la personnalité et le personnage, pour dire les choses différemment : les auteurs de fictions sont nos vrais psychologues.
La psychologie fait son entrée en matière
Pendant des milliers d’années, les philosophes et les poètes de la nature ont spéculé sur la nature humaine. À la fin du XIXe siècle, deux événements historiques – la création de la psychanalyse par Sigmund Freud (une façon thérapeutique d’aborder autrui) et la tendance de la psychologie à l’expérimentation et à l’instrumentation – ont conduit à la croyance très répandue que la psychologie devenait une science.
Une telle théorie expliquerait de manière complète et précise le fonctionnement des êtres humains. Cet objectif, bien que plus implicite qu’explicite, a poussé les premiers psychologues à créer des théories de la personnalité qui prétendaient mettre en évidence les mécanismes centraux de la personnalité.
Ils ont inventé le langage de ce territoire au fur et à mesure, en introduisant des mots comme inconscient, régression, ego, archétype, et des dizaines d’autres destinés à représenter des concepts qu’ils prétendaient réels mais que, rétrospectivement, ils ne faisaient que poser comme principe, nous disent Ann et Eric Maisel, c’est-à-dire des hypothèses qu’on ne nous demandait pas de critiquer.
Peut-être pouvaient-ils ou peut-être ressentaient-ils vraiment une différence dans ces termes nouveaux, ou une autre qualité que personne n’avait réussi à énoncer avant eux, à définir une recherche opérationnelle (l’observation des faits et en tirer des lois générales), à faire des expériences ou à déterminer des concepts innovants et à tenter de les expliquer.
Peut-être s’étaient-ils aveuglés, soulignent Ann et Eric Maisel, comme dans ce conte métaphorique des aveugles qui confondaient les différentes parties de l’éléphant avec d’autres objets (l’un d’entre eux par exemple, palpant une patte de l’éléphant, déclara qu’elle était un solide pilier).
Il est certain que personne n’a examiné les théories qu’ils ont créées et n’a eu l’impression que les êtres humains tels que nous les connaissions, avec leur vie intérieure, leur imagination et, parfois, leur sourire ironique et leur esprit piquant, étaient représentés. Théoriser la nature humaine, c’est s’éloigner de sa réalité.
Ann et Eric Maisel ont un jugement très dur : n’étant pas parvenus à déterminer ce qui nous fait avancer, aucun psychologue, psychiatre, thérapeute familial ou travailleur social clinique ne pouvait dire, sauf à titre de supposition, ce qui causait la dépression, l’anxiété, la dépendance, la psychose ou tout autre mal dont nous souffrons souvent au quotidien.
Comme la nature abhorre ce genre de vide, les compagnies pharmaceutiques se sont précipitées et ont commencé à concocter des composés pour combler ce vide.
Une approche thérapeutique contesté
En l’absence d’une théorie solide de la personnalité, qui expliquerait réellement pourquoi une personne peut être anxieuse, déprimée, dépendante…, les professionnels de la santé mentale se sont retrouvés avec trois façons de gérer notre santé émotionnelle, constate Ann et Eric Maisel.
Ils pouvaient vous prescrire des médicaments. Ou s’appuyer sur leurs méthodes cliniques – les méthodes de la psychanalyse, par exemple, la libre association et le travail par transfert – et s’en tenir à leurs méthodes, qu’ils obtiennent ou non des résultats positifs.
Ou ils pourraient faire ce que les philosophes de la nature ont fait pendant des milliers d’années, utiliser leur bon sens et leur compréhension de la nature humaine – et beaucoup de sagesse à terme et de sensibilité – pour modifier nos comportements.
La psychologie (telle que le constate Ann et Eric Maisel) apporterait cette aide professionnelle à toute sorte de problème humain, et elle trouverait sa façon de se saisir de la question. Ne divisant pas l’univers en bien et en mal ou en ordre et en désordre et interprétant la nature humaine comme un enchevêtrement de causes, d’habitudes et de motivations, une sorte de tapisserie de génétique et de culture, la psychologie est faite de conseils, de compassions, de réprimandes, d’écoute. Elle fait des suggestions, non pas parce qu’elle a une théorie, mais parce qu’elle a des idées sur ce qui pourrait aider.
Il s’est avéré qu’il y a une réelle différence entre se tenir derrière une théorie et avoir des connaissances ou des intuitions sur la nature humaine. La théorie ne peut être appelée que pseudo-science, la seconde approche, sagesse. Tel est le point de vue d’Ann et Eric Maisel qui s’en tiennent à ce que la source d’un pouvoir de guérison semblerait résider dans le bon sens et la sagesse, dans la reconnaissance de l’humanité et un point de vue poétique sur la vie et le monde, et non dans ce que cent ans de psychologie auraient enseigné.
L’auteur : une approche différente
Il n’y a pas plus expert que vous en matière de psychologie de la personnalité. Le clinicien ordinaire ouvre sa bible et nomme votre problème en fonction des symptômes que vous signalez. Si vous dites que vous vous sentez déprimé depuis un certain nombre de jours, que vous avez des troubles du sommeil et que la vie ne vous procure que peu ou pas de plaisir, un clinicien fait courir son doigt le long de la page et vous dit qu’il s’agit d’une dépression majeure. Un auteur fait quelque chose de très différent.
Un auteur entre dans son personnage déprimé et insomniaque et découvre qu’il est déprimé parce qu’il a contracté un mariage sans amour qui avait un sens d’un seul point de vue, celui de la sécurité, mais qui était une horrible erreur d’un point de vue purement humain, puisque ce personnage se mentait à lui-même concernant son partenaire.
Un clinicien dit qu’il s’agit d’une dépression majeure. Un auteur voit autrement. Étant donné ce conflit intérieur, étant donné que ce personnage aime vraiment son confort mais déteste son riche partenaire, que fera-t-il ?
Si nous lui présentions, non pas un bel étranger, mais quelqu’un qu’il ne regarderait jamais deux fois dans des circonstances ordinaires mais qui, du fait de ce conflit, commence à l’attirer de manière obsessionnelle ? Ne serait-ce pas intéressant ? demande Ann et Eric Maisel.
Un auteur met en place sa propre expérience exceptionnelle : son œuvre de fiction. Il se dit : Comment une conscience coupable se manifesterait-elle dans un personnage qui pense avoir droit au meurtre mais découvre qu’il ne se sent pas en droit de le faire ? L’auteur mène son expérience : Il écrit Crime et Châtiment.
Il peut penser qu’il sait comment son roman doit se terminer, mais il doit quand même écrire le roman – mener l’expérience, en quelque sorte – pour en être sûr. Tant qu’il n’habite pas le paysage sur lequel il a décidé d’enquêter, il ne peut pas être certain que ses personnages vont faire ce qu’au moment de la création de son œuvre, il suppose qu’ils doivent faire.
Le romancier écrit et, en écrivant, il se dit : Je sais que Raskolnikov finira par avouer, mais je ne peux pas le faire avouer si je ne l’y amène pas en toute légitimité. La légitimité psychologique du voyage est le souci primordial de son auteur.
Ce que le lecteur veut est que l’auteur ait pénétré dans ses personnages et nous ait amené à la fin de l’histoire de manière légitime. C’est cet effort de légitimité, mis à l’épreuve par l’auteur et le lecteur dans chaque paragraphe, que nous respectons. C’est le maintien réussi de la plausibilité psychologique que nous applaudissons.
Nous n’avons pas besoin de nos auteurs pour créer des théories indéfendables de la personnalité, insistent Ann et Eric Maisel. Nous avons besoin qu’ils fassent quelque chose de plus remarquable : nous avons besoin qu’ils comprennent la personnalité.
Est-ce seulement possible ?
Nous ne savons même pas ce qui est trop inconcevable dans le domaine de la personnalité. Est-il inconcevable que la personnalité la plus forte puisse craquer sous la pression ? Non. Est-il inconcevable qu’un mariage heureux de vingt-cinq ans puisse s’effondrer au cours de la vingt-sixième année ? Non. Est-il inconcevable que, sous un ciel bleu et clair, une personne puisse changer de carrière, de pays ou d’attitude fondamentale face à la vie simplement parce qu’une pensée errante est entrée dans sa conscience ? Non.
Cela peut être incommunicable mais certainement pas inconcevable.
Dans le domaine de la personnalité, il est difficile de concevoir un scénario inconcevable. En même temps, nous croyons à la cohérence essentielle de la personnalité (on peut lire aussi ici et là l’unité de la conscience), de sorte que si une personne que vous connaissez bien disait quelque chose qui ne correspondait pas à son caractère, nous le saurions aussitôt.
L’auteur, véritable expert de la nature humaine, peut tout faire dans le domaine du comportement humain. Mais quoi qu’il en soit, il doit répondre à certains critères de plausibilité et de légitimité, affirme Ann et Eric Maisel.
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