Selon Martha Alderson, il apparaît que l’intrigue incarne bien plus que la somme des événements d’une histoire qui semble être la définition standard que l’on donne de l’intrigue.
L’intrigue est la façon dont les événements d’une histoire ont un impact direct sur le personnage principal. Toujours, dans les histoires les mieux écrites, les personnages sont émotionnellement affectés par les événements. Dans les grandes histoires, l’action dramatique transforme les personnages. Cette transformation donne un sens au récit.
Prenons garde cependant à ne pas tomber dans l’affectivité pathétique outrancière. Il suffit de voir ces quelques publicités qui cherchent à manipuler les émotions des spectateurs en jouant sur le registre pathétique pour s’apercevoir de leurs médiocres tentatives. Nous sommes encore très loin d’un démarquage honorable du romantisme des dix-huitième et dix-neuvième siècles.
Préparer le plan de son intrigue
Planifier son intrigue consiste en une ligne visuelle irrémédiablement fléchée et irréversible (tout comme l’est le temps) qui représente le dynamisme d’un récit. Cela vous permet d’évaluer la signification de vos personnages et l’action dramatique de votre histoire en voyant comment toutes les scènes fonctionnent ensemble sur la toile de fond de l’ensemble de la pièce. Le langage n’est décidément pas chose facile lorsqu’il s’agit de traduire sa pensée pour qu’elle soit bien réceptionnée.
Selon Martha Alderson, une telle approche stratifiée de votre histoire vous permet d’avoir une perspective unique sur la signification profonde de celle-ci.
Planifier donne un compte rendu visuel de toutes les scènes d’une histoire. Il vous aide à comparer les scènes qui intensifient le conflit et le suspense aux scènes plus calmes qui montrent le personnage en action sans qu’il soit le jouet de ses passions, entraînant ainsi chez lui une certaine passivité.
Chaque scène apporte plus de tension et de conflit que la scène précédente et se développe avec intensité jusqu’au point culminant de l’histoire (autrement nommé le climax). Prendre du recul par rapport à ses mots et considérer l’histoire dans son ensemble vous permet de mieux déterminer la causalité entre les scènes et la cohérence globale de l’histoire.
Avec une telle vue d’ensemble, vous pouvez transformer des scènes avec des personnages riches en émotions qui vivent un conflit qui constitue l’élan dramatique dont bénéficie toute œuvre de fiction. L’émotion devient opérationnelle tant qu’elle est liée au conflit auquel on épargne l’ingérence de la providence.
Faire le plan de son histoire d’abord afin que vous puissiez la voir dans son intégralité : comment les scènes d’action dramatiques s’intègrent dans un ensemble, comment une scène affecte le récit et à quoi correspondent toutes les scènes d’action.
Pour l’instant, concentrez-vous sur l’outil visuel lui-même. Imaginez le plan qui vous aide à développer et à approfondir votre intrigue.
Show, don’t tell
Avant de pouvoir créer une représentation visuelle permettant d’analyser les informations essentielles de l’intrigue, l’exposition et l’ordonnancement des événements de l’histoire (qui n’ont pas être chronologiques si vous ne le souhaitez pas), vous devez disposer les scènes.
Il est probable que vous ayez déjà entendu le mantra des auteurs de fiction : « Montre, ne raconte pas ». Le récit raconte. Les scènes montrent.
Le lecteur expérimente l’action du personnage principal tel que celui-ci la ressent lui-même. Nous en apprenons bien plus sur le protagoniste non parce que l’auteur nous révèle des traits de sa personnalité mais parce qu’il nous montre les actions de ce personnage et les conséquences de celles-ci.
Les histoires sont structurées comme une série de scènes en temps réel.
En regardant une scène se dérouler sur la page (que celle-ci soit celle d’un roman ou la page d’un scénario destiné à devenir un objet film), notre esprit (ou notre âme selon votre façon de voir le monde) se fond avec celui de l’histoire.
Nous nous mettons dans la peau d’un personnage et ressentons ce qu’il ressent. Les scènes d’une histoire créent leur propre temps (il peut être celui vécu par l’un des personnages ou bien celui de l’action qui en quelques minutes condense des heures de temps réel) ainsi que la sensation émotionnelle que le moment présent est tout ce qui existe. Au lieu de nous contenter de lire les mots (ce qui nous situe dans la position stérile de l’observateur), nous nous enfonçons dans le monde de l’histoire et abandonnons même nos propres émotions à l’illusion de la scène.
Les lecteurs vivent ce moment comme les personnages de la scène le vivent.
Cela se renforce à mesure que nous apprenons à connaître les personnages et à nous préoccuper de ce qu’il leur arrive, voire à nous inquiéter pour eux alors même qu’eux-mêmes ne ressentent aucune inquiétude particulière à ce moment de l’intrigue.
Notre corps réagit au niveau viscéral ; notre cœur bat plus vite. Nous rions et pleurons parce que nous sommes impliqués dans le monde de l’histoire lui-même nous rappelle Martha Alderson.
Les scènes se déroulent dans le présent. Évoquez un moment d’émotion vraie et authentique et vous avez vous-même une scène.
La pratique d’écrire des scènes devient un rite spirituel. Dans les moments où vous écrivez des scènes, vous vivez dans le pouvoir du moment présent. Nous pourrions tenter de comprendre ce que cherche à nous dire Martha Alderson ici.
L’intrigue se joue au présent
Pour Alderson, écrire est une expérience de pensée. Penser en scènes et non en paragraphes ou en actes est une habitude à prendre et elle n’hésite pas à faire une analogie avec le rite. Souvent, un rite consiste à se dépouiller de son moi pour personnifier un esprit divin comme un moyen, par exemple, de faire corps et âme avec la nature.
Il ne s’agit pas de franchir le seuil d’un espace sacré. Mais d’éprouver en son âme et en sa chair cet enclos inaccessible dans les conditions normales de notre existence. L’œuvre de fiction nous permet de nous fondre dans un monde fictif (celui que l’auteur a inventé) et de le vivre de toutes les fibres de notre être.
Nous sommes à la fois même et autre. Même dans l’acte de lecture mais Autre dans ce présent imaginaire dans lequel un auteur nous jette (tout comme il jette ses personnages dans un monde et un présent fictif).
Le pouvoir du moment présent complexifie un peu les choses. D’abord, distinguons la différence entre récit et histoire. Un récit est une suite d’événements qui se succèdent dans le temps. Il est ordonné selon la ligne du temps si vous voulez (le passé, le présent et le futur ou bien une série d’instants ou de moments numérotés qui créent une succession d’avants et d’après). L’histoire, quant à elle, n’a pas besoin de respecter cet ordre chronologique pour exister. Elle peut décrire les événements en analepses et prolepses.
C’est-à-dire qu’elle peut agencer les événements du passé ou du futur et les moments présents comme l’auteur le décide. Le passé par exemple pourrait s’immiscer entre deux moments présents.
Néanmoins, Alderson insiste sur la puissance du présent. Continuons sur mes hypothèses de recherche. Notre capacité de compréhension est relative à notre état physique et émotionnel car nous ne sommes pas toujours dans les conditions adéquates pour rendre compte de la vérité de certains aspects de la réalité ou bien parfois, cet état particulier dans lequel nous nous trouvons à un moment quelconque nous fait éclater l’évidence d’une chose.
Notre capacité de compréhension est relative aussi à notre position, c’est-à-dire aux circonstances dans lesquelles nous sommes jetés et qui peuvent être autant légères que tragiques. Et en effet, nous percevons différemment dans les moments de joie ou dans les moments de souffrance.
Cette puissance, que nous possédons à comprendre le monde (qu’il soit extérieur ou bien en nous), dépend en grande partie, et c’est d’autant plus difficile à s’en méfier que cela a tous les atours de l’évidence, des apparences sensibles.
Mélangés aux deux arguments précédents sur l’état et la position, les apparences peuvent nous mener à des interprétations qui peuvent aboutir sur des conclusions ou des conséquences qui, honnêtement, n’auraient pas été souhaitables.
Ceci dit, ramenons le moment présent à une relation à l’autre (relation fondamentale dans une œuvre de fiction).
Cet autre, pour rebondir sur les apparences, nous renvoie que ce qu’il veut bien nous donner de lui-même. Nous croyons le comprendre qu’il s’agisse d’une rencontre ou bien de cet autre que nous connaissons si peu malgré toutes ces années vécues ensemble.
Un autre obscur
Que je vous précise ma pensée. Au cours de mes réflexions, il m’est revenu le terme qu’employait Aristote pour désigner ce qui paraissait obscur, secret, incompréhensible, dont la vérité nous serait inaccessible : adêlon.
Cet autre justement est adêlon. Nous ne pouvons jamais vraiment connaître sa vérité dans la vie réelle.
En fiction, cet autre imaginaire devient un personnage qui n’a plus de secret, totalement accessible, c’est de ce pouvoir que possède l’auteur et dont me semble parler Martha Alderson. Et le moment présent devient cette alchimie qu’est l’imagination doublée de compassion.
Et un moment présent qui n’est pas égoïste car il a la faculté, la puissance de se partager avec le lecteur.
Quelques recommandations de Martha Alderson
Voici quelques éléments de scène qui peuvent inciter vos lecteurs à s’immerger plus profondément dans l’histoire :
- Des personnages auxquels le lecteur s’identifie. Dans identification, on trouve identité. C’est-à-dire une ressemblance. De quelle similitude parlons-nous ? D’expériences. Ce que vit le personnage au cours de l’intrigue, le lecteur ou le spectateur le vit aussi par personnage interposé.
Ce sont des réminiscences des propres expériences du lecteur que celui-ci identifie dans les pérégrinations du personnage. Ces réminiscences peuvent être des choses effectivement vécues ou bien seulement rêvées par le lecteur. Les réponses que donnent le personnage aux situations dans lesquelles il est jeté par l’auteur peuvent alors être édifiantes pour le lecteur/spectateur. - Conflit, tension et suspense qui entretiennent l’attention du lecteur concentrée sur la scène. Selon Alderson, vous maintenez le lecteur prisonnier de ce qu’il se passe dans la scène en jouant sur les émotions que le conflit, la tension dramatique et le suspense ne laissent pas de produire à l’insu du lecteur.
- Comme dans la vie réelle, le passé est en partie responsable de notre comportement actuel. Un personnage de fiction y est aussi soumis. Pour informer cette scène particulière, lui donner un sens, il peut être bon que certains aspects du passé d’un personnage soit connu pour justifier la scène dans l’intrigue actuelle.
Martha Alderson insiste bien sur certains aspects seulement. N’écrasez pas le lecteur sous une histoire personnelle du personnage. Il faut que le lecteur/spectateur ait a priori connaissance de ce qu’il a juste besoin de savoir du passé d’un personnage pour comprendre pourquoi il agit ou subit dans le cours de la scène actuelle. - Le lecteur devrait comprendre assez rapidement qui est le personnage principal et ce qu’il lui arrive dans cette histoire que vous contez sur lui. Plus tôt le lecteur comprendra la situation du personnage et plus tôt, le processus de compassion se mettra en place.
Dans les séries, on pense souvent que l’on a du temps pour expliquer qui est un personnage, mais si cette exposition prend par exemple jusqu’à quatre épisodes au cours desquels le personnage ne fait que subir et rester dans les ténèbres sans qu’il comprenne lui-même ce qu’il lui arrive, vous risquez d’user la patience de votre lecteur/spectateur. - Alternez action et pause afin de créer un rythme. Je vous renvoie à notre article ASSURER SES SCÈNES sur ce sujet.
- Des détails sensoriels forts. C’est le credo de Martha Alderson. Avant d’écrire la scène, comprenez bien l’effet que vous souhaitez obtenir sur votre lecteur. Cette impression sera totalement formée à la fin de la scène et se construit progressivement au cours de celle-ci. Par exemple, votre personnage doit abattre sa femme devenue zombie. C’est le seul moyen pour que cesse ses souffrances.
Avant que le corps de sa femme n’apparaisse dans la visée de la lunette de tir, le personnage se recueille dans les images des albums de photos qu’il a conservées des jours heureux maintenant disparus. Les souvenirs affluent dans ce corps qui déambule sans but et dans ce regard qui ne semble pas vide.
Au moment de tirer, votre personnage pourtant se ravise. Il ne peut tuer cette femme qu’il a aimée même s’il est patent que celle-ci est morte. Il n’est pas encore prêt à faire le deuil. C’est cette impression qui doit être recherchée par l’auteur. D’autant plus qu’elle anticipe des actions futures qui accrochent déjà le lecteur dans la suite de l’intrigue. - Si c’est possible par les conditions de la scène, celle-ci devrait anticiper des actions futures. Le lecteur les imagine déjà. Alors, il sera plus efficace de le prendre à contre-pied sur son attente. Comme dans la vie réelle, nous puisons dans nos expériences comme autant de signes pour nous révéler ce que les choses seront. Je prends un exemple donné par Saint Augustin. Nous observons l’aurore. Et nous savons qu’elle précède le lever du soleil car nous en avons déjà l’expérience. Alors, nous anticipons ce lever du soleil. Nous présageons d’un événement qui n’est pas encore mais dont nous sommes pourtant certains.
En fiction, le personnage apporte des réponses aux actions parce qu’il se remémore certaines expériences plus ou moins similaires. Il croit savoir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Or la réponse qu’il apporte, ce qu’il met en œuvre pour résoudre son problème actuel ne correspond pas à ce qu’il a déjà vécu.
Sa situation actuelle est totalement nouvelle. Et alors que l’on craint que l’action devienne prévisible, l’auteur très malin nous propose quelque chose de totalement inattendu. En un verbe, vous innovez. - Pas d’intrusion de l’auteur. Je pense que par cette recommandation, Martha Alderson nous avertit de nous méfier des digressions. Peut-être qu’en écrivant d’abord la fin de la scène en étant clair sur l’effet que nous voulons obtenir sur le lecteur et de remonter ensuite en décrivant comment cet effet est possible pourrait éviter d’interrompre le flux de la scène vers sa conclusion.
Lorsqu’on commence une scène, tout un horizon de possibles s’ouvre. La tentation est grande. Mais ne culpabilisons pas. - Une dernière recommandation de Martha Alderson : tentez de lier les rebondissements, les revers au développement émotionnel des personnages.
Les meilleures histoires sont celles dans lesquelles nous sommes tellement impliqués avec les personnages et pris dans la succession des instants (qui sont en fait les états d’âme par lesquels passent les personnages en guise de passage du temps) que nous trouvons encore cinq minutes pour continuer à lire, insiste Alderson.
Attirés de plus en plus profondément dans le rêve, nous sommes incapables de nous en arracher. Après la fin d’un récit, nous prenons un moment ou deux pour nous rappeler que les personnages de l’histoire sont une illusion. Souvent, nous devons nous secouer et nous détacher volontairement des pages avant de pouvoir retourner à la vie réelle.
En conclusion, Martha Alderson dit que chaque scène a une structure semblable à une intrigue mais qui lui est propre. La scène montre le personnage avancer vers un but ou un désir. L’action progressive de la scène crée une situation conflictuelle et une tension qui se manifestent dans les dialogues, les expressions faciales, les gestes et chaque détail des différentes réponses des personnages. La scène se termine par un échec, une question sans réponse, un accrochage, un accident (au sens philosophique, quelque chose qui pourrait arriver ou non) qui entraîne le lecteur dans l’histoire.
D’autre part, une scène qui montre que le personnage atteint un objectif à court terme mais qui ne parvient pas à passer efficacement à la scène suivante dissipe l’énergie de l’histoire. Il manque quelque chose et le lecteur sait instinctivement que quelque chose ne va pas. Il lui est alors facile de passer à un autre récit plus conforme à ses attentes mûries par sa culture et son imaginaire collectif.
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