RÉGULER LA TENSION DRAMATIQUE

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Deux forces opposées. Chacune est motivée par le désir, chacune aboutit à l’action. Et une seule d’entre elles allait obtenir ce qu’elle voulait.

C’est cette sorte de tension dramatique que doit générer une œuvre de fiction.

Le lecteur est concerné

La tension dramatique est naturelle lorsque le lecteur ou le spectateur se sent concerné par ce qu’il arrive aux personnages (et en particulier au personnage principal), comprend les enjeux et s’investit émotionnellement dans l’action, dans le résultat plutôt des actions.

On ne peut se satisfaire ou se contenter d’empiler des problèmes sur le personnage. Le conflit en soi ne possède pas de tension dramatique.

Par exemple, s’il y a un conflit dans un mariage, mais qu’aucun des deux conjoints ne se soucie suffisamment du désir ou du besoin de l’autre, en un mot du désir de changement, il n’y a pas de tension, juste de la résignation.

Et la résignation n’est pas un thème dramatique en soi. Elle est statique. Elle ne peut orienter l’histoire. Ainsi, même si des conflits peuvent survenir dans votre intrigue, ils ne sont pas suffisants pour la faire avancer. Seule la lutte le fera. Seule la poursuite d’un objectif crée du mouvement.

La tension dramatique surgit lorsque le conflit rencontre le désir, formule Steven James. Elle peut provenir d’un rêve non réalisé, d’un désir passionné, d’une quête audacieuse, d’une blessure profonde, d’un amour non partagé, d’un malheur comique ou d’un désir de liberté ou d’expression de soi, mais la tension dramatique résulte toujours et uniquement de la poursuite d’un désir non satisfait.

La tension dramatique est l’élan vital d’un récit et son souffle doit être ressenti jusque dans chaque scène, nous confie Steven James.

Une force narrative

La tension est la seule force narrative qui fait avancer une histoire. Pas la description. Pas l’exposition. Pas le dialogue. Un personnage ne fait pas avancer une histoire. L’intrigue ne fait pas avancer l’histoire (à moins qu’elle ne comporte une quête).

Cinq verbes peuvent définir cette force :

  1. Obtenir (La théorie narrative Dramatica considère le terme Obtaining, un concept qui a tout à voir avec l’intrigue),
  2. Éviter (Dramatica a retenu le terme Avoidance, une notion qu’elle considère comme un élément de caractérisation des personnages),
  3. Surmonter (à considérer à la fois dans le sens de surmonter les obstacles, les difficultés que l’on rencontre mais aussi dans celui de se dépasser soi-même, d’aller au-delà des choses et de soi. Dramatica décrit cette appréciation par deux concepts dans chacune des quatre lignes dramatiques : Problem et Symptom. Le problème du personnage principal est la source de sa motivation qui peut lui poser de sérieux problèmes. Symptom du personnage principal est le premier symptôme du problème et se situe généralement là où le personnage principal pense que son problème se situe réellement).
  4. Réaliser. Alors que Surmonter consiste en l’effort sans que soit certain ou la réussite ou l’échec.
    Dramatica considère ce fait de se réaliser comme Story Outcome, c’est-à-dire comme le résultat (non la conséquence) de l’effort de se réaliser. Story Outcome vient alors soit en Success, soit en Failure selon que la réalisation est effective ou non. Bien qu’ils puissent être tempérés, le succès ou l’échec sont facilement déterminés par le fait de voir si les personnages ont atteint ce qu’ils s’étaient fixé comme objectif au début de l’histoire.
    Il est certain que les personnages peuvent découvrir qu’ils ne veulent pas vraiment ce qu’ils pensaient faire et choisir de ne plus le poursuivre. Même s’ils ont grandi de leur aventure, cela est considéré comme un échec car ils n’ont pas réalisé leur intention initiale.
    De même, ils peuvent effectivement réaliser ce qu’ils voulaient, et même s’ils le trouvent insatisfaisant, on peut dire qu’ils ont réussi. Il ne s’agit pas ici de porter un jugement de valeur sur la valeur de leur succès ou de leur échec. Il s’agit simplement de déterminer s’ils ont atteint ou non leur objectif initial.
  5. Résister. Outre le fait qu’il s’agisse effectivement d’une question de résistance, voire de survie, Dramatica en fait aussi une dynamique du personnage qui change radicalement ses convictions entre la situation initiale et la situation finale (Change) ou bien qui tentera de se maintenir sur ses positions voire de les renforcer (Steadfast) qui est une action tout autant dramatique que de changer.

Et Steven James illustre ainsi ces cinq verbes d’action :
Peut-être le personnage veut-il récupérer le trésor, éviter de se faire dévorer par le requin, surmonter les contraintes sociétales pour épouser la personne de ses rêves, réussir ou supporter l’interrogatoire sans révéler l’emplacement de la base secrète.

Si quelqu’un ou quelque chose est entraîné dans une seule direction et ne rencontre aucune résistance, vous n’avez pas d’histoire. La tension dramatique est d’autant plus forte lorsque deux personnages veulent ce qu’un seul d’entre eux peut avoir.

La tension dramatique n’est pas l’action

Prenons une course-poursuite. S’il se répète que celui qui est poursuivi parvient à chaque fois in extremis à échapper à son poursuivant, vous aurez certes de l’action et du mouvement aussi. Il peut y avoir de la tension dramatique au début de la séquence mais la répétition brisera le cœur de la montée en puissance.

Si le péril est réel, et si la proximité du danger est réelle et que les enjeux augmentent, alors la tension dramatique augmentera. Mais l’action seule, le mouvement seul, ne créeront pas de tension et pourraient très bien ennuyer le lecteur au lieu de l’immerger dans l’action, nous prévient Steven James.

L’anxiété ne vient pas de l’activité, elle vient de l’anticipation et de la montée en puissance des événements.
Pour résoudre un problème de tension dramatique, Steven James propose dix approches non exclusives :

  1. Moins d’action ouvrira le suspense entre deux actions.
  2. Rendre le danger plus présent. Le danger (quel qu’il soit) est comme une promesse faite au lecteur. Il anticipe et cela crée de la tension dramatique.
  3. Exploitez les moments entre la promesse d’un danger imminent et la contrepartie lorsqu’elle arrive. C’est l’axiome que toute promesse doit être tenue. La parole donnée et tenue assure le mouvement et clôt la tension dramatique.
  4. Ne cédez pas à la répétition. Cela crée une habitude et celle-ci tue l’élan dramatique.
  5. N’accélérez pas le rythme artificiellement en faisant se succéder rapidement les événements. En fiction, il est préférable d’assurer la causalité des événements (l’un à cause de l’autre) plutôt que de précipiter les choses qui ne parviennent plus alors à être justifiées.
  6. Travaillez sur la montée en tension telle que la proximité qui peut être vraiment anxiogène.
  7. Faites en sorte de renverser la situation du protagoniste au moment où il semble que les choses vont dans son sens. Aristote le proposait aussi lorsqu’il affirmait la puissance de ce renversement, de ce retournement de situation ou d’état du bonheur au malheur.
  8. Assurez-vous que le désir du personnage principal (qui constituera son objectif) soit bien compris du lecteur et ce, dès l’acte Un.
  9. Et si vous avez bien rendu ce désir clair et distinct dans l’esprit du lecteur, aiguisez ce désir en explicitant l’enjeu, par exemple, lié au désir.
  10. Contraindre le personnage dans deux directions : lui faire choisir entre deux croyances, deux sacrifices, deux désirs ou deux convictions. Faites-lui décider non seulement ce qu’il doit faire, mais aussi ce qu’il doit abandonner.
Brainstorming proposé par Steven James

D’abord comment créer davantage de tension dramatique ? En accentuant l’empathie, le danger, le désir et les enjeux. Le lecteur ne s’engagera pas émotionnellement s’il ne s’inquiète pas au sujet du personnage principal (généralement lui mais d’autres peuvent être concernés) ou bien s’il ne ressent pas une menace imminente et significative sur lui.

  • Les obstacles ou les entraves à la réussite du protagoniste sont-ils crédibles ? Est-il logique qu’il y réponde comme il le fait ? C’est précisément ce que la théorie narrative Dramatica définit comme réponse (Response) au Symptom (c’est-à-dire concrètement comment le problème se manifeste dans la vie du personnage).
  • Est-ce que je parviens à transformer les conflits en luttes en montrant le désir insatisfait du protagoniste ? Comment ses choix affecteront-ils la progression de l’histoire et approfondiront-ils la lutte ?
    Faites bien la distinction entre le conflit et la lutte qui en émane. Par exemple, un événement viendra bouleverser le quotidien de votre héros qu’il considérait à tort comme une zone de confort. Dans un premier temps, il est sous le choc. Puis il prendra son problème à bras le corps et entrera en lutte pour que soit rétabli la situation initiale. Le désir insatisfait devient un but et une raison d’être pour le personnage.
    Notez aussi l’importance du choix, de la prise de décision.
  • Ai-je fait en sorte que mon histoire soit axée sur la tension plutôt que sur les personnages ou l’intrigue ? Si ce n’est pas le cas, comment puis-je approfondir l’engagement du lecteur en clarifiant les luttes et les enjeux ?
    Ici, la prise de position de Steven James sur la tension plutôt que sur les personnages ou l’intrigue peut être dérangeante. Peut-être serait-il plus intéressant de tenter de les unir. Une mise en intrigue revient à sélectionner et à ordonner certains événements.
    Si l’on parvient à configurer les événements de manière à ce que non seulement l’intrigue mais toute l’histoire soit cohérente et chargée de sens tout en se souciant de ses personnages (comprendre leurs motivations, leurs actions et réactions, leurs passés, traumas et autres souffrances, savoir qui ils sont et pourquoi agissent-ils comme ils le font – le pourquoi supplante le comment) tout en s’assurant que la tension dramatique prend sa place dans cet arrangement des faits, nous pourrions être pertinents et sérieux dans notre projet d’écriture.
  • Comment mon personnage réagit-il lorsque la tension monte ? Comment cela l’affecte-t-il ? Qu’en retire-t-il ? De la frustration ? De la colère ? Du désespoir ? Résolution ? Abnégation ? Est-ce vraiment ce que veulent les lecteurs ?
    Si ce n’est pas le cas, comment puis-je refondre l’histoire pour répondre à leurs attentes ou les dépasser ?

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