La mythologie est un océan de mythes. Un océan dont nous ne cessons de sonder les profondeurs. Nous y rencontrons Shiva, Neptune ou Poséidon selon les cultures. Même l’irlandais Seigneur des Abysses.
Un singulier attribut de ce dieu est le trident. Tout comme la Trimūrti, le centre uni une paire d’opposés. Notez l’importance de la paire d’opposés. Le tiers est exclu. Le centre est l’union des opposés. Les mythes nous apprennent qu’au début, il n’y a pas d’opposés. C’est le règne de l’obscurité et du chaos. Il n’y a ni jour, ni nuit. Tout est indifférencié. Le loup dort encore avec l’agneau.
Le trident est aussi la fourche de Satan que la tradition chrétienne a désigné comme le mal et qui considère la nature comme corrompue et en rejette le pouvoir et la gloire.
Paul Tillich faisait mention d’une part fondamentale de l’être, de notre être et qui serait Dieu. Non pas un dieu extérieur, transcendant mais le divin en nous. Joseph Campbell dit que notre regard est tourné vers l’extérieur, vers les problèmes.
Alors que nous sommes la source même de ces problèmes. C’est un enseignement mystique. Encore faut-il le recevoir.
La disparition des mythes
Vous avez vu ce qui est arrivé aux sociétés primitives déstabilisées par la civilisation des hommes blancs. Elles s’effondrent, elles se désintègrent, elles succombent au vice et à la maladie. Et n’est-ce pas la même chose qui nous arrive depuis que nos mythes ont commencé à disparaître ? C’est ce que pense Joseph Campbell.
C’est ce qui explique le retour aux religions d’antan. Ce désir est légitime. Les étoiles nous réconfortent par leur permanence, elles nous donnent un horizon connu ; elles nous disent qu’il y a un père aimant, bon et juste qui me regarde d’en haut, prêt à me recevoir, faisant sienne mes préoccupations.
Maintenant, la science dissipe nos croyances et on est en droit de se demander ce qui arrive aux enfants qui n’ont plus cette étoile, cet horizon connu, ces mythes pour les soutenir ?
Ce qu’il se passe dans le monde aujourd’hui, c’est le chaos. Le mythe a une valeur pédagogique, immédiatement accessible. Il doit donner des modèles de vie. Et ces modèles doivent être adaptés aux possibilités de l’époque dans laquelle vous vivez. Et notre époque ne cesse de changer, si vite que ce qui était approprié il y a 50 ans ne l’est plus aujourd’hui.
Les vertus du passé sont donc les vices d’aujourd’hui, et beaucoup de ce que l’on pensait être les vices du passé sont les nécessités d’aujourd’hui.
Et l’ordre moral doit rattraper les nécessités morales de notre vie actuelle ici et maintenant, et c’est ce qu’il ne fait pas, et c’est pourquoi il est ridicule de revenir à la religion d’autrefois nous dit Joseph Cambpell.
Et Campbell ajoute que les anciennes religions appartiennent à un autre âge, à un autre peuple, à un autre ensemble de valeurs humaines, à un autre univers. Donc, du temps de l’Ancien Testament, personne n’avait la moindre idée de la réalité du monde. Le monde consistait en quelque chose s’étendant à quelques centaines de kilomètres autour des centres du Proche-Orient. Personne n’avait jamais entendu parler des Aztèques ou même des Chinois. Et donc ces peuples n’étaient même pas considérés comme faisant partie du problème à traiter. Le monde change, alors la religion doit être transformée.
Judaïsme, Christianisme et Islam, parce que ces trois grandes religions occidentales ont trois noms différents pour le même Dieu biblique, elles ne peuvent pas s’entendre. Elles s’accrochent à leurs métaphores, et ne réalisent pas leur référence commune. Chacune d’entre elles a besoin d’un nouveau mythe. Aimes ton ennemi, ouvre toi à lui et ne le juges pas.
Un salut est-il possible ?
Compte tenu de ce que nous savons des êtres humains, nous est-il possible de concevoir qu’il existe une sagesse que nous pourrions atteindre au-delà des conflits sur la vérité et les illusions ?
Une sagesse pour recomposer ce qui fut dispersé et que nous puissions développer de nouveaux modèles ?
Pour Joseph Campbell, la solution est dans les religions. Toutes les religions sont vraies pour leur époque. Si vous pouvez trouver ce qu’est la vérité et la séparer de l’inflexion temporelle, il suffit d’amener votre ancienne religion dans un nouvel ensemble de métaphores.
Les nouveaux médias sont-ils capables de transmettre ces nouvelles métaphores ? Pour des vérités fort anciennes et universelles ? La vérité est un concept aux configurations variées. Elle se manifeste sous des apparences parfois si contradictoires que nous ne savons plus la reconnaître. Pourtant, la vérité est la cause formelle de tant de choses.
Star Wars est une perspective mythologique valable en ce sens. Elle montre l’État comme une machine et pose des questions : La machine va-t-elle écraser l’humanité, ou servir l’humanité ? Si Darth Vader retire son masque, s’il renie la machine, il mourra car l’humanité ne vient pas de la machine, mais du cœur.
C’est dans Le retour du Jedi que Skywalker démasque son père. Le père avait joué un de ces rôles de machine, un rôle d’État. Il était l’uniforme. Et en enlevant ce masque, il y avait un homme incomplètement évolué, il y avait une sorte de ver.
En étant l’exécutif d’un système, on ne développe pas son humanité. Joseph Campbell avoue que George Lucas a vraiment, vraiment fait quelque chose de beau là. L’idée de machine est notre tentative de rendre le monde à notre image et ce que nous pensons que le monde devrait être.
La première fois que quelqu’un a fabriqué un outil en prenant une pierre et en l’ébréchant pour pouvoir la manipuler, c’est le début d’une machine. C’est mettre la nature à notre service. Mais il arrive un moment où elle commence à vous dicter sa conduite.
Lorsque l’outil prend le dessus sur nous, nous avons tendance à le personnifier. C’est le début d’un mythe. Est-ce que la machine inventera de nouveaux mythes ? Selon Joseph Campbell, le mythe doit s’incorporer à la machine, telle une déité païenne.
Tout comme les anciens mythes incorporaient les outils que les gens utilisaient, les concepts actuels des outils sont associées à de nouveaux pouvoirs implicites à la technologie d’une culture. Nous n’avons pas de mythologie qui les intègre. Les nouveaux pouvoirs nous sont, pour ainsi dire, étonnamment décrits et prévus par ce que les machines peuvent faire.
Nous ne pourrons pas avoir une mythologie pendant très, très longtemps encore ; les choses changent trop vite. L’environnement dans lequel nous vivons change trop vite pour que quelque chose devienne mythique.
Peut-on vivre sans mythe ?
L’individu doit trouver l’aspect du mythe qui a trait à la conduite de sa vie. Les mythes sont utiles à plus d’un titre. Le plus fondamental est d’ouvrir le monde à la dimension du mystère. Si vous perdez cela, vous n’avez pas de mythologie pour réaliser le mystère qui sous-tend toutes les formes.
Mais il y a aussi l’aspect cosmologique du mythe, en voyant ce mystère se manifester à travers toutes les choses, de sorte que l’univers devient comme une image sainte, vous êtes toujours renvoyé au mystère transcendant à travers cela.
Mais il y a aussi une autre fonction, et c’est la fonction sociologique, de valider ou de maintenir une certaine société. C’est cet aspect qui a pris le dessus dans notre monde d’aujourd’hui. Les lois éthiques, les lois de la vie en société, tous les écrits de Yahvé sur notre quotidien, comment se comporter les uns envers les autres, etc., selon Joseph Campbell, sont les valeurs de cette société particulière.
Mais il y a une autre fonction du mythe, et pour Joseph Campbell, chacun devrait essayer de s’y rapporter, c’est la fonction pédagogique.
Comment vivre toute une vie humaine en toutes circonstances. C’est ce que le mythe peut nous apprendre.
Il y a une histoire merveilleuse dans l’une des Upanishads (les textes sacrés hindous). Elle nous conte l’histoire de Indra, ce dieu qui est l’homologue de Yahweh.
Il fut un temps où un grand démon de la sécheresse nommé Vritra avait fermé le grand espace entre le ciel et la terre. Il arrêta toutes les eaux de la Terre, et donc il y a eu une sécheresse, une terrible sécheresse, et le monde était en très mauvais état.
Il a fallu un certain temps à ce dieu Indra pour réaliser qu’il avait une arme à sa disposition, et tout ce qu’il avait à faire était de lâcher la foudre sur Vritra. Indra provoqua en duel Vritra et le tua. Certains mythes disent que Vritra s’étant réfugié en Indra, c’est de l’intérieur de lui-même que Indra tua Vritra.
Alors les eaux ont coulé et le monde devint habitable.
L’ambition d’Indra
Alors Indra, peut-être un peu grisé par sa victoire sur Vritra, se rend près de la montagne cosmique, la montagne polaire Meru qui est la montagne centrale du monde, et il décida qu’il allait construire un nouveau monde là-haut, une nouvelle ville, et en particulier son palais allait être un palais digne de lui.
Il appelle donc Vishvakarman, le dieu des arts et des artisans, l’architecte divin, le principal charpentier des dieux, et lui donne la mission de construire ce palais. Vishvakarman se met donc au travail mais Indra n’est jamais satisfait et à chacune de ses venues, il a de nouvelles exigences concernant son palais.
Pour finir, Vishvakarman se dit : Mon Dieu, nous sommes tous deux immortels et ses désirs sont sans fin. Il décide donc d’aller voir Brahma, le grand dieu créateur, et de se plaindre. Brahma est assis sur un lotus, c’est le symbole de l’énergie et de la grâce divines, et le lotus pousse à partir du nombril de Vishnu, qui est le dieu endormi, dont le rêve est l’univers.
Voici donc Brahma sur son lotus, et Vishvakarman vient au bord du grand étang de l’univers et il raconte son histoire. Brahma lui dit : Repars en paix. Tu vas bientôt être soulagé de ton fardeau.
Ainsi, le lendemain matin, à la porte du palais en construction, apparaît un beau garçon. Indra, le roi des dieux, est sur son trône et dit : « Jeune homme, bienvenue, dis-moi l’objet de ta venue en mon palais ?«
Avec une voix comme le tonnerre qui roule à l’horizon, l’enfant dit « J’ai entendu parler que tu construis un palais comme aucun Indra n’en avait jamais construit. J’ai fait le tour du terrain et j’ai regardé les choses, il semble que ce soit tout à fait vrai. Aucun Indra avant toi n’a jamais construit un tel palais« .
Indra dit : « Indras avant moi ! Jeune homme, de quoi parles-tu ?«
Le garçon dit : Indras avant toi ? Je les ai vus aller et venir, aller et venir. Réfléchis : Vishnu dort dans l’océan cosmique, le lotus de l’univers pousse à partir de son nombril. Là-bas est assis Brahma, le créateur. Brahma ouvre les yeux, un monde naît, gouverné par un Indra. Il ferme les yeux, le monde disparaît.
Et la vie d’un Brahma est de 432 000 ans, et il meurt. Le lotus revient, un autre lotus, un autre Brahma. Et puis pense aux galaxies au-delà des galaxies dans l’espace infini ; chacune un lotus avec le Brahma assis dessus, ouvrant ses yeux, fermant ses yeux, avec les Indras. Il y a peut-être des sages dans ta cour qui seraient volontaires pour compter les gouttes d’eau dans les océans du monde mais personne ne compterait ces Brahmas, encore moins ces Indras.
Apprendre l’humilité
Et pendant qu’il parle, une armée de fourmis défilent sur le sol du palais. Et le garçon rit quand il les voit. Et la gorge d’Indra s’assèche et il dit au garçon : « Pourquoi ris-tu ?«
Et le garçon lui répond : « Ne demande pas, ce secret te blesserai. » Et Indra dit : « Je demande. Enseigne-moi. »
Le garçon dit alors : Anciens Indras, tous. À travers de nombreuses vies, ils s’élèvent spirituellement des conditions les plus basses à l’illumination la plus élevée, et puis ils laissent tomber leur foudre sur Vritra, et ils s’en enorgueillissent.
Alors ils retombent dans les mondes inférieurs, dans des gouffres de peines et de douleurs.
Il est bon de noter que Indra connaît à ce moment une métanoïa, cette transformation intérieure telle que la concevait Carl Gustav Jung. Les paroles de l’enfant ont mené Indra à l’humilité et celle-ci comme une prise de conscience a révélé en Indra son erreur.
Et puis Indra est assis là sur le trône et il est complètement désillusionné, complètement abattu, et il pense à cesser la construction de ce palais. Il appelle Vishvakarman et lui dit : « Tu es renvoyé, tu n’as plus à faire mon palais« .
Vishvakarman a donc eu son vœu exaucé, il est renvoyé et il n’y a plus de construction de maison. Et Indra décide : « Je vais partir et être un yogi et juste méditer sur les pieds de lotus de Vishnu.«
Mais il avait une belle reine nommée Indrani, et quand Indrani entend cela, elle va voir le prêtre Brihaspati, le chapelain des dieux, le conseiller spirituel du roi et l’implore de dissuader Indra de son dessein de yogi.
Alors Brihaspati parle à Indra et il lui dit : « Maintenant, j’ai écrit un livre pour toi il y a quelques années sur l’art de la politique. Tu es dans la position du roi. Tu es dans la position du roi des dieux. Tu es une manifestation du mystère de Brahma dans le domaine du temps. C’est un grand privilège, apprécie-le, honore-le et traite la vie comme si tu étais ce que tu es vraiment« .
Et avec cet ensemble d’instructions, Indra abandonne son idée de s’isoler et de devenir un yogi (bien qu’il ne faudrait pas craindre la solitude), et découvre que dans la vie il peut représenter l’éternité à la manière d’un symbole du brahmane et de la vérité ultime.
Chacun d’entre nous est donc, d’une certaine manière, l’Indra de sa propre vie, et vous pouvez faire un choix, soit aller dans la forêt (c’est aussi un retour aux origines, à cette permanence qui est au creux de notre être) et méditer et, selon Campbell, tout gâcher, soit rester dans le monde et dans la vie : en vous accomplissant dans une nouvelle relation aux autres (c’est probablement ce sens qui est donné au mot politique du livre de Brihaspati).
Chacun peut avoir sa propre expérience de ce retour à soi et une certaine conviction d’être en contact avec son propre être, sa vraie conscience et sa vraie béatitude (par la contemplation de soi et non dans la quête futile à l’extérieur de ce qui est en nous). Mais, selon Campbell, les gens religieux nous disent que nous n’en ferons pas vraiment l’expérience tant que nous n’irons pas au ciel, tant que vous n’êtes pas mort. Joseph Campbell nous invite à vivre cette expérience le plus possible de son vivant.
C’est ici et maintenant que nous devons connaître cette expérience.
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