Intrigue et structure sont deux différents concepts. Tous deux portent sur la conception de l’histoire, la création de relations entre ses éléments et le développement de l’action jusqu’au climax.
Selon Linda J. Cowgil, lorsque vous structurez une histoire, vous travaillez sur l’intrigue pour découvrir la meilleure façon de la raconter.
Une véritable structure ordonne votre matériel. Elle va bien au-delà des points majeurs de l’intrigue, des rebondissements, des passages entre les actes, ou quel que soit le nom que vous leur donnez. La structure vous donne un cadre pour gérer et donner un sens à tout votre matériel – l’action, le conflit, les personnages, l’exposition, le thème, le sous-texte…
Elle crée le contexte de cette interaction complexe d’éléments.
L’intrigue n’est pas la structure
Mettre en intrigue (permettez-moi de reprendre l’expression popularisée par Paul Ricœur), en revanche, est le point de départ de l’assemblage de votre matériel. Pour Linda J. Cowgill, l’intrigue est l’architecte de la structure, avec tous les problèmes qui en découlent pour transformer le plan en projet.
L’intrigue transforme les considérations structurelles de l’histoire qui ont trait au conflit et à la signification en moments qui transmettent l’exposition, construisent le suspense, révèlent les personnages et exposent l’émotion.
Tout cela approfondit l’implication du lecteur dans l’œuvre. Tout l’art de l’intrigue consiste à créer les relations entre vos scènes pour rendre vos points de vue plus puissants et plus significatifs.
Écrire une fiction, c’est d’abord faire un plan d’ensemble qui donne forme et sens à la matière. L’étape suivante consiste à tracer le plan des scènes pour créer l’action et la réaction qui construisent la tension, le sens et l’émotion.
La dernière étape consiste à écrire les scènes qui permettent d’atteindre cet objectif.
Le véritable art de l’intrigue consiste à donner un caractère naturel à votre récit, à créer un flux esthétique du matériel dramatique de sorte que votre lecteur n’ait jamais le besoin ou le temps de remettre en question ou de critiquer la séquence des événements montrés.
Tout doit s’assembler pour lui de la manière dont vous voulez qu’ils le vivent. Ce n’est pas seulement un compte rendu des événements. C’est une expérience d’abord sensorielle.
C’est l’effet qui doit être recherché. Les scènes doivent être soigneusement écrites et ordonnées de manière à ce que le lecteur n’ait pas d’autre choix que de ressentir exactement ce que l’auteur veut qu’il ressente.
Les mouvements majeurs du récit
Le passage entre les actes est marqué par un climax. L’histoire possède un moment proche du dénouement censé résoudre le principal problème qu’elle a posé au commencement mais chaque acte possède lui aussi un point culminant (climax) qui facilite son passage dans l’acte suivant.
Ces points culminants sont les moments les plus significatifs de votre histoire – votre intrigue en dépend pour Linda J. Cowgil.
Ils ont besoin de temps pour se développer. Ils n’apparaissent pas seulement comme une scène autonome et disparaissent. Les climax les plus marquants sont aussi bien émotionnels que chargés d’action. Il se passe quelque chose d’important qui fait passer l’histoire dans sa phase suivante et souvent à la vitesse supérieure. Cela a un effet dramatique qui va provoquer un changement dans l’intrigue à la suite des actions et des réactions du protagoniste.
Préparer la transition entre les actes prend du temps. Ce qui signifie souvent plus d’une scène à développer. Ces scènes constituent une séquence et l’auteur a généralement besoin d’exposition pour mettre en place l’action menant au climax, l’action significative, et montrer ensuite le résultat dramatique.
Le but ici n’est pas simplement d’écrire une articulation. Vous devez préparer une action qui mène à l’important point culminant et montrer la réaction qui va :
- changer la direction de l’intrigue,
- changer la compréhension du lecteur quant à ce qu’il se passe, et
- intensifier les enjeux de l’histoire.
Cela signifie que vous voulez que votre lecteur vive l’action, et non juste qu’il la comprenne.
Vous pouvez aider votre lecteur à se mettre dans le rythme de l’action en préparant l’événement. Cela lui permet de mieux comprendre ce qu’il se passe et donne plus d’importance à l’action, car vous lui accordez plus de temps à l’écran.
Comme il s’agit d’une action importante, qui entraîne un changement dans l’histoire, il y a généralement un effet dramatique sur les personnages. Cela se manifeste dans leurs réactions émotionnelles, marquant l’événement comme un bon ou un mauvais moment dans l’action.
Par personnage interposé
Lorsque les personnages, et surtout le protagoniste, ne réagissent pas aux conséquences dramatiques, le lecteur ne réagira pas non plus. Nous devons savoir que l’événement est important, et la forte réaction émotionnelle du personnage nous le dit.
Considérons les exemples donnés par Linda J. Cowgil :
La fin du premier acte de Catch Me If You Can montre Frank s’enfuyant de chez lui. Mais voyez comme l’idée se développe au cours de plusieurs scènes. La mise en place de la séquence commence dans la rue, avec Frank rentrant de l’école à pied. Il remarque une voiture étrange garée devant son immeuble, un peu comme celle qu’il a vue quelques scènes plus tôt. Cette voiture s’avère appartenir à l’ami de son père, Jack Barnes, qui rendait discrètement visite à sa mère.
Suspicieux, Frank entre chez lui et trouve la veste d’un homme jetée par-dessus une chaise. Il l’attrape et commence à fouiller les poches lorsque l’homme sort d’une pièce, le surprenant. Frank lui crie de sortir, mais l’homme s’avère être un avocat, et il demande à Frank de l’accompagner. « Nous t’attendions « , dit-il.
À sa surprise, et à celle du spectateur, les parents de Frank sont ici, avec l’avocat, en train de finaliser les dispositions prises pour leur divorce. Sa mère essaie de lui parler, mais il est en état de choc. Ils veulent que Frank choisisse avec qui il va vivre – sa mère ou son père.
L’avocat dit à Frank, quelque peu perturbé, de se rendre dans la pièce d’à côté et d’inscrire un nom sur les papiers du tribunal. Mais Frank ne peut pas. La scène suivante le montre en train de courir dans la rue, loin de son problème. Il court jusqu’à ce qu’il arrive à la gare où il demande un billet et procède au paiement avec un chèque.
Ce moment est le climax de la première partie de l’histoire, montrant les événements qui ont mis le jeune Frank Abagnale sur la voie de devenir un escroc. La séquence dure cinq minutes.
L’intrigue se concentre maintenant sur le problème de sa survie, un enfant qui vit seul dans le monde réel, et sur la façon dont il commence à survivre.
Shakespeare in love
La fin du premier acte de Shakespeare in Love réunit Will et Viola. C’est le coup de foudre, ce qui permet à Will de surmonter son blocage. Mais ce climax doit être mis en place.
Tout commence avec Will qui poursuit Viola jusqu’à chez elle après que Viola se soit fait passer pour Thomas Kent et qu’elle ait auditionné pour un rôle dans la nouvelle pièce non encore écrite de Will. Will suit Viola qu’il croit être Thomas, puis l’on apprend qu’elle doit bientôt épouser Lord Wessex.
Will arrive avec une note pour Thomas Kent que la bonne remet à Viola. Il attend une réponse. Comme il n’en reçoit pas, il s’apprête à partir mais rencontre des musiciens qui arrivent pour la fête organisée par les De Lesseps. Wessex arrive aussi.
Tout artiste qu’il est, toujours prêt à manger et à se divertir gratuitement, Will accompagne le groupe de musiciens.
Wessex arrange son mariage avec le père de Viola, pendant que Viola joue la jeune fille dévouée, passant d’un groupe à un autre à la fête quand Will l’aperçoit. Il ne peut pas la quitter des yeux. Quand ils se rencontrent, il est clair que Viola n’est pas indifférente à Will. Avant que les choses n’aillent trop loin, Wessex chasse Will et le menace.
Mais Will ne s’éloigne pas et découvre que Viola se languit de lui sur son balcon. Ils se confessent leur mutuelle attirance. Bien que sa tentative de lui voler un baiser échoue, il s’en retourne chez lui et écrit, son blocage s’est envolé !
La rencontre entre Viola et Will s’appuie sur la séquence qui la précède, nous amenant au moment où les deux amoureux se rencontrent inévitablement en tant qu’homme et femme. L’alchimie qui échauffe les cœurs de Will et Viola alors qu’ils dansent ensemble touche aussi nos cœurs.
Nous savons, grâce aux scènes précédentes, ce qu’elle ressent pour lui et nous ressentons aussi par personnage interposé ce sentiment.
L’intention de cette séquence est que la solution du blocage que ressent Will passe par la réunion entre Viola et Will. L’histoire prend ainsi une nouvelle direction. Au cours du premier acte, Will a été bloqué sur le plan créatif ; Will est à la merci de sa muse, et tant qu’elle l’aime (en considérant l’incarnation de cette muse), il peut écrire, mais une fois trahi, il ne peut plus mettre un seul mot sur le papier.
En rencontrant Viola, il est à nouveau mûr pour la rime et l’inspiration. Et même si la situation présente un grand danger, il doit la poursuivre pour tout ce qu’elle lui offre de créatif. À la fin du premier acte, il écrit avec fureur.
Cela nous amène à la section suivante de l’intrigue : il crée la pièce dans laquelle Viola jouera le rôle de son alter ego, Roméo, les gardant ainsi proches jusqu’au prochain développement de l’histoire d’amour. Cette séquence dure près de douze minutes.
Tension dramatique et signification
Ces deux exemples créent des lignes d’action fortes qui développent la tension dramatique et le sens. Ils mettent en place l’action de l’intrigue pour que nous comprenions la triade problème / conflit / action à laquelle le protagoniste est confronté au début de la séquence : Frank s’inquiète de l’affection chancelante de sa mère pour son père ; Will essaie de trouver Thomas Kent pour sa pièce.
Ces deux exemples se développent à travers le conflit, en orientant l’intrigue dans une nouvelle direction : Frank quitte la maison avec vingt-cinq dollars sur son compte en banque et Will trouve une nouvelle muse et recommence à écrire. Nous voyons également les enjeux pour les personnages augmenter : Frank n’est qu’un enfant qui se lance seul dans le monde ; Viola est promise à Wessex et il a promis de tuer Will.
Un bon climax, qu’il se produise à la fin du premier, du deuxième ou du troisième acte, ou au point médian, sera également surprenant. Quel que soit le résultat, si votre lecteur anticipe l’événement (il ne peut s’empêcher d’anticiper mais vous devriez le prendre à contre-pied sur les images qu’il imagine), surtout à la fin de l’intrigue, lors du dénouement, il trouvera que le conclusion de l’histoire est insatisfaisante. Il se sentira frustré.
Le climax se construit sur le conflit. Les conflits menacent la réussite de votre personnage et conduisent le lecteur à douter du résultat. Elle permet également de concentrer votre lecteur sur le problème immédiat de sorte qu’il soit moins susceptible de voir votre véritable intention.
Même si nous ne voulons pas que le dénouement soit prévisible, il doit quand même sembler inévitable. C’est le résultat final de toute l’action ; les forces s’unissant dans un affrontement final, nous donnant un résultat qui prouve la prémisse (ou le postulat) de l’histoire.
Tout a conduit à ce moment. Le lecteur doit sentir que, compte tenu de tout ce qu’il s’est passé dans l’intrigue jusqu’à présent, c’est la seule façon dont l’histoire aurait pu se dérouler. C’est le destin selon Linda J. Cowgil.
Un dernier conseil de Linda J. Cowgil : le dénouement doit être adapté à la personnalité des personnages, au conflit, au thème et au genre. Si les personnages prennent des décisions contraires aux personnalités que vous aviez mises en place, cela ne fonctionnera pas.
Vous devriez avoir intégré les raisons de leur comportement dans l’histoire. Si le genre est une comédie romantique, l’histoire doit se terminer par une histoire d’amour et de la comédie, pas par la tragédie et la mort (même symbolique). Si c’est un film d’action, le public s’attend probablement à de l’action au cours de la confrontation finale.
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Bonjour William, excellent rappel du cahier des charges qui m’attend personnellement quand j’aurais vaincu les colères dues au confinement.
Mais il arrive que les nuits (surtout quand elles sont récupératrices) portent conseil et qu’un article et notamment celui-ci vient en proposer la conclusion appropriée !
La liste des mercis qui te sont dus ne cesse de se prolonger et de s’étoffer. Bravo pour tout William et bien à toi !