Comment peut-il y avoir des émotions dans ces 110 ou 120 pages assemblées ensemble d’un scénario se demande Karl Iglesias.
Un texte narratif (le scénario ne fait pas exception) prend vie (ou du moins donne l’impression de celle-ci) à la lecture, dans l’esprit du lecteur. A la lecture, le lecteur fait l’expérience du récit.
Pour Karl Iglesias, les scénaristes en herbe ne se donnent pas la peine de voir leur écriture comme le fait un lecteur.
Dans l’introspection, on écrit pour soi. Lorsqu’on est auteur, on écrit pour autrui. Et comme le disait Ernest Hemingway, c’est loin d’être facile.
Un lecteur/spectateur fait l’expérience de la lecture. C’est de cette expérience qu’on met en œuvre l’alchimie des réminiscences involontaires, des sensations, des sentiments et autres mécanismes obscurs qui interpellent la puissance émotionnelle et potentielle du lecteur.
Une page
Quand vous donnez à lire votre scénario, votre lecteur du moment a une page sous les yeux. Et vos mots. A ce moment, il n’y a pas d’images, de montage ou une musique pour soutenir vos mots.
Pour ne pas être présomptueux, il est préférable d’être parmi ceux qui sont dans l’ignorance de leurs défauts. Et pour compenser cette carence, il faut être bien conscient que l’on communique avec quelqu’un. La chose qui compte ici est de communiquer.
Mais comment communiquer avec quelqu’un qui n’est pas là ? Qui n’existe pas encore ? Pour Karl Iglesias, la réponse est que nous devrions avoir un lecteur intérieur. Quelqu’un qui va réagir à nos mots.
Ce lecteur interne fonctionne sur le plan émotionnel, donnant à l’auteur une idée précise de la façon dont l’histoire est vécue. Enfin, davantage comme une intuition qu’une idée précise.
L’auteur simule une interaction entre lui et un lecteur virtuel dont il sait comment ce lecteur répond de manière dramatique et l’auteur adapte alors son matériau dramatique pour que ce lecteur reste captivé tout au long du scénario.
Selon Karl Iglesias, cette façon de faire est même une forme de respect envers le futur lecteur.
Quand vous donnez à lire votre scénario, c’est à ce moment que vous décidez malgré vous de son futur. Si vous ne parvenez pas à un consensus, les choses s’arrêteront là.
Perdre le consensus
Une faute d’orthographe n’est pas un problème. On peut vous la reprocher mais on continuera à lire votre scénario. Mais si votre texte ne parvient pas à garder son lecteur dans l’expérience de l’histoire, si le lecteur ne profite pas immédiatement de sa lecture, il n’en tournera plus les pages.
Cette expérience, c’est d’être emporté par le texte et des mots qui disparaissent. L’histoire n’est pas un objet. On peut considérer que les éléments dramatiques qui la constituent sont des objets que l’on ordonne afin d’obtenir un effet, mais le texte lui-même s’empare de notre esprit. Il devient nous ou je.
Alors dès que notre attention s’éloigne du texte ou lorsque nous arrêtons la lecture pour s’interroger sur quelque chose, nous sommes éjectés de l’histoire.
En première lecture, seul l’effet du texte devrait être ressenti. Comme si le lecteur prenait le texte en pleine face. Ensuite seulement, il peut s’il le veut chercher à interpréter ce qu’il vient de lire. Les critiques dans la presse, des interviews avec l’auteur, c’est un questionnement. Le texte nous a étonné et nous cherchons des réponses. Mais pas au moment de la lecture.
Si on se pose trop de questions ou bien si on accepte pas les trop grosses ficelles du monde inventé par l’auteur, l’illusion est perdue. La confiance tacite que nous avions établie avec l’auteur dès la première page de son scénario est brisée.
Une expérience émotionnelle
C’est une telle expérience que Karl Iglesias demande à un scénario. Pour y parvenir, le lecteur n’est plus un simple observateur des événements du monde fictif mais il y participe.
Et pour cela, il faut être rivé émotionnellement à l’histoire. Celle-ci devrait perturber et notre cœur et notre esprit.
PROTAGONISTE : UNE VOLONTÉ DE FER