Les complications sont les éléments dramatiques qui surviennent dans le monde de l’histoire et qui orientent le récit dans une toute nouvelle orientation.
Ce terme de complications connotent un aspect plutôt négatif. En fait, elles peuvent être tout autant positives. Cela dépend du point de vue du personnage qui porte un regard forcément subjectif sur la situation dans laquelle il a été jeté.
Découvrir les personnages
Lorsqu’un personnage se confronte aux complications et qu’il est exigé une réponse souvent émotionnelle de sa part, nous construisons en fait ce personnage.
L’action comme conséquence de l’émotion suscitée force les personnages à prendre des décisions et à faire des choix qui révéleront alors qui ils sont au-delà de la personæ (l’image d’eux-mêmes qu’ils renvoient aux autres, c’est souvent un mécanisme de défense).
Dans The Good Girl de Mike White et Miguel Arteta, Bubba surprend Justine, la femme de son meilleur ami, avec Holden.
Bubba devient alors une complication pour Justine parce qu’il exige une sorte de prix pour son silence. Justine se retrouve ainsi forcée de prendre une décision et cette décision emmènera l’histoire dans une nouvelle direction.
Les complications sont comme des bifurcations. Elles participent ainsi au rythme de l’histoire.
Jack Gittes dans Chinatown a été engagé pour prendre en flagrant délit d’adultère Mulray. Or les preuves se retrouvent dans la presse. Ce sont des complications pour Gittes parce que la véritable Madame Mulray le menace de le poursuivre en justice pour diffamation.
Gittes comprend que l’on s’est servi de lui bien qu’il ne sache pas encore dans quel but. Maintenant, le problème de Gittes n’est plus seulement professionnel (objectif) mais aussi personnel (subjectif). Cette prise de conscience de Gittes orientera l’histoire vers son véritable propos.
Les complications ne sont pas l’antagonisme
Les complications n’existent pas pour nuire à l’objectif du protagoniste. Elles sont posées dans l’intrigue parce que le protagoniste doit y faire face (et les résoudre ou les contourner) pour continuer son parcours.
Elles ne sont pas une menace. Ce sont des difficultés. On constate d’ailleurs que ces complications sont souvent mineures dans la première partie de l’acte Deux. Et le héros s’en débarrasse presque d’un revers de la main.
Parfois, il croit s’en être débarrassé. En fait, alors qu’elles ne semblent pas être une menace lorsque les complications surviennent la première fois, elles reviennent régulièrement au cours de l’intrigue.
De cette répétition d’une difficulté (qui ne fut peut-être pas prise trop au sérieux dans un premier temps) naît alors le danger pour le bon accomplissement de l’objectif.
Ainsi, les complications peuvent s’étendre sur plusieurs scènes. Cette distribution d’un événement en parties survenant à des moments différents de l’intrigue est un moyen narratif intéressant pour maintenir l’attention du lecteur.
Si l’on accepte que l’on écrit pour un lecteur, alors il faut penser à le surprendre de temps en temps dans sa lecture. Les meilleures complications seront effectivement celles que l’on attend le moins (qu’elles soient positives ou négatives).
Quelles formes pour les complications ? Elles peuvent être de nouveaux personnages, de nouvelles circonstances (une situation qui se développe de manière inattendue), des erreurs qu’il faut maintenant assumer ou des incompréhensions (les choses ne sont décidément pas ce qu’elles paraissent être).
Néanmoins, les complications les plus efficaces concernent la connaissance. En effet, les personnages découvrent quelque chose, une nouvelle information. Et leur point de vue sur le monde ou peut-être seulement la scène change.
Ainsi lorsque Rick dans Casablanca découvre que Ilsa était déjà mariée lorsqu’il se fréquentait à Paris est encore plus empli d’amertume lorsqu’il se rend compte de la raison qui a poussé Ilsa à disparaître de la vie de Rick sans un mot.
Vers une intrigue secondaire
On peut stratégiquement placer une complication dans la première partie de l’acte Deux (l’intrigue proprement dite). Ainsi, on ouvre la voie à une intrigue secondaire.
Dans Witness, John Book est blessé. Les Amish ne veulent pas de lui dans leur communauté. Mais Rachel sait que si John refait surface dans son monde à lui, cela attirera l’attention sur Samuel, le fils de Rachel, dont on ne veut pas qu’il témoigne.
Rachel s’oppose ouvertement aux Anciens pour que John reste parmi eux. Ce choix de Rachel mène directement dans l’intrigue secondaire. Pendant la convalescence de John, une relation plus intime, plus sincère se créera entre Rachel et lui.
Le Love Interest est l’un des topoï majeurs de la littérature et est très souvent traité en intrigue secondaire. Et cet amour naissant devient complication lorsqu’il menace l’objectif de John (dénoncer les pourris) et pour Rachel, sa position au sein de la communauté Amish.
Considérez les complications comme des éléments de surprise. Elles vous donnent aussi un moyen d’accès à l’intériorité de vos personnages en révélant des traits de caractère induit par leurs actes et leurs décisions.
Les complications ajoutent aussi à la tension dramatique et à son enfant, le suspense. Car elles poussent le lecteur dans l’incertitude de la réussite du héros.
Le retournement de situation (ou coup de théâtre) agit sensiblement de la même manière. Du terme de retournement lui-même, on croit comprendre que l’action se renverse, qu’elle s’oriente dans une direction opposée à celle qu’elle avait jusqu’à présent. Les valeurs positives deviennent négatives et inversement.
Certes considérer des valeurs est très subjectif. Pour certains, une valeur serait positive et négative pour d’autres.
C’est un choix d’auteur (et de sa responsabilité, de son engagement). Techniquement, il s’agit de prendre son lecteur à contre-pied. On l’amène à croire qu’une action se produira à coup sûr et en fin de compte, il se passe quelque chose de tout autre auquel on ne s’attendait pas.
Un élément de surprise supplémentaire
Surprendre son lecteur, c’est l’impliquer davantage dans l’histoire. En effet, alors qu’il croit avoir saisi ce qu’il se passe dans l’univers fictif qu’on lui propose, le voilà soudain surpris par un retournement de situation. Et il doit faire l’effort de comprendre la nouvelle donne.
C’est dans la nature humaine d’anticiper les choses. Consciemment ou inconsciemment, on essaie de trouver du sens aux événements. Lorsque l’intrigue nous apporte sur un plateau d’argent ce à quoi nous nous attendions, quelle déception !
Il faut maintenir le lecteur sur la pointe des pieds en un équilibre instable entre certitude et indécision. L’auteur est aidé en cela car le lecteur anticipe toujours plus ou moins l’intrigue. Le coup de théâtre peut être une articulation majeure de l’histoire.
Comme dans Witness dans lequel le premier acte se clôt sur John qui se retrouve la proie de ceux qu’il chassait antérieurement. John est face à l’imprévu et il doit mettre en place une nouvelle stratégie. Ce qui donne un essor constant à l’intrigue et défie incessamment les attentes du lecteur.
Il y a aussi des retournements de situation mineures qui se joue au niveau de la scène. Considérons Les dents de la mer. Le maire de Amity ne veut pas fermer la plage et ne cesse de répéter que le rivage est sécurisé. Nous sommes le 4 juillet, jour de fête nationale, et la plage est bondée.
Après quelques hésitations, les estivants se décident à entrer dans l’eau. Le refus du maire de voir le danger pour son propre intérêt (ici, être maire est une métaphore de l’intérêt personnel), l’hésitation de la baignade, tout concourt à la tension dramatique.
Un aileron apparaît chargé d’une lourde menace. C’est la panique. Et le coup de théâtre mineur surgit à la fin de cette scène puisque cet aileron était faux.
Mais nous n’en avons pas fini avec la séquence. La tension dramatique a brutalement chuté, juste le temps pour le lecteur de reprendre son souffle.
Car le véritable danger s’invite dans la scène suivante et précisément en un lieu qui participe au suspense puisque le fils du Chef Brody s’y baigne.
Et la tension dramatique remonte dans les aigus.
Des points stratégiques
Le renversements majeurs se produisent habituellement aux points clés de l’histoire. Ils participent ainsi de la structure du récit. Nous distinguons la fin du premier acte qui est le point de départ de l’intrigue, le point médian de l’histoire (approximativement le milieu qui peut tenir en une page ou s’étendre sur plusieurs) et les climax (les points culminants) des second et troisième actes.
Si on pense à la structure, cela implique de faire le plan de son récit. On y décrit les grands événements qui dessineront assez précisément le déroulement de l’histoire.
Les retournements de situation n’apparaîtront pas magiquement. Ils doivent être prévus par l’auteur. L’effet de surprise du coup de théâtre doit être savamment planifié.
Considéré comme articulation, le coup de théâtre exige une réponse immédiate (le plus souvent) des personnages. Cette réponse a le pouvoir d’emmener le récit dans une toute nouvelle direction (et si réussie que le lecteur ne pouvait soupçonner).
Vous inventerez la succession des événements avec cet effet de surprise en tête. Il suffit d’imaginer ce que le lecteur imagine et vous en écrivez l’opposé.
Ou bien vous travaillez à lui fournir des indices qui l’amèneront à croire qu’un résultat se produira alors que vous avez prévu tout autre chose. Vous jouez avec votre lecteur.
La comédie Risky Business de Paul Brickman est un bon exemple. Miles, l’ami de Joël, prend contact avec une call-girl pour dérider un peu le timide Joël. On s’attend alors à ce qu’une superbe jeune femme apparaisse. Mais ce sera le travesti Jackie. Notre surprise n’a d’égale que celle de Joël.
La situation est devenue conflictuelle entre Joël et Jackie. Le conflit sera résolu lorsque Jackie remettra le numéro de Lana à Joël.
Cette surprise de l’apparition de Jackie a permis de mettre en place la véritable histoire.
Peut-être davantage que les complications, les retournements de situation ont aussi une répercussion émotionnelle sur les personnages qui passent ainsi de l’espoir à la désespérance ou du désespoir à la joie selon leur point de vue sur le changement soudain de circonstances.
Ces réactions émotionnelles sont souvent ressenties telles quelles par le lecteur. Ce qui l’implique de manière encore plus serrée dans l’histoire.
DAN BROWN : LA CONSTRUCTION DU THRILLER