Les contes merveilleux, de fée et autres ont toujours eu un intérêt auprès des lecteurs toutes conditions et âges confondus. Les temps changent. Nous changeons aussi et pourtant, il existe cet être en nous qui reste fasciné par les contes.
Nul doute qu’un tapis volant nous emporte tout essoufflé déjà dans des aventures intellectuelles que nous ne soupçonnions pas.
Pour Marina Warner qui a passé une grande partie de sa vie à étudier les contes, ces histoires essaient de trouver la vérité et nous donnent un aperçu de choses qui nous dépassent.
La vérité en est le principe et Italo Calvino, auteur réaliste et théoricien de littérature, grand amoureux aussi des contes, estimait que les contes sont plus honnêtes que le vérisme lui-même parce que les contes de fée reconnaissent leur caractère fictif.
L’étrange vérité des contes
Ce principe de vrai se comprend de la nature même des contes. Certes, la magie se montre ouvertement, sorciers et sorcières profèrent leurs sorts sans être inquiétés. Le chat potté existe. Dans Le conte du pêcheur et du petit poisson de Alexandre Pouchkine, un petit poisson d’or s’adresse aux hommes avec une voix humaine et dans un langage qu’ils comprennent.
Et quelle vérité trouver aussi dans ces métamorphoses étonnantes qui concluent des mises en intrigue impossibles mais nous renvoient aussi vers des choses profondément connues ou inconnues comme dans Le Roi Grenouille ou Henri de Fer ou encore La Belle et la Bête.
Pour l’universitaire Jack David Zipes, les contes de fée sont fortement marqués par les conditions de leur production. Ils reflètent le moment de la culture dans laquelle ils sont apparus la toute première fois.
Par exemple, dans ces temps historiques où le fils aîné de la famille possédait tous les droits (et non seulement sur des questions de lignée), les contes conférèrent au plus jeune des fils un rôle héroïque afin de compenser par une approche fantaisiste ce mépris dont il souffrait au quotidien.
Pour les filles aussi dans ces temps où le mariage arrangé prévalait, les jeunes filles effrayées étaient apaisées par des êtres monstrueux qui, lors du climax (ultime rencontre avec la destinée) devenaient des princes charmants.
Les jeunes filles atteignaient ainsi à une forme de pouvoir qui leur était interdit par les conventions sociales en vigueur. La vérité était là, dans cette résistance aux conventions, dans cette contestation sociale et dans cet espoir que le rêve peut devenir réel.
La pertinence des propos de Jack D. Zipes éclaire bien un fait. Néanmoins, pourquoi nous laissons-nous interpeller par ces textes encore aujourd’hui ? Au-delà du noyau dur d’une opposition sociopolitique de cette vieille Europe pré-moderne ?
Peut-être qu’une approche psychologique de ce phénomène serait à envisager, vers le développement infantile pour comprendre pourquoi et comment nous sommes irrésistiblement attirés vers ces royaumes enchantés.
Les contes et la psychologie
Phillip Pullman (l’auteur de A la croisée des mondes) ne croit pas qu’il y ait une once de psychologie dans les contes de fée. Pour Pullman, les personnages de contes de fée n’ont pas vraiment une vie intime plus ou moins complexe car leurs motivations sont claires et distinctes. Il va même jusqu’à dire que les personnages dans un conte ne sont même pas conscients.
A.S. Byatt, auteure de Des anges et des insectes et de Possession, connue pour admirablement conjuguer le naturalisme et l’imaginaire de la littérature victorienne s’accorde à l’opinion de Phillip Pullman car pour elle, les contes de fée ne sont pas aptes à analyser les sentiments.
Marina Warner pense que ces opinions sont superficielles. Vraies mais elles manquent de profondeur. Nous ne sommes certes pas conviés dans l’intimité de l’esprit de Cendrillon. Les personnages ne se livrent pas à des soliloquies révélatrices de leurs tourments intérieurs. D’ailleurs les auteurs ne se donnent même pas la peine de nommer la plupart de leur Dramatis personæ.
Cependant, et pour un scénario, c’est idéal, ils nous révèlent leurs pensées avec leurs actes. Et l’action peut être soumise à un examen psychologique.
Et bien sûr que ces personnages de contes ont des désirs et des rêves. Le conte est un discours narratif et en tant que tel, il puise dans la réalité ce qu’il imite ensuite.
Il est vrai que la problématique de la motivation dans les contes tend à convoquer le destin, la chance, l’inéluctabilité comme si toutes les choses possédaient une finalité et la magie comme composant naturel des mondes invoqués.
Pourquoi conteurs, auditeurs ou lecteurs acceptent-ils le destin et la magie comme causalité des événements ? Quelle relation peut-il y avoir entre les contes et notre psyché humaine qui nous pousse à consentir sans s’interroger un discours (narratif certes) qui défie les habituels modes d’entendement et le sens commun ?
Marina Warner évoque le moment dans Peter Pan lorsque Clochette se meurt du poison que le Capitaine Crochet avait prévu pour Peter. Dans la pièce jouée sur scène, il est demandé au public de frapper des mains pour sauver Clochette si nous croyons aux fées.
Pour les enfants présents, c’est quelque chose de tout à fait naturel. Bien sûr, les adultes frappèrent un peu dans leurs mains ou ne réagirent pas du tout.
Car pour l’adulte, ce serait presque un sentiment honteux.
Faux prétexte pour Marina Warner qui prétend que notre besoin de ces impossibles histoires consiste à dépasser les limites de notre réalité en un effort pour éclater les frontières étroites de notre condition humaine.
Une perception infantile
L’acceptation de la magie et du destin dans le merveilleux peut être considérée sous l’approche du développement de l’enfant. Ainsi, notre vulnérabilité ou cette sensibilité (notre faille en fait) peut être comprise comme une persistance en notre esprit lorsque, encore enfant, nous découvrions le monde.
Les contes de fée auraient ce pouvoir de nous ramener en un temps où l’attention que nous donnions au monde était comme une première fois.
C’est une hypothèse que vous pourriez vouloir débattre dans les commentaires.
Dans la petite enfance, remarquer les choses importent énormément. Si l’on demande à l’enfant de nous raconter sa journée, sa narration sera décousue, informelle, mais toute remplie d’images, de sons, de goûts, de textures, d’odeurs, de sensations.
L’enfant ne cherche pas à s’expliquer les choses. Il s’interrogera sur le pourquoi des choses plus tard. Cette perception à fleur de peau est pleine de surprises à la fois délicieuses et terrifiantes.
Les contes fonctionnent à l’identique. Ils sont une succession d’événements comme n’importe quelle histoire sauf que dans les contes, la nature et l’ordre de ces événements défient la logique. Il est vain de chercher la moindre cause entre les événements. Ils ne sont qu’une succession d’expériences diverses et variées.
Considérons Monsieur Le Parrain des Contes de l’enfance et du foyer des frères Grimm (recensé comme le conte KHM 42). Monsieur Le Parrain est l’histoire d’un homme pauvre qui a tant d’enfants qu’il ne trouve plus personne à qui demander d’être le parrain de l’enfant nouveau-né. La nuit venue, l’homme très pauvre s’endort et rêve qu’il devra demander à la première personne qu’il rencontrera d’être le parrain de ce nouvel enfant.
Ainsi, l’homme pauvre fait part au premier homme qu’il rencontre de sa demande. L’homme accepte et lui remet un cadeau. C’est une fiole emplie d’eau aux vertus magiques.
Cette fiole guérira le moribond au seuil de la mort si celle-ci se tient à sa tête. Mais si La Mort vient par les pieds, l’eau n’y pourra rien.
L’enfant du Roi tombe malade. Comme La Mort se tient à sa tête, l’homme pauvre (devenu riche entre temps par les miracles accomplis) sauve l’enfant du Roi. Une seconde fois, l’enfant du Roi tomba malade. Mais La Mort se tenant toujours à la tête de l’enfant, l’homme à la fiole le sauva une seconde fois.
Mais la troisième fois que l’enfant du Roi tomba malade, La Mort était au pied du lit et l’enfant ne put être sauvé.
Peu de temps après, l’homme à la fiole se décida à aller demander des explications au parrain. En explorant la maison du parrain, l’homme à la fiole aperçut une pelle et un balai se querellant. En continuant sa visite, il rencontra plusieurs doigts coupés qui parlaient entre eux et un peu plus haut dans la maison, il trouva des crânes qui parlaient eux aussi entre eux.
Comme il continuait à monter dans les étages, il aperçut des poissons qui se faisaient frire eux-mêmes dans une poêle. Chacune de ses étranges assemblées lui disait de continuer à monter les étages afin de trouver le parrain.
De longues cornes
Arrivé tout en haut de la maison, l’homme à la fiole observa dans la pièce à travers le trou de la serrure. Il vit alors le parrain portant de longues cornes sur la tête. Entrant dans la pièce, l’homme à la fiole surprit le parrain qui se cacha sous une couverture.
Lorsque l’homme demanda au parrain des explications sur les rencontres étranges qu’il venait de faire dans la maison, le parrain trouva toute une série de raisons tout à fait logiques.
Mais lorsque l’homme à la fiole lui demanda ce qu’étaient ces cornes que le parrain portait sur la tête, le parrain nia fortement qu’il posséda de telles cornes et accusa l’homme à la fiole d’avoir eu des visions et de mentir.
C’est ainsi que l’histoire se termine. Voyez la forme de la narration. Un imaginaire puissant qui ne cherche aucunement à s’articuler logiquement. Car les contes se narrent sans structure.
C’est une manière primordiale de procéder. Les événements s’accumulent sans ordre apparent (même l’ordre temporel n’est pas convié dans l’histoire). Un manque de logique causale et un dénouement à cent mille lieues de là où tout a commencé sont aussi pertinents.
Le fait qu’un événement soit antérieur à un autre événement n’implique pas que cet autre événement soit la conséquence d’une délibération antécédente. Dans les contes, Post hoc, non est propter hoc.
Des propositions paractactiques
Pour faire fi de la causalité, les contes utilisent la parataxe (appelée aussi disjonction). Il y a parataxe lorsque deux propositions sont juxtaposées sans être unies par un rapport de subordination ou de coordination.
Subordonner une proposition à une autre crée un lien causal entre les deux. Par exemple, cet homme soulève l’arbre parce que l’homme est fort.
Parce que introduit une logique causale car si l’homme était faible, il ne pourrait soulever l’arbre.
Maintenant utilisons la parataxe : L’homme est fort, il soulève l’arbre. Les clauses qui assurent la causalité sont absentes. Rien n’affirme que l’arbre est soulevé parce que l’homme est fort.
Mythes, légendes et fables fonctionnent souvent sur ce principe. Même la Genèse n’y échappe pas. C’est une suite d’histoires minimales, sans élaboration complexe.
Les personnages aussi répondent à la loi du genre. Nous ne pénétrons pas davantage dans l’intériorité de Adam lorsque Ève lui offre la pomme que dans celle de l’homme pauvre du conte des frères Grimm lors de sa rencontre avec le parrain cornu.
Dans les contes féeriques, aucune légitimation de vraisemblance n’est nécessaire. Un récit de fiction ne peut se passer d’étudier ses personnages sur le plan psychologique, d’expliquer au moins par leurs comportements, attitudes, postures et leurs lignes de dialogue ce qu’il se passe à l’intérieur d’eux.
C’est un a priori de la création d’un courant de sympathie qui ouvre la voie à l’empathie, à l’identification du lecteur au moins avec le héros ou l’héroïne de l’histoire.
Il est alors difficile de comprendre pourquoi les personnages de contes si pauvrement dépeints créent en nous une inquiétude quant à ce qu’il peut leur arriver.
Considérez Hansel et Gretel. Nous ne connaissons même pas leur âge et chaque artiste qui les ont illustrés ont librement choisi de les représenter à tel ou tel âge. Comment ces manques dans la personnalité qui font des personnages de contes davantage des fonctions que des êtres fictifs apparemment humains peuvent-ils susciter autant d’intérêt ?
Est-ce l’énigme de qui ils sont qui nous pousse à les aimer ou à nous inquiéter de leur sort ?
Un espace négatif
On peut effectivement émettre l’hypothèse que le genre du conte (ainsi que les mythes et les légendes) nous accroche non seulement par ce qu’il nous est donné, par cet imaginaire si positif (puisque didactique) mais aussi par ces manques narratifs, ces espaces négatifs comme les nomme les arts visuels.
Les récits de fiction reflètent les conditions des différentes cultures et époques de leurs productions. Les univers des contes merveilleux sont aussi imprégnés des conditions culturelles au cours desquelles et dans lesquelles ils sont nés.
Pourtant, l’atemporalité des contes est certaine bien qu’ils se situent d’emblée d’autrefois (Il était une fois).
La signification apparaît par le questionnement que suscite les contes merveilleux. L’interrogation qui permet aux contes de résister à l’obsolescence est pourquoi .
Pourquoi le fils du Roi est-il malade ? Pourquoi La Mort se tient-elle au pied du lit ? Qui est La Mort ? Qu’est-il arrivé à tous les enfants du pauvre homme ? Pourquoi le pauvre homme n’a pas de nom ? Pourquoi Monsieur le Parrain a t-il des cornes et pourquoi dit-il que ce n’est pas vrai ?
L’enfant ne se posera peut-être pas toutes ces questions. Il découvre le monde en effet les yeux grands ouverts sur les choses que le hasard posent devant lui.
L’enfant un peu plus âgé se les posera certainement et exigera probablement des réponses. Il est déjà dans une recherche de sens. Quant à l’adulte, bien que critique envers le conte, il éprouvera un sentiment profond que l’histoire ainsi contée mérite une attention et qu’elle porte en elle une étrange vérité.
La signification est hors du temps. Marina Warner par exemple met en avant une interprétation de certains contes sous un angle idéologique qui expose le thème du féminisme contre des préjugés patriarcaux.
Chacun d’entre nous peut s’emparer d’un conte et projeter son propre vécu dans la lecture du conte. Chacun peut y lire l’histoire qui lui convient le mieux, dans laquelle il projette sa propre vie, ses propres souvenirs.
Par exemple, la mère de Blanche-Neige est morte en couche. C’est un détail qui prendra une importance certaine si le lecteur ou l’auditeur du conte ont connu une telle expérience. Ce qui actualise l’histoire contée.
Dans un conte et peut-être plus que dans tout autre récit, chacun s’accapare les détails pour écrire son propre discours.
MARGARET ATWOOD : HISTOIRE & INTRIGUE