La différence essentielle entre forme et contenu quand il s’agit d’écrire le drame est que le contenu est ce que nous dit le texte tandis que la forme serait l’agencement, l’ordonnancement, l’organigramme de ce contenu.
Forme et contenu sont deux aspects très importants à considérer dans un texte narratif. On ne peut d’ailleurs vouloir envisager le contenu sans prendre en compte la forme et l’inverse est tout autant dénué de sens. Entre la forme et le contenu d’un drame, il y a un rapport nécessaire et suffisant.
La forme réfère donc aux questions de style et, nous n’y échapperons pas, de structure. Quant au contenu, il nous parle de l’intrigue, des personnages, des lieux de l’action et des thèmes que l’auteur souhaite aborder.
Forme et contenu du drame
La forme est la manière d’organiser le contenu d’un texte narratif, par exemple, car d’autres genres de discours sont autant concernés par la forme. Qu’il soit narratif ou autre, le texte manipule des informations qu’il lui faut communiquer ou exprimer.
C’est par la forme que le texte explique comment il présente ces informations. Et puis, on peut faire la distinction aussi par le moyen d’expression : le roman, la nouvelle, le poème… le scénario.
Le genre permet aussi de discerner entre les types de drame. On peut discerner le drame, l’épique, l’élégie et à l’intérieur du drame lui-même, s’exprimer selon la comédie, la tragédie, l’horreur ou l’aventure…
La division en chapitres, en actes, en scènes qui participent de la structure (comme le passage presque obligés de moments clés du récit) entrent aussi dans la forme.
Le contenu expliquera ce dont parle le texte. Ce contenu se constitue du message, de l’histoire, du thème, des lieux du drame que l’histoire visite et les personnages, évidemment.
Forme et contenu sont fortement dépendants l’un de l’autre. Pour véritablement apprécier un drame, on ne voudrait pas séparer le contenu de sa forme.
L’action et le conflit qui désignent le drame ne sont pas les seules façons de raconter un récit. Ils portent aussi de la signification. Ils donnent une forme aux idées à travers les personnages et leurs actions, réactions et interrelations diverses et variées (ces interrelations seraient même l’un des composants les plus remarquables du drame).
Les personnages : éléments clefs du drame
C’est par les actes des personnages que le lecteur se fait une impression de qui ils sont. Pour l’auteur, il n’est pas inutile de prêter une attention toute particulière aux actes et aux comportements de ses personnages.
Car chaque acte d’un personnage, chacune de ses décisions et chacun de ses choix, jouent un rôle dans la manière qu’il sera perçu par le lecteur.
C’est une banalité dont il faut tenir compte. Et pourtant cruciale lorsqu’il est nécessaire par exemple de créer un mouvement de sympathie (l’a priori de l’empathie) envers son personnage principal.
On peut vouloir aussi orienter l’impression du lecteur vers les fonctions du drame que sont le protagoniste et l’antagoniste. Un drame, c’est du conflit et un mouvement (les choses palpitent dans un drame). Cela crée de la tension dramatique et un élan aussi qui force l’intrigue vers l’avant.
Dans le même temps, le récit met en avant des personnages qui se meut selon des motivations. Et cela crée du sens.
Les outils du drame
La causalité est un principe qui permet de justifier les scènes de manière logique. Ceci est la conséquence de cela, par exemple. Mais ce n’est pas un principe suffisant pour créer le drame.
L’action doit être dramatique. On ne peut pas prendre tout événement et le poser dans son intrigue. Il faut le dramatiser.
Pour certains auteurs, dramatiser serait le mélange d’un récit factuel et d’un récit fictif. Le récit puiserait dans des faits réels (des événements historiques par exemple ou bien la morne routine de notre quotidien, cruelles habitudes qui dénuent de sens nos vies) et innoverait en créant un contexte fictif dans lesquels ces faits réels se déploieraient.
Si vous, lecteurs de cet article, possédez d’autres définitions, vous êtes conviés avec plaisir aux commentaires (même s’ils ne me sont pas favorables tant que vous n’êtes pas injurieux ou méprisants).
De manière tout à fait traditionnelle, l’histoire a un protagoniste qui a un désir (l’objectif qu’il s’est fixé) et un besoin (un problème personnel qu’il doit résoudre).
La relation qui unit le désir au besoin procure à l’histoire un élan qui la propulse vers l’avant.
Comme le protagoniste (qui peut être aussi le personnage principal) est mû à la fois par son désir de réaliser son objectif et d’atteindre lui-même à une certaine complétude (puisque son besoin le rend imparfait), cela le rend proactif (il est celui qui initie l’action).
En fait, jusqu’au point médian (le centre approximatif du récit), le lecteur a surtout le sentiment qu’il subit ce qu’il lui arrive.
Dans la seconde partie de l’acte Deux (si l’on accepte l’idée que l’acte Deux se constitue en deux parties séparées par le point médian), il devient véritablement actif après avoir connu une grave crise personnelle grâce à laquelle il puisera en lui une force nouvelle qui le rendra capable de solutionner son besoin et plus tard, son désir.
Pour qu’il y ait drame, il faut que la plupart des situations dans lesquelles ce protagoniste est jeté soient conflictuelles. Le protagoniste fera face à des obstacles et des complications, termes génériques ou éléments dramatiques parmi d’autres qui créent le conflit.
Les obstacles
Quelque chose ou quelqu’un voudraient que le personnage principal ou le protagoniste (s’ils sont séparés) ne réussissent pas ce pour quoi ils existent dans l’histoire.
Bien sûr, on peut s’interroger si leurs existences fictives ne servent pas plutôt à donner à l’histoire une existence réelle.
Pourquoi doit-on poser un objectif ? Admettons que pour le moment et si nous ne cherchons pas à explorer du côté du cinéma expérimental, il est bon de donner un objectif à son protagoniste sans que cela soit garanti qu’il l’obtienne.
L’objectif n’est vraiment utile que pour donner une motivation à l’action. Alfred Hitchcock a d’ailleurs inventé le terme de McGuffin précisément pour donner à l’histoire un objectif poursuivi mais qui n’a en fait aucune importance dans l’intrigue.
Quoi qu’il en soit, la moindre des situations conflictuelles nécessite un obstacle. Un simple refus est un obstacle. Tout n’est pas négatif pour créer de l’action. Par exemple, l’arbre s’est abattu sur la route ajoute à l’action parce qu’il faut trouver le moyen de contourner cet obstacle.
L’obstacle est surtout une menace. Une relation entre deux individus peut être un obstacle à l’accomplissement de l’un d’entre eux qui pourrait être le personnage principal. En effet, le personnage principal est condamné à changer, à devenir ce qu’il est comme le disait Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra.
L’obstacle (ou la volonté derrière l’obstacle) voudra contrer cette volonté du personnage principal. Et il peut réussir.
Dans la première partie de l’acte Deux (l’acte Deux est l’acte des tribulations et des épreuves), les premiers obstacles peuvent facilement être résolus d’un revers de main (et le protagoniste peut s’enorgueillir d’une hypocrite confiance).
Mais plus il rencontrera d’obstacles et moins il pourra y échapper et plus ceux-ci le feront souffrir.
Chaque obstacle, même mineur, est une crise
Il y a des moments dans l’histoire qui sont de véritables crises. Cela crée de la tension dramatique. Il n’est peut-être pas souhaitable que le lecteur soit toujours sous tension (cela peut fonctionner dans certains cas).
Il est probablement plus utile d’emmener le lecteur dans un grand huit où la tension monte en flèche puis se relâche abruptement et cela se répète dans le cours de l’intrigue. La répétition est aussi un élément dramatique.
Nous observons un protagoniste en prise avec des problèmes. Ou bien nous vivons par personnage interposé (souvent le personnage principal) ces mêmes problèmes (parce que nous croyons les reconnaître).
Ce qui est sûr, c’est que nous ne savons pas si ce personnage s’en sortira. Il y a toujours ce doute, cette incertitude, cette amertume même lorsque le héros triomphe de l’adversité mais qu’intérieurement, lui et nous-mêmes, ne pouvons nous empêcher de ressentir comme un gâchis.
On discerne habituellement quatre types d’obstacles.
- Une force antagoniste
- Une obstruction physique, quelque chose qui bloque le passage
- Un conflit interne
- Sa propre destinée (ou des forces mystiques pour ceux qui y sont plus enclins).
La force antagoniste est statistiquement celle qui constitue pour le protagoniste la principale raison qui lutte contre lui dans l’obtention de l’objectif. Imaginez qu’ils veulent tous les deux la même chose et que le partage est impossible.
Est-ce que la volonté délibérée de lutter contre le protagoniste fait de l’antagonisme un ennemi du héros ? C’est la volonté délibérée de l’auteur qu’y s’insuffle dans l’antagonisme. Parce que cette force antagoniste peut certes être anthropomorphe, une entité incarnée d’une idée comme une institution que l’on réduit à une figure pour mieux la manipuler comme dispositif dramatique, mais parfois aussi, une simple barrière qu’on ne peut traverser, un pont emporté par les eaux ou cette maudite voiture qui refuse de démarrer sont autant d’obstacles (ou conflits) qui n’ont pas d’âme, pas de sensibilité ni d’intelligence.
On n’est même pas sûr que ce soit le hasard ou la Providence.
Le méchant de l’histoire n’est pas toujours un méchant
La volonté supposée de l’antagoniste fait de lui une force avec laquelle il faut compter. Cette force n’est pas le résultat final d’un choix entre le bien et le mal.
La mère de Merlin par exemple (et entre autre histoires de Merlin) était une femme vertueuse et parce que, à cause d’un accès de colère, elle oublia ses prières du soir, le démon qu’on appela le diable (si tant est que c’était lui) la viola et il s’en conçut Merlin.
Dieu, cependant, offrit à Merlin la possibilité de choisir entre le bien et le mal. Merlin choisit évidemment le bien mais une grande partie de son savoir et de son pouvoir (nécromancien) provient du mal. Alors, Merlin est à la fois un personnage probablement pieux mais aussi ambiguë.
L’antagoniste se distingue parce qu’il s’oppose (quelles que soient ses raisons par ailleurs totalement justifiées) à l’objectif du protagoniste comme Carolyn dans American Beauty s’oppose à Lester pendant presque tout le temps de l’histoire.
Ce qui la désignerait comme l’antagoniste mais à y réfléchir une seconde fois, Frank Fitts est probablement ce véritable antagoniste parce que subjectivement, il suit un chemin exactement inverse à celui de Lester.
L’antagoniste a une fonction structurante. Il participe à l’expression de l’histoire, au principe de la fiction. Il existe un conflit central qui accable un protagoniste. Et puis, il y a cet antagonisme qui vient appuyer en quelque sorte là où cela fait mal.
Deux amis par exemple peuvent être attirés par la même femme. L’un entrave forcément le désir de l’autre. C’est un peu ce qu’il se passe dans Les plus belles années de notre vie de Robert E. Sherwood (et William Wyler) d’après le roman Glory for Me de MacKinlay Kantor.
Le conflit opère aussi physiquement. Les forces de la nature ou la technologie (maîtresse maudite du progrès [vous pourriez vouloir commenter cette affirmation]) qui se retourne contre nous, toutes ces choses naturelles ou non sont sources d’un conflit toujours possible.
Peut-être intéressant avec la matérialité, c’est qu’elle ne distingue pas le bon et le mauvais. Elle frappe aveuglément. Dans un triangle amoureux forcément conflictuel, lorsque l’adversité s’abat, elle frappe tous les personnages comme dans Titanic où Rose, Jack et Hockley sont tous trois face au navire à la triste destinée.
Des conflits internes
La définition n’en est pas bien compliquée. Les conflits internes sont des problèmes personnels (un trauma mal digéré, une vieille blessure émotionnelle qui ne cesse de se régurgiter au moindre incident, des souvenirs qui s’invitent dans nos comportements et nos réponses…).
Ces conflits internes sont émotionnels, psychologiques ou spirituels. Classiquement, le personnage principal doit d’abord résoudre ce qui le taraude avant de pouvoir espérer vaincre l’obstacle qui entrave son objectif.
Ils servent aussi à délimiter le thème, le message de l’auteur, ce qu’il a à dire à son lecteur. Cette intériorité n’est certes pas facile à décrire. Il n’est pas évident de parler de peurs, de névroses, d’immaturité, d’arrogance ou d’orgueil.
Voyez, il n’y a pas de pure fiction. Les êtres fictifs empruntent à la réalité (notre condition humaine souvent misérable) et peut-être nous montrent-ils ce que nous avons à faire.
Comme Rick dans Casablanca. Ne croyez pas que citer les classiques est une solution de facilité. Bakhtine disait que tous nos mots sont les mots d’autrui. Un auteur puise dans les histoires qui l’ont précédé de la matière pour sa propre œuvre.
L’ego meurtri de Rick, donc, l’a laissé amère et aliéné de sa véritable nature. Sa relation nouvelle avec Ilsa, finalement, lui permettra de se redécouvrir lui-même dans une sorte d’anagnorisis (une nouvelle connaissance teintée d’heuristique).
La destinée
La lutte contre sa destinée ou la fatalité ou encore des forces mystiques ou surnaturelles est une forme d’obstacles tout à fait admise par le lecteur.
Œdipe ou Prométhée se confrontent aux dieux. Dans son Prométhée enchaîné, Eschyle fait en sorte que Prométhée affrontent volontairement (et peut-être inconsidérément) Zeus qui est clairement un dieu injuste et tyrannique.
Et Sophocle énonce que le sort d’Œdipe (Œdipe Roi) est déjà scellé. Et malgré cela, Œdipe essaie de l’éviter. Mais nous sommes dans une tragédie et ce geste honorable apportera la ruine pour lui-même et sa famille.
Le surnaturel consiste à opposer le héros contre des adversaires non humains. C’est une définition un peu réductrice cependant. La providence que la raison ne s’explique pas (du moins, pas encore) peut s’exprimer comme un choix moral.
Considérons John Book (Witness). Pendant toute la durée de son séjour chez les Amish, il lui est fait obligation d’adhérer à l’éthique, aux modes de vie des Amish.
S’il conserve par devers lui son arme, ce sera un obstacle dans sa relation avec Rachel. Il fait alors le choix de lui confier son arme.
Une intrigue bien menée incorpore des obstacles physiques ou bien un antagonisme persistent qui creusent leur propre chemin dans la psyché du personnage principal. Ils créent un véritable tourment chez le héros.
Ces obstacles forcent la prise de décision chez les personnages. Qu’ils soient protagoniste ou antagoniste, les personnages devront décider de ce qu’ils ont besoin de faire et s’ils doivent le faire. C’est ainsi que l’auteur crée de l’action dramatique.