Lorsque l’idée d’une situation dramatique conflictuelle a mûri, il faut la mettre en pratique. Les personnages luttent pour obtenir quelque chose. Il faut qu’ils soient motivés à le faire. Ils ne peuvent se contenter de subir les événements.
Dans la première partie de l’acte Deux (si l’on retient la structure d’un point médian qui délimitent ces deux parties), peut-être les personnages reçoivent et ne donnent pas.
Mais dans la seconde partie, ils devront agir et prendre l’initiative.
Un scénario typique de grands classiques ou de films indépendants fonctionnent un peu de la même façon. Les personnalités des personnages sont mises en avant. Le désir (qui constitue souvent l’objectif) et le besoin (plus personnel et dramatique) sont sensiblement développés afin que le lecteur ressentent surtout ce besoin psychologique des personnages (et en particulier celui du personnage principal).
Mais pour que l’alchimie empathique fonctionne, le lecteur doit connaître les motivations qui expliquent l’agir des personnages qu’il voit ainsi évoluer dans un monde qui n’est pas le sien mais dans lequel il a été invité par l’auteur.
L’objectif : raison d’être de l’intrigue
La formule est classique. Elle se répète inlassablement. Il vaut mieux connaître les règles avant de tenter de les contourner. L’action dramatique pousse l’intrigue vers l’avant. Le protagoniste rencontre des obstacles. Ils ont un effet ou positif ou négatif sur la vie fictive de ce personnage mais il apprend toujours quelque chose et progressivement, il parvient à l’ultime rencontre (le climax) et ainsi à la résolution de ses problèmes (extérieur qui est le désir et intérieur qui est le besoin).
L’action dramatique crée un élan minimum. Néanmoins, le récit doit aussi inclure des scènes qui expliquent pourquoi les événements se produisent. Par exemple, on peut vouloir interrompre l’action présente par une analepse explicative (un retour dans le passé) qui informera le lecteur sur les causes de l’événement actuel.
L’aspect dramatique des enjeux pour le personnage principal comme pour d’autres personnages crée de la tension dramatique. Cette tension rive l’attention du lecteur sur l’histoire.
Le conflit est incessant en fiction comme dans la vie réelle. Kurt Vonnegut a dit autrefois que tout récit de fiction est le récit d’un personnage qui s’attire sciemment des ennuis ou qui est jeté dans une situation dramatique et il cherche un moyen d’en sortir.
Rendre une situation dramatique conflictuelle ne consiste pas seulement à la remplir d’un quelconque matériau dramatique.
Un conflit est une lutte entre deux forces opposées. Mais le véritable conflit de l’intrigue est celui du besoin d’un personnage (dont il n’a peut-être pas encore conscience dans l’acte Un) puisque l’on rencontre pour la première fois ce personnage, il est imparfait et ce personnage aura des difficultés à combler ou réaliser ce besoin.
C’est une formule simple et qui n’empêche pas d’être original. Nous avons un personnage principal qui veut désespérément quelque chose mais qui ne peut l’avoir.
Pip, narrateur homodiégétique dans Les grandes espérances de Dickens aspire de tout son cœur à devenir un gentleman mais l’aristocratie anglaise de l’époque voit d’un mauvais œil les parvenus. Michael Corleone du Parrain ne souhaite pas prendre la succession de son père mais il ne pourra résister à la pression de cet héritage filial. Dans Orgueil et Préjugés, Darcy est amoureux de Elisabeth. Mais il rencontre un léger obstacle : Elisabeth le méprise.
Idéalement, le conflit est une démarche significative
Les situations conflictuelles ont du sens à la fois pour les personnages mais aussi pour le lecteur qui doit comprendre les conséquences des actions et des choix des personnages. Et tout cela doit être orchestré (d’où le besoin d’une structure) pour que le lecteur puisse décoder ce qu’il voit, lit ou entend.
Le lecteur/spectateur voit et entend une histoire se dérouler devant lui. Des informations explicites sur ce qu’il se passe lui sont données simultanément à des informations sous-entendues.
Lorsqu’il décode les mots, les images, le lecteur/spectateur fait l’effort de rassembler ces informations.
Par ce travail, le lecteur/spectateur s’implique dans l’œuvre d’un auteur. Il devient un actif participant du travail de création de l’auteur. Le lecteur/spectateur est happé dans l’histoire. Et il y est maintenu par les interrogations qui ne laissent de s’imposer à lui.
Le travail de l’auteur consistera essentiellement à ne pas faciliter la tâche de lecture parce que lire ou voir, en quelque sorte consommer une œuvre est une activité passive.
Ce sont les événements de l’histoire liés ensemble par une quelconque logique (habituellement son effet et sa cause) qui constituent l’intrigue. C’est ainsi qu’un récit devient dramatique. Il faut comprendre les relations qui unissent les événements et comment les exploiter au mieux pour l’histoire.
Toutes les intrigues qu’elles soient linéaires (les événements respectent l’ordre chronologique de leur survenance) ou non linéaires (l’ordre chronologique est bouleversé lorsque par exemple une analepse explicative d’un événement du passé vient interrompre l’action présente pour donner la cause d’un effet actuel, qui se produit dans le présent justement), se fondent généralement sur les lois de la causalité.
Une conséquence est donc créée par une cause et cette conséquence est elle-même la cause d’autres effets. La causalité facilite la compréhension de la lecture parce qu’il est facile de voir ces relations de cause à effet et d’en tirer des conclusions ou en inférer des informations pour créer du sens et rester rivé sur l’histoire.
Tisser les événements et les faits
Lorsqu’on comprend la relation qui existent entre les faits et donc entre les scènes qui les décrivent, on peut lier tous les fils de l’intrigue. Suivre les fils ainsi tissés crée un élan dramatique.
Une relation de cause à effet n’explique pas tout. Il y a à la fois une telle relation certes mais couplée à la montée croissante de la tension dramatique générée par les conflits actuels et ceux que l’action laisse présager.
La causalité est un procédé dramatique. Certes instrumentale (elle fait intervenir aussi le concept de temporalité des événements, elle-même outil dramatique, instrument et condition du drame), la causalité aide à pousser l’intrigue vers l’avant tout en s’assurant que le lecteur comprenne ce qu’il s’y passe.
Cela crée un élan dramatique. Du rapport qui existe entre les scènes, on en tire de la signification. Sommairement, nous avons des personnages qui agissent. Cela crée des réactions et des conséquences (peut-être y a t-il toujours un prix à payer pour les décisions que l’on prend).
Puis ces réactions et conséquences créent à leur tour d’autres conséquences auxquelles les personnages doivent répondre.
En somme, c’est cela un langage dramatique. Il nous faut voir la cause et son effet, l’action et la réaction que l’action provoque, de suivre et de comprendre ce qu’il se passe dans l’histoire et pourquoi cela se passe t-il ainsi.
Considérons ces trois énoncés :
- Un couple se dispute et se sépare
- Il est assis dans un café et lit un journal
- Il est chez lui et se prépare à sortir
Trois énoncés que rien ne lient et par conséquent, ils ne content pas une histoire pris ensemble.
De manière autonome, ils peuvent révéler un passé et peut-être un futur mais comme une intrigue, c’est d’abord un assemblage, de la construction de ces trois énoncés en une histoire, il ne ressort rien.
Reconsidérons ces trois énoncés :
- Un couple se dispute et se sépare
- Il est assis dans un café et lit un journal. Mais il ne parvient pas à se concentrer. Un souvenir l’obsède. Une image de carte postale avec elle qui lui dit : Je t’aimerai toujours.
- Il est chez lui et se prépare à sortir. Son regard croise alors une photo d’elle. Il sait qu’il va lui offrir un bouquet de fleurs.
Les trois énoncés assemblés forment maintenant une séquence. Nous pouvons apercevoir ce qui lie les trois événements. Nous savons que 2. est possible parce qu’il y a eu d’abord 1. et 3. est envisagé parce qu’il veut sortir de cette situation conflictuelle avec elle.
Il veut se réconcilier avec elle. C’est ce que symboliquement le bouquet de fleurs nous dit. Selon la personnalité de la fille, on peut remplacer cet artefact par toute autre chose. Si cette jeune femme est passionnée de boxe française par exemple, il pourrait vouloir lui offrir un équipement ad hoc.
Donner un but
Montrer l’action et les réactions donne une finalité aux événements. Le but, c’est ce qui permet l’élan dramatique. Et l’auteur a besoin de cet élan pour garder l’attention de son lecteur qui risque de décrocher s’il y a trop de descriptions dans une scène par exemple.
Une description n’est pas dramatique. L’action est dramatique. Ne dites pas les choses. Montrez comment elles se font et se vivent par les personnages et par le lecteur (qui les éprouve par personnage interposé).
Motiver les actions et les orienter vers une claire finalité, voici ce dont a besoin le lecteur pour apprécier ce qu’il lit, voit et entend.
Conflits et complications mènent vers cette finalité.
Pour expliquer ce qu’il se passe dans son intrigue, l’auteur peut utiliser une simple connexion entre les événements. Il guide son lecteur avec des informations qu’il lui donne et le lecteur met dans sa mémoire les événements (ou informations) et finit par les relier.
C’est pourquoi l’ordre chronologique n’a que peu d’importance dans l’histoire. Le récit liste les événements successivement (puisqu’il est une sorte de plan de l’histoire, il préfigure la structure) mais l’histoire peut s’exposer comme bon lui semble.
Les événements listés dans le récit sont comme un jeu de cartes. Vous mélangez le jeu et les cartes apparaissent dans l’histoire.
Dans Erin Brockovich, les quinze premières pages du scénario prépare la rencontre décisive avec Ed. Cette rencontre est le point de départ de l’intrigue. Tous les événements décrits dans ces quinze premières pages pris séparément, de manière autonome, ne sont pas significatifs.
Assemblés, ils justifient la rencontre et en conséquence, la découverte par Erin des documents qui sont au cœur de l’intrigue.
Concernant la distance entre l’effet et sa cause, il faut qu’elle ne soit pas trop grande. Si vous avez recours à un événement antérieur pour expliquer la situations présente, revenez à la situation présente afin que l’effort de mémoire du lecteur ne soit pas trop pesant pour lui. Sinon, il risque de perdre patience avec votre personnage principal qui lui donnera alors l’impression de subir les événements plutôt que d’être lui-même la cause de sa propre histoire.
Les personnages se découvrent
Un rapport de causalité peut aider à découvrir la personnalité des personnages. Actions, conflits, désirs, résistances affectent les personnages. Une intrigue, ce n’est pas seulement des scènes qui montrent la poursuite de l’objectif ou les conflits incessants avec l’antagoniste.
Les scènes nous montrent aussi les réactions des personnages aux obstacles, aux complications qu’ils rencontrent, aux revers qu’ils subissent et les petites victoires aussi qu’ils connaissent.
En acceptant que l’effet ait une cause, que l’action ait une réaction, vous créez de la senefiance et vous faites avancer l’intrigue. Aristote parlait de caractères dans La Poétique, c’est-à-dire ce qui fait que les personnages parlent et agissent comme ils le font.
Nous dramatisons donc chacune des étapes par lesquelles ils doivent passer lors de leur poursuite de l’objectif.
Le mode dramatique est celui du conflit. Ce que les scènes montrent, ce sont les réactions des personnages au conflit. Et ces réactions nous démontrent qui ils sont. Si la réaction est d’importance pour l’intrigue, il est inutile de rendre dramatique toutes les scènes. Certaines informations peuvent être dites par des lignes de dialogue.
De même, il est inutile de montrer des actions quotidiennes à moins qu’effectivement, cette routine soit d’importance à la fois pour la construction du personnage et la constitution de l’intrigue.
La chose qui compte est comment votre personnage se comportera lorsque les choses iront mal pour lui et que la pression dramatique (et la tension qui avec) est lourde. C’est comme cela que l’on peut révéler la vraie nature sous le masque. Et c’est ce que le lecteur veut.
Considérons cette séquence de Erin Brockkovich :
Cherchant de nouveaux témoignages à charge, Erin rencontre Rita et Ted dont la fille Annabelle a un cancer. Pendant que Erin parlent à ses parents, Annabelle se blottit entre eux. Erin ne peut attaquer de plein front ce pour quoi elle est venue. Elle est fascinée par Annabelle et alors qu’elle lui sourit, nous voyons bien dans les yeux de Erin à quel point elle est bouleversée.
Dans une scène qui suit, Erin rentre chez elle. Elle fixe la route d’une manière intense. Cela nous dit que l’expérience qu’elle vient de vivre avec Annabelle l’a clairement perturbée.
Une scène nous montre alors Erin tentant de convaincre Ed d’un recours collectif pour l’affaire. Car il y a manifestement d’autres que les Jensen concernés.
Mais Ed ne veut pas en entendre parler. Cependant, ce que l’on sait de Erin depuis le début de ses aventures, c’est que c’est un personnage tenace.
Elle harcèle Ed jusqu’à ce qu’il lui donne son accord. Notez en passant que dans une scène, rien n’est jamais accordé d’avance. Le conflit se résume souvent dans le refus de l’un à ce que l’autre veut obtenir de lui.
Que nous révèle cette séquence concernant la personnalité de Erin ?
Il est manifeste que le sort des personnes que Erin a rencontré l’affecte énormément. La rencontre avec Annabelle nous permet de justifier l’acharnement qu’elle montre lorsqu’elle veut obtenir de Ed que l’affaire devienne un recours collectif contre PG&E. On comprend ses motivations.
Il me faut préciser le sens de conflit ici. En effet, conflit en fiction a un sens assez étendu. Au-delà d’une lutte entre deux forces opposées, le conflit devrait être compris comme toute situation qui crée une tension dramatique, une angoisse chez le personnage et par contrecoup chez le lecteur.
Donc, en montrant les réactions au conflit que Erin vient de vivre avec Annabelle, nous comprenons mieux Erin et nous apprenons aussi à la connaître. Et nous partageons avec elle la même réponse émotionnelle. Parce que nous pouvons ressentir ce qu’elle a enduré.
Si Erin s’était contentée de nous dire lors d’une conversation ou bien si elle était la narratrice de sa propre histoire ses sentiments, nous aurions moins participé dans la scène.
En nous montrant visuellement cette réaction passionnée de Erin, l’auteur nous communique directement ce que nous ressentons pour comprendre les scènes à venir.
LE RÉALISME MAGIQUE : UNE INTRODUCTION
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