La narratologie est la théorie des textes narratifs. Une théorie est un ensemble systématique de déclarations générales sur un segment particulier de la réalité. Un ensemble systématique est une méthode épistémique c’est-à-dire que cette méthode permettra de combler nos lacunes dans un domaine, d’analyser des faits, d’étudier ou de raisonner sur un sujet particulier afin d’en acquérir une connaissance que nous ne possédions pas encore.
C’est ainsi qu’il faut voir par exemple la théorie narrative Dramatica qui se veut une aide non seulement théorique mais aussi pratique sur la composition de projets d’écriture.
Ce segment de réalité qui nous intéresse est un corpus de textes littéraires, de textes narratifs, c’est-à-dire de récits. Selon Gérard Genette, le récit est le signifiant, l’énoncé, le discours ou le texte narratif (l’histoire ou diégèse est le contenu du récit, le contenu narratif).
Précisons que Genette pensait que la fonction du récit, même fictif, est de rapporter le plus adéquatement possible des événements ou des faits qui lui préexistent. Certes, il y a le problème de considérer seulement le texte narratif alors qu’il existe tant de modes de représentation (tels les images, les spectacles, toutes sortes d’événements culturels qui racontent une histoire) et de langages autres que le langage écrit.
Et puis, il n’est pas toujours aisé de décider si un texte peut être ou non considéré comme narratif. Et il est d’autant malaisé qu’il existe des textes narratifs de toutes sortes, conçus dans des buts bien particuliers et pour des fonctions bien précises.
Les nécessaires caractéristiques des textes narratifs
Si ces caractéristiques peuvent être définies, elles peuvent alors servir comme point de départ pour décrire comment les textes narratifs sont construits. Comme Mieke Bal le précise dans Narratology : Introduction to the theory of Narrative en 1985, ces critères nous donnent une description d’un système narratif.
Si nous considérons ce système et parvenons à le concrétiser dans un texte narratif, nous pouvons alors apercevoir les variations qui existent entre les textes narratifs. Ce système narratif suppose aux dires mêmes de Bal qu’un nombre fini de concepts d’un système narratif peuvent s’appliquer à un nombre infini de textes narratifs. On peut vouloir qu’il en soit ainsi. Surtout, si l’on prend l’exemple de la théorie narrative Dramatica qui présente un tel système narratif, je ne saurais dire si elle s’applique à tous textes narratifs mais comme aide à l’écriture, elle est un indéniable atout.
Admettons alors qu’un système narratif est un instrument avec lequel nous pourrons décrire des textes narratifs (un instrument intellectuel s’entend). Ainsi, en étudiant des textes narratifs avec les outils que proposent un système narratif, nous affinons notre compréhension d’un quelconque texte narratif et devenons capable d’écrire notre propre texte (un scénario par exemple).
Lire un texte est tout aussi subjectif que d’en écrire un. Lorsqu’on soumet un scénario par exemple à quelques lecteurs pour avoir d’eux un avis sincère (il faut bien choisir ses lecteurs), si ces lecteurs connaissent par exemple la théorie narrative Dramatica avec laquelle vous avez composé votre projet, il sera alors plus facile de discuter du texte soumis puisque la compréhension du texte ou ce que les lecteurs pensent avoir compris du texte sera envisagée dans le cadre (bien que limité) de la théorie en question.
Des définitions
Concernant la théorie narrative Dramatica, si vous vous êtes intéressé à la lecture des articles, vous avez constaté que nous avons préféré conserver les termes définis par les auteurs eux-mêmes dans leur langue natale. Par contre, nous avons expliqué ce que signifie chacun de ces termes dans notre langue.
Il est préférable de comprendre les termes utilisés en se souvenant de leur définition plutôt que d’avoir tenté une traduction nécessairement approximative du mot. D’ailleurs, des discussions sur les définitions proposées peuvent permettre aussi de les faire évoluer vers une signification plus précise ou plus large.
Un texte narratif est le récit. C’est un récit dans lequel un agent (ce peut être un narrateur, un personnage ou même un objet, un lieu…) relate ou raconte une histoire. Gardons à l’esprit que le moyen d’expression utilisé peut être le langage écrit (un scénario par exemple), mais aussi des images, des sons, toutes sortes de structures (des églises, des institutions…).
Et bien sûr, ces moyens d’expression ou langages ne sont pas exclusifs et se combinent très facilement entre eux.
Le terme de fabula est parfois employé au lieu de récit. Fabula désigne une série d’événements qui sont logiquement et chronologiquement liés et qui sont causés ou vécus (expérimentés) par des personnages incarnés.
Lorsque fabula et récit se confondent, la distinction entre récit et histoire (signifiant et signifié, contenant et contenu narratif) ne se fait plus trop et fabula est l’histoire (ou diégèse).
L’histoire, le contenu narratif du récit, serait alors une fabula présentée d’une certaine manière. L’histoire est une représentation plus ou moins fidèle de la réalité (la réalité du monde fictif s’inspire plus ou moins fidèlement de notre réalité).
Un récit rapporte une succession d’événements et d’actes vécus par des êtres fictifs (à notre image ou anthropomorphiques comme les animaux des fables). La notion d’événements est délicate à saisir. Pour Mieke Bal, un événement est la transition d’un état en un autre état.
L’événement dans les textes narratifs
L’événement est donc un changement d’état. Une histoire narrée (puisque je m’inspire de Gérard Genette ainsi que de Paul Ricœur) serait le contenu figuratif (c’est une représentation, une illustration) d’un récit dans un acte qui est de raconter, de narrer cette histoire.
Le concept d’événements (c’est une notion plus facilement plurielle bien qu’un seul événement comme Je marche décrit un événement et en tant que tel (pour Genette) est aussi un récit, un texte narratif, le concept d’événements, donc, dans sa forme plurielle, est utilisé pour décrire la séquentialité dans une histoire narrée.
Cette mise en séquence implique des changements d’état dans le monde représenté (le contexte spatio-temporel du monde fictif) ce qui implique aussi une notion temporelle (c’est même une des conditions de l’exercice ou de l’existence d’une séquence), notion temporelle qui est un des aspects constitutifs des textes narratifs qui les distinguent d’autres formes de discours tels que la description ou l’argumentation.
Les événements constituent le récit.
- Le tueur vise sa victime
- Il tire
- La victime s’effondre touchée en pleine tête
- Elle meurt
Ceci est un exemple d’une micro séquence constituée de quatre événements. Le mouvement se crée non pas en considérant chaque événement comme autonome (bien que chaque événement puisse être encore développé, étendu) mais dans la transition, le passage d’un événement à l’autre.
Un récit n’est rien d’autre qu’une succession d’événements ou d’actions. Certes, les actions n’ont pas à être aussi tragiques que celles de mon exemple. Vous pourriez souhaitez mettre en scène des états psychologiques comme le comportement d’un individu agoraphobe ou même spirituels s’il vous prend l’envie de raconter l’histoire de Siddhartha Gautama devenu le Bouddha après son éveil (quoique ce sujet relève davantage de l’historiographie qui est aussi un texte narratif).
Les événements d’une histoire sont des informations que l’auteur transmet partiellement ou en totalité dans l’ordre qui convient le mieux à son histoire (il n’a pas à respecter un ordre chronologique). Le destinataire est un lecteur ou un spectateur ou un auditeur. L’ordonnancement des événements est le récit. Ainsi, la numérotation des événements de mon exemple assume la cohérence des informations distribuées.
Alfred Hitchcock pourrait avoir eu l’idée d’une scène d’un homme poursuivi par un Crop Duster puis une autre scène de quelqu’un grimpant sur les sculptures du Mont Rushmore, donc deux idées, deux événements et son génie lui permis de lier ces deux événements pour aboutir à La mort aux trousses.
Les personnages agissent
Ils ne sont pas les seuls à agir. Une chose, une institution, la nature, un lieu peuvent agir aussi. Agir se définit comme être la cause d’un événement ou bien vivre, faire l’expérience d’un événement.
Il est important d’accepter la distinction entre histoire (ou fabula) et récit. Cette distinction se fonde sur la différence qui existe entre la séquence des événements (fabula ou histoire) et la manière dont ces événements sont présentés (le récit pourrait avoir ordonnancer les événements dans un ordre qui ne serait pas chronologique par exemple ou créer un parallèle entre deux fabula comme une intrigue principale et une intrigue secondaire dans le même récit).
Et le récit ne concerne pas seulement les textes narratifs.
Considérons Tom Pouce. C’est un personnage quasi universel répertorié par Aarne et Thompson sous le conte-type 700, Tom Thumb. C’est vous dire la célébrité du personnage peut-être pas créé de la main de l’homme mais de sa plume elle-même animée par un imaginaire assez collectif.
Le Tom Pouce des frères Grimm des Contes de l’enfance et du foyer n’est évidemment pas le seul. En fait, chaque partie du monde a sa propre version de Tom Pouce et chacune de nos régions de France possède son Tom Pouce aux noms autant variés que fleuris (il faut faire attention cependant à ne pas le confondre avec Le Petit Poucet de Perrault mais Mieke Bal n’en tient manifestement pas compte).
Malgré la diversité des Tom Pouce, les lecteurs de ce texte sont habituellement d’accord sur les personnages qui doivent recevoir un courant de sympathie (ce n’est pas encore de l’empathie mais la sympathie est la condition a priori de l’empathie).
Ils applaudissent aux exploits du petit garçon et se réjouissent de la mauvaise fortune du géant ou de l’ogre (aussi immorale qu’elle puisse paraître).
Cette sympathie (que l’on peut questionner) fait que les lecteurs observent sans complexe Tom (ou Le Petit Poucet) échanger les couronnes d’or des filles de l’ogre contre les bonnets de ses frères. L’ogre dévora ses filles.
Et les lecteurs de tous pays et de toutes cultures ont dans leur ensemble appréciés le tour joué par Tom ou Petit Poucet à l’ogre.
Ce que Mieke Bal tente de nous faire comprendre, c’est que l’action de Tom qui mène à la dévoration des filles par leur père est présenté dans tous les textes narratifs où Tom est le héros de façon que le lecteur en vienne de lui-même à accepter le sacrifice d’un groupe d’enfants pour en sauver un autre.
Et si vous déplacez Tom ou Le Petit Poucet vers un autre medium, le film par exemple, le même processus se répétera car le spectateur doit être amené tout comme le lecteur du texte narratif à accepter cet holocauste.
Ainsi, il se produit un phénomène commun au sein de l’histoire, au sein de la fabula qui n’est pas exclusif au langage employé pour l’exprimer. Histoire (ou fabula, en fait, fabula est employé pour éviter la confusion avec les différents sens du mot histoire) et récit sont deux choses distinctes.
L’aspect pratique : les éléments
La fabula, si nous la comprenons comme du matériel narratif, un contenu narratif qui est travaillé dans cette fabula, est définie comme une série d’événements.
Cette série possède une logique. Les structuralistes considèrent que cette logique qui est présentée dans une histoire répond aux mêmes règles qui gouvernent le comportement humain.
C’est probablement pour cette raison que certains considèrent la théorie narrative Dramatica comme un peu trop structuraliste à leur goût parce que le concept de Story Mind qui est au cœur de Dramatica se fonde sur la résolution de problèmes (un comportement bien humain).
Il est vrai aussi que si nous voulons comprendre un texte narratif, il est juste de se référer à notre nature humaine et à ses caractéristiques.
Ainsi, les personnages incarnés ou non pourraient être décrits en relation aux événements. Par exemple, tel personnage est capable de faire une chose ou de prendre une certaine décision mais un autre personnage ne le peut pas.
Il faut aussi tenir compte du temps. Un événement, quelle que soit son importance dans l’histoire, prend un certain temps pour s’accomplir. Certes, les événements dans la fabula ne se produisent pas en temps réel (normalement).
Néanmoins, le temps est une notion importante de la continuité dans la fabula. Si le Petit Poucet n’avait pas eu les bottes de sept lieues pour échapper à l’emprise de l’ogre, il n’aurait jamais pu fuir à temps de l’étreinte mortelle. Pour nous faciliter les choses, on peut supposer la durée des événements et faire sentir cette durée au lecteur.
Les événements ne se produisent pas n’importe où. Des lieux spécifiques leur sont dédiés et parfois ces lieux sont nécessaires à l’événement. Ces lieux peuvent être réels comme le musée Guggenheim à Bilbao (Origine de Dan Brown). Ou totalement inventés comme Narnia de C. S. Lewis.
Donc, ce qui constituent le matériel de la fabula, ce sont non seulement les événements, mais aussi les personnages incarnés ou non (que la narratologie nomme acteurs, c’est-à-dire des instances (incarnation ou non) chargées d’assumer les actions qui font fonctionner le récit), le temps et le lieu (ou espace).
Mieke Bal nomment ces quatre composants comme éléments.
Ces éléments sont agencés d’une certaine façon dans l’histoire afin de produire un effet voulu par l’auteur aux moments qui l’intéressent. Cet effet peut être de chercher à nous convaincre (ils confirment les soupçons que l’on peut avoir vis-à-vis d’un personnage par exemple, en nous renforçant dans nos préjugés mais c’est pour mieux nous prendre à contre-pied).
Cet effet peut nous émouvoir ou nous écœurer. Il peut être aussi esthétique. On est toujours sensible au beau. Mieke Bal propose ainsi une lecture possible de cet ordonnancement qui a pour finalité un effet désiré (par l’auteur quelle que soit son intention par ailleurs).
A la recherche de l’effet
Voici les processus à l’œuvre dans le récit tels que les conçoit Mieke Bal :
1) Les événements sont arrangés en une séquence qui peut différer de la séquence chronologique. Annie Hall de Woody Allen démontre la fugacité de l’amour. Un moment, votre relation amoureuse vous rend parfaitement heureux et le moment d’après, vous ne vous souvenez plus si vous n’avez jamais été heureux dans cette relation.
Événements du passé, événements du présent, peut-être même événements du futur, la relation entre Annie et Alvy se présente en un ordre quasi chaotique.
Même d’avant leur rencontre, dans leur enfance et adolescence. Notons aussi que Woody Allen n’hésite pas à briser le quatrième mur, celui entre le lecteur/spectateur et le récit. Comme quoi les frontières peuvent être savamment poreuses (La rose pourpre du Caire par exemple)
2) Les informations qui sont distribuées tout au long de l’histoire et dans l’ordre qui sied bien à l’histoire ont une durée. Par exemple, si un voyage doit prendre plusieurs jours (et vous avez donné cette information au lecteur), pour être en accord avec cette information, il faudra prévoir des étapes qui montreront le temps de cette information.
Si vous n’envisagez pas d’étape parce qu’elles ne sont pas significatives, donnez plutôt l’information que la gare d’arrivée par exemple est à proximité.
3) Les personnages incarnés on non seront individualisés, possédant des traits qui leur donnent une identité. Sinon, il y a redondance, source de frustrations pour le lecteur.
4) Les lieux des événements seront eux aussi individualisés avec des caractéristiques qui les désignent sans ambiguïtés.
5) En plus des nécessaires relations entre les personnages, les événements, les lieux et le temps (ou les durées supposées des événements) qui sont des informations sensibles, qui se lisent ou se voient ou s’entendent immédiatement, que l’on perçoit avec nos sens en fait, il existe une seconde lecture, symbolique, allusive, avec des références à des textes traditionnels…).
Cette seconde lecture qui ne sollicite pas d’interprétation par le lecteur ou lecteur/spectateur crée elle aussi des relations qui pourront (ce n’est pas une obligation) exister entre les différents éléments de la fabula.
6) Un choix sera fait parmi les différents points de vue avec lesquels les éléments seront présentés. La théorie narrative Dramatica a simplifié (sans minorer) le point de vue à celui du personnage principal. C’est par le personnage principal que nous recevons l’histoire. En narratologie, ce point de vue est désigné sous le vocable de focalisation.
La focalisation est cette relation entre celui, celle ou ce qui perçoit (contrairement à Dramatica, la narratologie voit un choix à faire parmi un ensemble de points de vue) et celle, celui ou ce qui est perçu. Cela ajoute de la subjectivité et de l’intersubjectivité.
Pour Mieke Bal, c’est ainsi que l’on écrit une histoire spécifique et innovante.
Et le narrateur ?
Un auteur (romans, nouvelles, scénarios…) a besoin que soit dite son histoire. Si c’est un scénario, il est déjà au service du film et c’est le film qui servira de cadre dans lequel sera racontée l’histoire.
Néanmoins l’auteur ne peut s’identifier au narrateur de son histoire pas plus d’ailleurs que le cinéaste.
Le narrateur ne narre pas l’histoire continuellement. Dès qu’un discours direct se fait entendre dans le texte narratif (un dialogue par exemple), le narrateur transfère temporairement sa fonction à celui qui énonce ce discours (ce peut être un personnage par exemple).
Tout n’est évidemment pas événements ou faits. Il peut y avoir des choses qui concernent autre chose que les faits : la description d’un visage ou d’un endroit par exemple.
Ce qui est énoncé dans le récit peut être en effet narratif mais aussi descriptif ou bien polémique dans le sens d’un débat d’idées qui ne fait pas avancer l’histoire mais apporte heureusement des informations nécessaires pour que le lecteur décode les informations qui lui sont données tout au long de l’intrigue par exemple.
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