Héros, protagoniste ou personnage principal ? Est-ce que ces termes désignent vraiment un seul personnage ? Le héros s’est engagé volontairement dans un voyage épique pour se réaliser, pour rencontrer son être authentique.
Le protagoniste est l’initiateur de l’action. Il justifie en quelque sorte l’action humaine dans l’histoire. Il est motivé et arc-bouté sur ce qu’il ou elle cherche à obtenir.
Quant au personnage principal, on le désigne ainsi souvent en lieu et place du héros ou du protagoniste. Mais s’il est personnage principal, c’est parce qu’il est aussi le dépositaire de l’empathie du lecteur.
Quelles vérités utiles pouvons-nous tirer de ces assertions ? Il est important pour l’auteur de distinguer entre héros, protagoniste et personnage principal.
Apprécier leurs subtilités ouvrent de nouveaux horizons créatifs parce qu’au-delà de la fonction du héros, c’est un point de vue singulier dont se saisit l’auteur.
L’apprenant
Les auteurs contemporains ont tendance à différencier parmi leurs personnages centraux ceux qui enseignent de ceux qui apprennent. Ils conçoivent un héros qui est appelé à devenir autre ou bien un héros dont l’influence sur les autres sera d’en faire des êtres autres (souvent meilleurs).
Nous avons donc un héros qui apprend ou bien un héros qui enseigne. Ce postulat est certes intéressant mais d’un point de vue structurel, il devrait pouvoir s’appliquer à toutes les histoires quels que soient leur genre ou leur contexte.
Ce concept de héros apprenant ou enseignant s’intègre bien avec des personnages tels que William Wallace dans Braveheart ou bien Hogarth du Géant de fer mais se heurte à des personnages tels que celui de Clarice Starling du Silence des agneaux ou de Jake Gittes de Chinatown.
On constate que bien que ces quatre personnages ont le pouvoir de changer ceux qui les entoure, on ne peut pas vraiment dire que Clarice apprenne quoi que ce soit à Hannibal Lecter. Ce serait même celui-ci qui inciterait Clarice à découvrir des choses sur elle-même.
Quant à Jake Gittes, comment pourrait-il participer à l’éducation d’autrui alors qu’il n’a pas la moindre idée de ce qu’est éduquer autrui ?
La légitimité de l’histoire : résoudre un problème
Le développement d’un être de fiction ne passe pas par l’acquisition ou la transmission de connaissances. Mais parce qu’il est confronté à un problème et comme dans la vie réelle, il doit le résoudre.
Luke Skywalker a appris à se faire confiance et le Capitaine Kirk a appris à son entourage à défier l’autorité pour vaincre l’adversité. Y a t-il une finalité à ces actions humaines ?
Ne serait-il pas plus judicieux d’accepter que la connaissance est une conséquence des efforts consacrés à résoudre un problème ? Comme lorsqu’on apprend de ses erreurs.
Luke a un problème avec lui-même. Il se défie de lui-même et doit apprendre à faire confiance à ses instincts ou à son intuition. C’est ainsi qu’il pourra résoudre son problème.
Dans Star Trek, le contexte est différent. Kirk n’a pas de problème particulier avec l’autorité puisqu’il n’a pas hésité à tricher pour réussir un test. Pour Kirk, ceci est la normalité.
Par contre, Spock se crée des problèmes avec sa tendance à s’emporter lorsqu’il est confronté au double héritage culturel dont sa nature est faite.
L’attitude de Kirk qui consiste à s’opposer systématiquement envers tout ce qui peut être un frein envers sa volonté aide indirectement Spock à résoudre son problème en encourageant un Spock confus à lâcher du lest.
Il faut tenir compte de l’interprétation du lecteur/spectateur éminemment subjective jusqu’au point de dire qu’il pourrait y avoir autant d’interprétations que de lecteurs. Si l’on pense seulement son personnage principal en termes d’apprentissage ou d’enseignement, il est possible que le message de l’auteur soit dissous par la diversité des interprétations qu’une telle approche semble suggérer.
Le personnage principal est l’apprenant
Considérons Amélie du fabuleux destin d’Amélie Poulain. Dans sa volonté d’aider les autres, Amélie existe en tant que héroïne qui permet aux autres de se découvrir, de se révéler, de réévaluer leur situation et de trouver un relatif sens d’harmonie dans leur vie.
Mais Amélie est face à une vie solitaire renforcée par quelques tentatives désastreuses de relations sentimentales. Elle doit elle-même réapprendre une vie sociale. Elle sera aidée en cela par Raymond Dufayel, l’homme de verre.
Quel type d’héroïne est Amélie ?
Pour le comprendre, il faut accepter que Amélie est à la fois protagoniste, un personnage qui agit, dont la fonction dans cette histoire est de tenter de rendre autrui heureux mais aussi qu’elle est le personnage principal de cette histoire, ce qui fait d’elle un personnage subjectif, c’est-à-dire que c’est par ses yeux que nous recevons cette histoire et ce que nous percevons de Amélie en tant que personnage principal, c’est qu’elle doit apprendre, malgré son altruisme, à poursuivre son propre bonheur.
Penser son personnage central comme un héros est réducteur. Même s’il est à la fois protagoniste et personnage principal comme l’est Amélie, distinguer la fonction (le protagoniste) de l’aspect subjectif (le personnage principal) permet de donner à son personnage une profondeur bien plus fascinante autant à écrire qu’à lire.
Et cela vous permet aussi de construire deux personnages si les exigences de l’histoire réclament un protagoniste différent du personnage principal.
Le changement
Une histoire est donc la résolution d’un problème. Mais comment l’intrigue manifeste cet effort ? Elle propose deux approches. L’une sera celle du personnage principal et l’autre, celle d’un personnage qui entretient une relation sérieuse avec le personnage principal.
Ces deux approches s’opposeront acte après acte jusqu’au moment du climax, moment au cours duquel l’un des deux personnages change pour adopter le paradigme de l’autre.
Ce changement de point de vue sur le monde ou bien la modification d’un trait de la personnalité d’un personnage est appelé son arc dramatique qui concrétise en quelques étapes la progression du personnage d’un point A (le début de l’histoire) jusqu’à un point B, le dénouement.
Pourquoi un arc dramatique ? Parce que ce changement, ce développement particulier d’un personnage, est ce qui aidera l’auteur à communiquer son message. L’histoire ne cherche pas à faire la démonstration de personnages qui apprennent de leurs erreurs ou quoi que ce soit d’autre de la vie.
L’auteur ne fait pas de comparaison. Mais il a une position. Et ce qu’il essaie de faire, c’est de transmettre le plus adéquatement possible son approche personnelle qu’il juge la plus efficace pour traiter du problème (ou du sujet ou du thème) qu’il a lui-même proposé.
Si l’auteur connaît l’effet qu’il veut obtenir sur son lecteur avant de se lancer dans le processus d’écriture, ce n’en sera que mieux. Comment appréhender cet effet ? Si l’auteur considère son personnage principal, il peut alors décider que pour appuyer ce que l’auteur a à dire, son personnage principal changera et adoptera dorénavant une nouvelle manière de résoudre certains problèmes ou bien il peut décider que pour soutenir son discours, son personnage principal tient bon dans sa façon de voir le monde et renforce même ce point de vue.
Comme dans la vie réelle, l’intersubjectivité est essentielle. En fiction, le personnage principal entretient une relation unique avec l’un des autres personnages. Si le personnage principal accomplit une refonte même partielle de sa personnalité au dénouement, le personnage avec lequel il entretenait cette relation particulière ne changera pas.
A contrario, si le personnage principal doit rester sur ses positions (pour soutenir le message de l’auteur), c’est cet autre personnage qui connaîtra un changement.
Il est important que le lecteur soit conscient de ce qu’il se passe entre le personnage principal et ce second personnage pour que l’argument de l’auteur fasse sens. L’auteur devra donc prêter une attention toute particulière à décrire le mouvement de cette relation, les différentes étapes par lesquelles elle passe, afin que le lecteur puisse recevoir son message (qu’il interprétera comme bon lui semble ensuite mais la teneur du message sera exacte).
Dans Amadeus, Salieri est le personnage principal. Salieri ne change pas. Sa volonté de détruire Mozart se maintient jusqu’au dénouement. Par contre, c’est Mozart qui changera son approche, œuvrant lui-même à sa propre perte.
Pour ceux qui s’intéressent à la théorie narrative Dramatica, cette destinée du personnage principal (ou Main Character’s Resolve) correspond à un choix entre deux options pour son personnage principal : Changed Main Character (qui signifie que le personnage principal est appelé à changer entre le début et le dénouement de l’histoire) ou bien Steadfast Main Character qui indique que le personnage non seulement ne changera pas de point de vue mais renforcera davantage ses convictions et croyances entre le point de départ de l’histoire et sa fin.
Si nous reprenons les concepts d’apprenant et d’enseignement, nous observons que l’apprenant est toujours un Changed Main Character et que le personnage qui enseigne, qui donne de lui-même aux autres est toujours un Steadfast Main Character.