Posé simplement, les contradictions seraient quelque chose qui excite notre curiosité ou notre intérêt en quelqu’un (parfois en quelque chose) parce que ce qu’il se passe trahit ce que nous en attendions.
Nous savons des choses à propos de quelqu’un. Nous le voyons agir, nous l’observons. Et malgré cela, cette personne parvient encore à nous surprendre par ses contradictions.
Il faudrait un tel détachement de soi pour ne serait-ce que s’approcher de la réalité des choses, qu’il est plus facile pour un auteur de travailler sur les secrets et les contradictions de ses personnages que de passer du temps à tenter de lui construire une personnalité proche de la réalité avec tout ce qu’elle peut contenir (c’est un effort qui ne finirait jamais) ou de faire preuve d’une inventivité dont il faut avoir du génie pour éviter le ridicule (on peut être un excellent auteur sans avoir de génie).
Faire une chose et son contraire
C’est précisément un des atouts de la nature humaine. Le paradoxe est quelque chose de foncièrement vivant. Dualité, contradiction, conflit, voyez la trinité très utile aux auteurs.
La nature elle-même peut être contradictoire. Des aspects physiques peuvent être contradictoires comme cette voix aiguë de ce qui semble être un barbare.
Ce qu’un auteur se doit de saisir, c’est que ces apparentes et sans conséquences incongruités soulèvent une suspicion d’une complexité des personnages bien plus profonde et plus énigmatique qu’il ne le semble d’emblée.
Lorsque nous situons nos personnages dans des événements ou bien lorsque nous leur faisons vivre quelques comportements, on peut distinguer le contexte qui serait à l’origine de cet événement ou de ce comportement des personnages, on parle alors d’une situation.
Ou bien l’auteur croit que la personnalité de ses personnages est ce qui permet d’expliquer au mieux leurs comportements et on parle alors de disposition.
Quelques contradictions peuvent en effet être dispositionnelles. On peut être à la fois bavard et d’une grande timidité, extraverti et cependant faire preuve d’une certaine méfiance envers autrui…
L’effet d’une contradiction parce que l’auteur recherche l’effet est que nous ne savons jamais vraiment comment les personnages réagiront dans les situations où l’auteur les jette.
D’autres contradictions sont comportementales. Nous nous sentons souvent divisés. On peut être optimiste et pourtant méfiant. On peut sembler accepter les choses et pourtant rester prudemment sur nos gardes.
Nous adorons et haïssons tout à la fois. Nous nous soumettons et nous persécutons.
Pour essayer d’expliquer un peu les choses, on passe souvent par la réduction. Ainsi, pourrait-on dire que de telles contradictions relèvent d’une tension entre ceux en qui nous avons confiance et ceux dont nous nous méfions. Et tentez d’expliquer pourquoi.
Qu’elles soient raisonnables ou passionnelles, les explications sont de la bonne matière dramatique. Parce que, quelles que soient les causes, ce qu’on observe dans une situation donnée n’est jamais toute l’histoire.
A quoi servent les contradictions de nos personnages ?
Au-delà de la surprise qu’occasionne leurs comportements et leurs décisions, l’essentiel dramatique des contradictions chez les personnages est qu’elles sont une méthode d’écriture de la complexité et de la profondeur. Les contradictions expliquent le sous-texte (entre ce qui est exprimé et le non-dit, entre le visible et le secret).
Elles peuvent donner une certaine compréhension de ce qu’il se passe entre les individus. Ou bien apporter une certaine lumière sur l’apparente lutte entre des comportements conscients et inconscients. Et puis aussi, les contradictions ajoutent au suspense. On se demande ce qu’elles peuvent signifier ou cacher. On veut savoir. Et un lecteur qui s’interroge, c’est un lecteur qui tourne les pages.
Par contre, comme tout autre chose dans la vie, en fiction, il existe aussi des limites. Certaines contradictions ne peuvent correspondre à ce que nous savons déjà du personnage. Si l’auteur va trop loin dans ses contradictions, le personnage perdra en crédibilité et gagnera dans le registre comique. Si c’est voulu, ce n’est pas un défaut de conception.
Si les contradictions que vous envisagez vous rapprochent de vos personnages, si elles ne créent pas une distance émotionnelle, les contradictions ne seront alors pas seulement une idée mais surtout une véritable caractéristique constitutive de la personnalité de vos personnages.
En justifiant les contradictions, en plongeant leurs racines dans le passé ou en créant des scènes inédites (donc qui vous seraient peut-être très personnelles) qui révéleraient comment ces inclinations apparemment contradictoires se sont développées, vos personnages deviendront moins conceptuels, plus intuitifs, plus organiques (c’est-à-dire humains).
Rejeter un oxymore parce que vous craignez qu’il ne stupéfie un peu trop vos lecteurs peut être une bonne décision. Gardons néanmoins à l’esprit qu’une rectitude trop rigide muselle la créativité. Dans l’écriture, rien ne doit être posé là sans envisager un effet recherché.
Des contradictions comme celle de Shae et Tyrion Lannister sont essentiellement fondées sur le physique. Elles peuvent aussi cacher des vérités bien plus dramatiques comme celle d’une magnifique jeune femme affublée d’une perruque pour cacher les ravages de sa chimiothérapie.