Lorsque commence un récit, on sait que l’on découvrira un lieu, que dans ce lieu, des événements se produiront et probablement à un individu.
Un lieu, une succession d’événements, un individu et vous avez déjà de quoi faire une histoire.
Le fonctionnement d’un récit est sensiblement le même d’une histoire à l’autre. On nous présente un personnage qui sera central à l’histoire et on nous invite à nous identifier à ce personnage.
Cette identification fait qu’effectivement, nous acceptons ce personnage comme un avatar jeté dans une situation dramatique.
Le lecteur est censé éprouvé par personnage interposé des choses qu’il ne connaît pas dans la vie réelle mais qu’il croit néanmoins reconnaître parce que ce lecteur a au moins une petite idée de ce qu’éprouve le personnage.
Lorsque celui-ci est en danger, ce danger est perçu presque dans sa chair par le lecteur alors qu’il est bien à l’abri de la menace. Et comme tout dans la vie possède un avers et un revers, la joie ressentie par un personnage sera tout autant communicative.
C’est presque un processus extraordinaire mais l’auteur peut toujours compter sur une mise en place de la sympathie envers un personnage, ce qui créera un canal, une ouverture vers ce personnage par lequel et pour lequel sera versée de l’empathie.
Ce lien empathique noue le lecteur aux tribulations (la plupart du temps) du personnage principal qui devient ainsi le temps d’un récit un homologue fictif.
La compassion
La genèse d’une histoire, c’est un personnage que l’on qualifie de principal (parce que l’auteur demandera à son lecteur d’apprécier ce personnage même s’il commet des actes transgressifs car tant qu’il est principal, il lui faut rencontrer la compassion du lecteur).
Il arrive quelque chose à ce personnage. Habituellement, c’est un problème. Enfin, ce terme de problème n’explique pas grand chose. En fait, la plupart du temps, il s’agit d’une véritable opportunité pour le personnage principal.
Sauf que cette opportunité qu’il va lui falloir saisir met sens dessus dessous son monde ordinaire. Si Alice n’était pas tombée dans ce terrier de lapin, jamais nous n’aurions connu ce magnifique récit.
Quoi qu’il en soit, votre personnage principal a un problème et il devra le résoudre. Tout se fonde sur ce constat. Le lecteur est averti d’un problème pour un personnage sur lequel on lui demande de se concentrer et pendant toute la durée de l’histoire, le lecteur participera aux efforts de ce personnage pour sortir de cette situation désastreuse, trouver une solution à cette situation qui crée un déséquilibre dans sa vie.
Pour Alice, par exemple, son problème est qu’elle doit retrouver son chemin vers le monde réel. Si votre personnage est le patron d’une unité antiterroriste, son problème sera de trouver la bombe avant qu’elle n’explose.
Le problème est ainsi souvent confondu avec l’objectif. Là encore, c’est un peu trop facile comme définition. Le récit est d’abord celui d’un parcours.
Pour régler son problème, le personnage principal doit passer par certaines étapes. Il en réussira certaines, il en échouera d’autres car ce n’est pas le résultat qui compte.
La chose qui compte est qu’il doit apprendre de ses expériences. Il doit découvrir des choses sur lui-même. Il doit se détacher de l’être qu’il était pour devenir autre.
Pour cela, il affrontera une série d’obstacles. La tradition veut qu’il doit les surmonter afin que le récit puisse continuer. Et s’il ne les surmonte pas, que cet échec soit pourtant suffisamment significatif pour faire avancer l’intrigue.
La structure
Même si l’on s’en défend, on est toujours rattrapé par une structure. Il existe une étape structurelle dans la vie de tout héros : c’est le moment où il est persuadé que tout est fini pour lui. Pourtant, bien que plongé dans les ténèbres de son âme et apparemment désespéré, une lueur d’espoir grandissante sera une véritable résurrection pour le héros.
Il n’est pas encore cet être auquel il aspire. Il reprend espoir seulement. Pourtant, cela lui donne la force de confronter son ultime ennemi lors d’un moment que l’on nomme climax. Ce sera l’ultime confrontation entre le protagoniste et son antagoniste.
Le message de l’auteur se situe dans le résultat de cette lutte dramatique. Souvent, la victoire est arrachée des mâchoires d’une défaite annoncée. L’auteur peut donner la forme qu’il veut à ce résultat. S’il décide de faire mourir son personnage principal pour asseoir son message, ce peut être aussi une forme de victoire.
Une structure a besoin de briques. Le protagoniste est l’une d »entre elles.
Le protagoniste est le personnage qui servira de pivot à un récit. Souvent, protagoniste et personnage principal sont les mêmes et nous avons un héros. Parfois, le protagoniste (celui par qui le scandale arrive) et le personnage principal (censé recevoir la compassion du lecteur) sont différents parce que le récit l’exige. Je vous renvoie à la théorie narrative Dramatica pour plus d’explications.
Le lecteur doit s’identifier au personnage principal. Cela ne signifie pas qu’il doit l’apprécier ou être d’accord avec tout ce que ce personnage fait. N’allez pas mutiler votre héros parce que vous craignez qu’il déplaira au lecteur.
Le héros doit faire ce qu’il a à faire. L’empathie du lecteur envers lui sera posée autrement qu’en jugeant ses actes.
Dans Le paradis perdu de Milton, nous sommes fascinés par Satan parce qu’il est l’incarnation parfaite du mal. S’il n’y a rien qui cloche chez un personnage, rien qui nous offense, alors il n’y a rien qui attirera notre attention.
Une visite aux Enfers
On a certes du mal à l’admettre, mais on est foncièrement attiré par l’obscurité. Le mal touche quelque chose de profond en nous.
Pour John Yorke, la clef du lien empathique n’est pas d’observer un comportement du personnage (même s’il est très charmant). Ce n’est pas non plus dans la compréhension de ses motivations. Si l’on comprend pourquoi un personnage agit comme il le fait, ce sera utile autant à l’auteur qu’au lecteur mais, là aussi, ce n’est pas suffisant pour créer de l’empathie.
Pour John Yorke, la capacité d’un personnage à nous atteindre et à se mêler à notre inconscient individuel ou collectif est le moyen le plus efficace pour mettre en place un lien empathique entre un lecteur/spectateur et un personnage.
Cela amène les auteurs à créer des personnages qui se ressemblent. Ce ne sont pas des stéréotypes mais on retrouve ces personnages de récit en récit.
Ce peut être un enquêteur, un personnage qui est souvent un peu franc-tireur, qui a du mal à accepter les règles. Ce n’est par paresse que l’on emprunte des traits de caractère ou des personnages complets à des êtres historiques ou de fiction.
Car au fond de nous, ces personnages excitent quelque chose. Et c’est difficile à dire en mots.
Alors lorsqu’on voit un être fictif dire et faire des choses que l’on ne peut pas dire ou faire, dire une vérité que l’on ne peut pas prononcer, il se crée entre ce personnage et nous une amitié.
L’empathie, c’est de partager ce qu’il se passe dans la tête de quelqu’un. Par exemple, se sentir maladroit en société, est un sentiment que l’on peut deviner à une attitude. Si le personnage principal exhibe une telle posture, alors ce malaise sera communiqué au lecteur même si ce lecteur est quelqu’un d’extraverti. Car l’auteur peut forcer son lecteur à se connecter à quiconque.
L’auteur prend le temps d’installer son personnage principal dans l’esprit de son lecteur. Car une fois dans cet esprit, l’imaginaire du lecteur prend le relais. C’est comme si le personnage principal creusait dans l’esprit du lecteur jusqu’à le submerger.
Et c’est nous qui nous retrouvons à sauver le monde.
Le but n’est pas un accomplissement
Il est vrai qu’il existe un principe essentiel à l’œuvre dans tout récit : le héros a un but. Il est arc-bouté sur cette mission. Il désire quelque chose. Cela ne signifie pas qu’il en a besoin. Le protagoniste a identifié son désir. Par contre, il pourrait être un peu plus ignorant de son véritable besoin (par exemple quelqu’un qui cherche ses clefs sans les trouver se met dans une rage folle. Son désir, son objectif, est de trouver les clefs parce qu’il a un rendez-vous important qu’il ne peut pas remettre mais son véritable besoin, ce qui doit changer dans sa personnalité, c’est qu’il lui faut apprendre la patience. Et les tribulations au cours de l’intrigue lui apprendront cette patience).
En permettant à son lecteur d’identifier clairement ce désir, l’auteur prépare son personnage à recevoir l’empathie du lecteur. Celui-ci doit pénétrer l’histoire pour qu’il la reçoive comme il le faut. Il n’y a pas tellement de moyens sauf de créer une empathie envers le personnage principal.
Cela va plus loin que de répondre à la question dramatique de savoir si le personnage réussira ou non son objectif. Ce qui importe, ce n’est pas que le héros gagne ou trouve la rédemption ou qu’il soit puni pour ses actes.
Ce qui compte, c’est que le lecteur, probablement inconsciemment, se sente intimement concerné par ce qu’il arrive au héros. Faites la même chose dans la vie réelle avec vos rencontres.
Donc, nous avons un personnage qui a un désir. Cet objectif est perturbateur. Car pour l’atteindre, il faut que le personnage sorte de son quotidien, sorte des senties battus et pénètre un monde nouveau dont il ne connaît absolument pas les règles.
Le récit met en place un événement déclencheur. Pourquoi est-il déclencheur ? Parce qu’il aura des conséquences. Un meurtre est commis. L’objectif de l’enquêteur est de trouver le meurtrier. Sa mission est fixée. Seulement, il serait trop facile qu’il mette la main aussitôt sur le meurtrier. Il faut des obstacles. Il faut créer du conflit.
Et une situation conflictuelle (si vous manquez de situations conflictuelles, je vous conseille la méthode Plotto) est mise en place parce qu’il y a des forces antagonistes.
Par exemple, l’enquêteur devra faire face à un univers mondain alors que son terrain de chasse était jusqu’à présent les quartiers populaires.
Pour résoudre son problème, il doit franchir un seuil et derrière cette frontière, un monde totalement nouveau s’ouvre à lui.
Une accumulation d’obstacles
L’obstacle est conçu pour entraver la mission du héros. Mais un seul ne suffit pas. D’autant plus qu’au début du second acte, ces obstacles seront probablement facilement contournés ou surmontés ce qui placera le héros dans un illusoire état d’esprit triomphant.
La succession des obstacles usera la confiance du personnage principal. Il doutera de plus en plus. Il connaîtra une crise. Et nous parviendrons au moment du climax, ultime confrontation en laquelle l’auteur peut coucher son message.
La tradition veut que l’antagoniste qui semble connaître si bien le protagoniste doit être vaincu par le protagoniste si celui-ci veut réussir au dénouement. La réussite n’est jamais programmée. Ce serait frustrer le lecteur que de répondre exactement aux expectations qu’il nourrit depuis le début du récit.
En effet, le lecteur ne doit cesser de se poser la question dramatique jusqu’au moment où l’auteur lui donnera sa propre réponse (et qui n’est pas forcément de voir le triomphe du bien sur le mal).
Il sera bien plus fascinant pour le lecteur si l’antagoniste n’est qu’une apparence, une forme donnée en pâture au lecteur. Et que le véritable ennemi du héros soit lui-même.
Lâcheté, addiction, manque d’estime de soi… Parmi les vices, le choix semble infini. Il ne faut pas être effrayé par le vice. A contrario, il renvoie une image très esthétique dans le cadre dramatique d’un récit.
Et c’est pour cela que la seule obtention de l’objectif ne peut être un aboutissement pour le personnage principal. Même s’il réalise son désir, s’il n’a pas résolu tous les obstacles internes qui l’empêchent d’avancer dans sa vie, le personnage principal sera encore au point de départ.
Admettons que la vie soit un cycle. Qu’elle soit comme l’Ouroboros, ce serpent ou ce dragon qui se mord la queue. Qu’elle soit comme le retour des saisons ou comme la succession du jour et de la nuit.
Le retour de cette silhouette qui se découpe sur l’horizon semble bien être la même qui est partie depuis longtemps. Quelque chose d’indéfinissable se fait malgré tout sentir. Il y a définitivement quelque chose de changée dans cette silhouette.
Intérieurement, elle n’est pas la même. Le retour implique un changement.
La transformation du héros
C’est étrange mais cette transformation que l’on espère chez le personnage principal est ce qui le rend plus humain. Mais pour qu’elle soit effective, il faut une force conséquente. Et cette énergie, cette puissance capable de prendre un être et tel l’argile le modeler en un être meilleur, c’est le méchant de l’histoire.
Comme le soulignait Hitchcock, la qualité d’une histoire dépend essentiellement de celle de son méchant. Plus les méchants feront de l’ombre à James et plus Bond sera excellent.
Il est souvent donné à l’antagoniste des traits singuliers qui le distingue parmi les personnages. Parce qu’il est facile de ne pas lui faire suivre les codes moraux de la communauté, de lui donner le désir de contrôler et de dominer la vie d’autrui. Il est aussi assez souvent affublé d’une tare physique ou mentale.
Une telle description ne rend pas hommage aux meilleurs des antagonistes tels que ceux que Alfred Hitchcock admirait. Et puis, il est plutôt sympathique que nous soyons notre propre ennemi. C’est un atout de la fiction sur la réalité.
Néanmoins nous pourrons dire avec quelques certitudes que l’antagoniste possède une sorte de sixième sens pour découvrir et exploiter la faille dans la personnalité du héros.
C’est très proche aussi de ce qu’il se passe dans la vie réelle. Nous consacrons beaucoup d’efforts à rechercher les faiblesses dans les systèmes des autres. C’est ce que font les faibles pour se donner un sens à une existence tronquée, insatisfaite.
Il ne s’agit pas de violences physiques. L’antagoniste n’est pas véritablement non plus un ennemi. Il est un opposé. Et avec cet opposé, nous établissons une sorte de dialogue dialectique, c’est-à-dire que de la confrontation de ces deux opposés que sont le protagoniste et son antagoniste, il ressortira quelque chose d’autre qui les dépassera tous deux.
Souvent, l’antagoniste est l’incarnation des choses qui manquent chez le héros. Ce qui fait dire au Joker s’adressant à Batman qu’il complète celui-ci.
Le désir
Un personnage veut quelque chose. S’il ne veut rien, il est passif. Et s’il est passif, il est mort. Il faut au moins que le protagoniste désire quelque chose rien que pour faire avancer l’histoire. Ce désir qui l’anime est ce qui le rend vivant. Et c’est ce qui permet aussi de raconter une histoire.
Comme le dit Aaron Sorkin, quelqu’un veut quelque chose et quelque chose se met en travers de ce désir. Et vous avez une scène.
L’idéal serait que tout un chacun dans le récit soit motivé par un désir, une volonté non pas tant d’obtenir quelque chose mais davantage d’accomplir quelque chose.
La fiction est une copie de la réalité. Nous voulons tous quelque chose. Quelque chose de grand, de petit, quelque chose d’inconséquent mais quelque chose. Retrouver Nemo par exemple ou bien nos Chevaliers de la Table Ronde qui n’ont trouvé un but que dans le Graal.
Un but doit être conféré aux personnages quelles que soient leurs fonctions dans le récit. Ce but est la quête, la puissance, la force, l’énergie qui leur donnent vie. Il leur donne une raison de se battre. Anton Chekhov disait : Dites-moi ce que vous voulez et je vous dirais quel genre d’homme vous êtes.
On pourrait presque dire que le désir est d’une importance secondaire dans un récit. Contrairement au besoin, intime, il est préférable d’avoir un objet du désir. C’est une sorte de trophée, quelque chose que l’on peut posséder. Même si cet objet du désir est abstrait.
Retrouver l’Arche de l’Alliance, trouver l’amour de Anna dans Notting Hill, comprendre ce que signifie Rosebud, le désir du Capitaine Willard de tuer le Colonel Kurtz dans Apocalypse Now.
Dans les séries, le but change d’épisodes en épisodes mais il est encore cet objet du désir comme incarnation de la mission du héros de sauver, de préserver ou d’améliorer son monde.
Selon John Yorke, cette quête du héros est structurel. Dans un thriller, l’objet est le coupable.
Et le docteur veut sauver son patient. Quant aux Chevaliers de la Table ronde, le Graal en lui-même n’est pas un objet. Il est bien trop chargé sémantiquement pour cela.
L’objet du désir est la quête elle-même. C’est ainsi que Alfred Hitchcock a découvert le McGuffin. C’est un artifice dramatique destiné à mettre en place un quelconque objet qui n’a véritablement aucune importance dans l’intrigue. Sa raison d’être est juste d’établir une quête.
Un désir immatériel plus fort
Le succès, la vengeance, l’amour, la survie, protéger sa famille ou son foyer et d’autres choses encore de cet acabit… Pour quelle autre raison sommes-nous autant fascinés par les histoires que nous lisons ?
L’amour, le foyer, l’appartenance, l’amitié, la survie, l’estime de soi sont des thèmes récurrents dans une multitude d’histoires. Car ce sont des sujets qui nous parlent, qui nous importent. Dans The Walking Dead, tous ces éléments dramatiques sont clairement incarnés (parce qu’il faut donner un corps à une idée pour tenter de la communiquer plus facilement).
En somme, quelque chose se produit dans la vie du héros au début du récit. Cela crée un déséquilibre qui menace le sentiment de sécurité, cette zone de confort, qu’il s’est patiemment construit pour en faire son quotidien.
A partir de ce moment-là, le héros cherche à sortir de cette situation qui le met mal à l’aise. Sa vie est peut-être mise sens dessus dessous mais surtout quelque chose est sur le point de germer. Cela signifie que le devenir du héros de fiction est déjà inscrit dans ses gênes. C’est pour cela que nous pouvons tous être des héros. Nous en avons la capacité mais nous l’avons refrénée. Le héros d’une fiction a la chance que son auteur lui permette d’éprouver cette faculté. Et partant de se réaliser dans l’acte héroïque.
Le héros peut néanmoins confondre désir et besoin. Cela crée un conflit. Et le conflit est un principe primordial de la fiction. Il donne une présence à la lutte entre un désir externe, au vu et su de tous les personnages et du lecteur, et un besoin interne, beaucoup plus subtil à montrer.
Tout est une question d’expériences. Quoiqu’il arrive dans la poursuite de l’objet du désir, cette quête n’apprend rien au personnage principal.
Au dénouement, on nous montre qu’il a obtenu ce qu’il voulait. Foncièrement, il est le même que lorsque nous avons fait sa connaissance au début du récit. Il n’y a que de l’action dans une telle histoire.
Si je le pose autrement, un personnage qui n’évolue pas intérieurement parce que l’intrigue l’a profondément changé, ne participera jamais d’une bonne histoire.
Le public peut néanmoins l’apprécier. N’empêche que ce récit sera médiocre s’il n’est fait que d’action.
Le besoin est ce qui importe
Le besoin n’est pas le désir. Même dans le cas du Graal. C’est à la fois l’objet de la quête mais c’est aussi une quête bien plus personnelle. C’est à la fois le désir et le besoin mais ces deux concepts sont étrangers l’un à l’autre.
Qu’est-ce qu’un besoin ? C’est un manque à combler. Pour qu’il y ait une faille dans la personnalité d’un personnage, il faut lui inventer un besoin. Définissez ce besoin et vous aurez un personnage en trois dimensions.
Considérons un instant les concepts philosophiques de substance et d’accident. La substance est une propriété qui définit ce qu’est une chose. Sans aller trop loin, on peut la confondre avec l’essence. C’est un principe qui persiste et qui fait que le chose est cet en soi qui la caractérise indépendamment par exemple du regard que nous posons sur elle.
Et puis il y a l’accident. C’est une propriété qui appartient à la chose. Cependant, a contrario de la substance, cette propriété est changeante.
Descartes l’a démontré avec la cire d’une bougie. Cette cire connaît au moins deux états : un état solide et un état liquide. Cet état de la cire à un moment donné est considéré comme un accident. Par contre la substance est inchangée puisque quel que soit l’état dans lequel elle se présente, liquide ou solide, la cire est encore de la cire.
Nous avons donc un personnage qui possède une substance, disons qu’il s’agit de sa nature humaine fictive mais néanmoins humaine. Il possède aussi un autre attribut. Lorsqu’il est introduit dans l’histoire, il se présente à nous selon une certaine manière d’être.
Or cette manière d’être au début du récit est incomplète. Car nous n’en connaissons que le revers ou l’avers. Même s’il n’en a pas vraiment conscience, endormi dans de fausses certitudes, le personnage souffre néanmoins parce qu’il y a un caractère d’inachevé, d’insuffisant en son être.
C’est alors qu’il prendra le chemin de son aventure (pour répondre à un désir parfois fallacieux) mais surtout pour aller à la rencontre de son besoin.
C’est-à-dire cet être en soi qu’il aspire à être et qui lui fait défaut parce que non encore accompli. Cette lacune dans sa personnalité, sa faille, est alors pointée par le regard de l’antagoniste.
Ce sera souvent par l’antagoniste que sera révélée la plus grande faiblesse, la plus grande peur, la plus grande angoisse du personnage principal.
A la conquête de soi
Considérons un instant la progression du personnage de Thelma. Elle se présente à nous comme une femme au foyer soumise, dépendante, bien que le contrôle que son mari exerce sur elle l’irrite quelque peu.
Thelma aspire à quelque chose d’autre dans sa vie.
Au climax, Thelma est devenue une femme autonome qui n’est plus disposée à l’infantilisation. Ainsi, les caractéristiques internes de Thelma telles qu’elles nous sont présentées au début du récit exigent qu’elles soient conquises par le personnage.
Afin de se réaliser pleinement, Thelma doit entreprendre ce road-movie, sorte de parcours initiatique au terme duquel elle aura surmonté ses faiblesses, ses failles.
Il existe donc une différence entre ce que veulent les personnages et ce dont ils ont véritablement besoin. Il s’avérera que le désir s’oppose au besoin. En fait, la poursuite du désir permet à un personnage de comprendre ce qu’il lui manque.
Certaines histoires permettent au personnage principal d’obtenir son objectif tout en s’accomplissant intérieurement. Cela peut fonctionner comme dans Aliens ou Star Wars.
Plus intéressant est lorsque l’objectif, le désir du personnage principal est abandonné pour quelque chose de plus important, de plus riche, de plus essentiel.
Rocky, Il faut sauver le soldat Ryan, Little Miss Sunshine, Tootsie sont de celles-là. Cela complexifie l’histoire. Il faut alors savoir la maîtriser. Le risque est grand de perdre le lecteur en cours de route si son identification avec le personnage principal est malaisée.
Comme le lecteur s’identifie au personnage principal (puisqu’il est censé partager ce que ressent le héros par empathie, par reconnaissance des difficultés de la situation du héros), il est plus populaire de s’entendre dire par procuration (donc à l’abri des dangers et autres menaces que contient le récit) que nous avons raison et que les autres ont tort.
C’est pourquoi si le protagoniste ne parvient pas à obtenir ce qu’il veut dans une histoire mais s’il s’accomplit malgré tout, cela est bien plus enrichissant pour nous qu’un Independence Day par exemple.
S’il le mérite, le personnage principal comblera son besoin même s’il échoue totalement par ailleurs. Notons que la faille du personnage principal est déjà présente lorsque débute le récit.
Quant à l’objectif du héros, il faut attendre l’incident déclencheur pour qu’il devienne clair et distinct.
L’incident déclencheur
Cet événement est l’élément perturbateur du quotidien du héros. Par exemple, si votre personnage principal doit se venger de quelque chose ou de quelqu’un, cette vengeance sera initiée par l’incident déclencheur. Cet événement singulier met en branle le désir.
Quelque chose se produit qui lance une histoire. C’est le début du voyage.
Le changement du personnage principal (qu’il ait une autre personnalité au dénouement ou bien que soient renforcées des convictions quelque peu chancelantes au début du récit) est la finalité du voyage.
Cette possibilité à devenir autre rend le personnage principal bien plus profond et lui confère un charisme qui résonne fortement.
Dans un tel récit, il importe peu que le désir superficiel soit rempli. La chose qui compte est que la véritable quête du héros, celle pour laquelle se justifie toute son existence, est une recherche de soi intime, une autre vision du monde, des préjugés sur ce même monde mis à bas.
Par son accomplissement personnel, le héros nous permet de nous réaligner sinon avec le monde du moins avec nous-mêmes.
Le comportement de Ripley avec Newt par exemple nous prouve que le manque chez Ripley est de se prouver à elle-même qu’elle peut encore être une mère puisque, si nous faisons l’effort de mémoire du premier opus de la franchise, nous savons que Ripley n’a pas tenu la promesse qu’elle a faite à sa véritable fille restée sur terre.
Et cette idée est renforcée par l’antagoniste, la reine Alien elle-même, dont un des traits est de protéger ses œufs.
Le choix mène à la crise
Le héros connaîtra un dilemme. Il devra prendre une décision quelles que soient par ailleurs ses croyances. C’est ainsi que cela se passe en fiction. La décision est précédée d’un grave moment de crise personnelle. Tout semble perdu. C’est la mort de l’espoir. Apparemment, la situation est sans issue.
Pour les séries, cela donne l’occasion de créer un cliffhanger, un moment où le lecteur/spectateur est comme suspendu dans le vide jusqu’au prochain épisode. Ce qui lui donne une raison suffisante pour continuer à voir la série.
Le moment de crise, c’est le personnage dans toute sa vérité. Après la mort de Kenobi, Luke doit choisir entre faire confiance à la technologie pour mener à bien son ultime mission, soit s’abandonner à la Force, c’est-à-dire se faire confiance (puisque c’est cela qui doit changer chez lui).
Rick de Casablanca doit laisser partir Ilsa. Parce que depuis sa séparation brutale d’avec Ilsa, Rick est mal. En acceptant de la laisser s’en aller, Rick est guéri.
Le personnage principal ne peut échapper au dilemme. Il doit confronter son besoin. En somme, beaucoup d’histoire sont le récit d’un cheminement personnel emprunt de spiritualité, de moralité, de psychologie.
Ripley par exemple choisit qu’elle doit sauver Newt. Son geste n’est pas instinctif. Parce qu’elle doit se prouver à elle-même qu’elle peut encore être une mère, Ripley doit faire le choix de sauver l’enfant.
La crise, c’est de confronter l’image que nous renvoie notre regard.
En cette crise repose toute l’intelligence de la structure narrative. L’antagonisme (le monde extérieur) incarne les peurs du héros. Pour vaincre son ennemi extérieur (la menace ou l’angoisse ou encore le malaise ressenti face au monde), le personnage principal doit d’abord vaincre ce qui le mine de l’intérieur.
Et qui n’a aucun lien de causalité avec le monde extérieur. C’est une mort symbolique. Chaque crise nouvelle est l’opportunité de laisser choir un soi qui ne convient plus à la situation actuelle et qui la gangrène pour oser vivre une nouvelle vie. On retrouve déjà ce motif dans les mythes.
Le schéma est simple : soit le héros refuse le changement et continue de se plaindre que les autres ont changé sans que lui-même ni les autres ne comprennent que le déni est l’expression d’un malaise.
Soit le héros prend le risque d’affronter ses peurs les plus intimes (et les autres peuvent alors le soutenir dans cette quête personnelle de reprise de son être qui est soit à la dérive, soit empli des mensonges inculqués) et d’en être récompensé s’il parvient à les surmonter.
Cette étape structurelle se retrouve dans de nombreuses histoires qui vont du mythe à la comédie romantique. La mort permet de naître à nouveau. Ce n’est pas une renaissance. Ce n’est pas une résurrection. C’est un être nouveau qui apparaît parce qu’on a eu le courage de dire non.
La climax
Autant la crise est la prise de conscience que les choses doivent changer pour le héros, autant le moment du climax est la réalisation de ce changement. L’idée devient un fait.
Or ce fait est difficile à atteindre. Certes, la chute dans des abysses apparemment insondables ont permis au héros de comprendre ce qu’il devait faire et donc de trouver des ressources nouvelles en lui. Ces ressources, il ne les soupçonnait pas. Elles existaient déjà mais cachées par les mensonges de toute une vie.
Lorsqu’il décide de se relever et de faire face, le personnage principal ressent un véritable soulagement. Il se dit qu’il va certainement mourir (et cela arrive assez souvent littéralement) mais il ressent une telle impression de liberté, un tel sentiment de plénitude spirituelle, qu’il se dit que décidément, que de se saisir à pleines mains de son besoin, que de s’engager dans une lutte à mort avec soi-même (incarné par la force antagoniste) est la réponse qui justifie enfin toute son existence.
Et il prend le risque. Ce sera donc une scène ou bien une séquence entière ou bien la conclusion d’un événement qui a été distribué tout au long du récit ou ce peut être encore la conclusion de tout un acte. Le personnage principal doit faire face au méchant dont il se cachait depuis le début de l’histoire.
Puisque toutes ses tribulations lui ont permis de développer certaines facultés (il a appris quelque chose de toutes ses épreuves même les plus mineures qu’il a facilement contournées) qui lui permettront d’avoir quelques raisons de confronter avec quelques chances de succès ses démons intérieurs.