Le désir est sans conteste partie prenante de la condition humaine. Il est donc une vérité fondamentale de la constitution d’un personnage dans sa volonté à vouloir quelque chose.
Et plus ce personnage veut cette chose (une volition qui s’exprime dans un désir) et plus l’aspect dramatique de la fiction qui met en scène ce personnage sera fascinant pour le lecteur.
Le désir comme conflit
Dans une fiction, le véritable moteur dramatique est le conflit. Le désir crée du conflit (ou du moins des situations conflictuelles). C’est un désir qui guidera la main de l’auteur lors de la création de son personnage. Comme dans la vie réelle, si un personnage ne désire rien, il n’y aura pas grand-chose à moudre pour écrire une fiction (et même un documentaire lorsque le désir d’un être est cause d’une situation à l’origine du sujet du documentaire, entre autres).
Lorsqu’un personnage possède un vrai désir et qu’il s’arc-boute sur ce désir, il s’oppose nécessairement au monde. On peut admettre que lorsqu’un désir s’immisce en notre âme, il peut devenir comme une obsession et nous forcer à faire des choses que nous ne ferions pas habituellement (et même des choses contraires à notre nature).
Et ce désir que nous tenons absolument à satisfaire viendra heurter d’autres sensibilités parce que cette liberté que nous voulons pour nous soulèvera des obstacles nouveaux que nous n’avons encore jamais rencontrés (ou peut-être seulement contournés) parce que nous sommes maintenant à la poursuite de quelque chose qui est devenu vital (ou du moins le croyons-nous).
La satisfaction de ce désir (qui éteindra le désir) demande une force et nous allons devoir chercher en nous ce pouvoir auquel nous ne sommes pas accoutumés. Il nous faudra changer, nous adapter, aller encore plus profondément en nous.
En l’absence d’un désir, une histoire ne possède pas d’allant car c’est le désir qui anime un personnage. Dans chaque scène, l’auteur doit pouvoir se demander ce que désire au moins l’un de ses personnages.
Le désir est l’objectif du héros, ce qu’il veut dans cette histoire et ce qu’il veut dans une scène particulière sera probablement différent de l’objectif qu’il s’est fixé dans l’histoire mais ce sera aussi un désir.
Nous désirons souvent ce que nous ne pouvons posséder et on s’en porterait peut-être mieux si on ne le possédait pas mais lorsque le désir s’installe, on a franchi un seuil. Et lorsque le seuil est franchi, nous avons atteint un point de non-retour.
Souvent, nous ignorons que nous désirons quelque chose tant que quelqu’un ou quelque chose ne surgisse devant nous et nous le présente comme une évidence. Ce n’est pas tant une ignorance, d’ailleurs. Plutôt un refoulement ou bien d’une manière ou d’une autre, nous nous cachions ce désir (ou peut-être même nous cachions-nous de ce désir).
Peut-être avons-nous comblé un désir plus véritable en se contentant de succédanés.
Un désir complexe
On a souvent du mal à mettre en mots le désir. Quoi qu’il en soit, toutes ces situations où le désir naît sont dramatiquement intéressantes mais difficiles à écrire. Une des préoccupations majeures de l’auteur sera de clarifier ce désir chez son personnage. Si le lecteur ne perçoit pas clairement ce qui anime un personnage, il se désintéressera de celui-ci parce qu’il ne pourra s’identifier ou reconnaître un désir qu’il a peut-être partagé ou seulement rêvé.
Le désir est un moyen de créer de la sympathie et la sympathie est un canal de communication entre un personnage et un lecteur. Ensuite, le lecteur peut vivre par personnage interposé les difficultés et les sensations à satisfaire ce désir.
Le désir se manifeste dans un objectif extérieur. C’est un but, une mission, une obsession… quoi que ce soit qui donne au personnage quelque chose de concret pour lequel il va se battre.
Un personnage pourrait très bien ne pas pouvoir nommer ce qu’il veut. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il veut quelque chose d’autre. Une jeune fille pauvre pourrait vouloir un mari riche. L’histoire décrirait alors ses pérégrinations à trouver ce riche amant qui la sortirait de sa misère.
Mais le désir ici se confond avec le besoin. Ce que cette jeune fille veut vraiment, c’est de s’échapper de sa condition sociale. Si la nature lui a conféré un corps magnifique, détourner ainsi le désir vers des solutions faciles peut mener l’héroïne de Charybde en Scylla.
La chose qui compte cependant pour l’auteur, c’est de faire comprendre rapidement à son lecteur que son héroïne se trompe dans sa volonté.
Elle confond la volonté avec un libre-arbitre qui s’avérera une erreur et que son besoin véritable d’échapper au mépris de sa condition est un désir qu’elle partage avec d’autres qui sont dans la même situation de pauvreté qu’elle.
L’auteur doit clarifier le désir de son personnage afin que le lecteur puisse le comprendre malgré toute la complexité avec laquelle ce désir se manifeste. Ce chemin tortueux emprunté pour réaliser le désir n’est en fait qu’un prétexte pour décrire ce qui compte vraiment, c’est-à-dire ce qu’il y a de profondément inscrit dans la nature d’un personnage.
Le désir, du moins sa satisfaction, ne sert qu’à soulager superficiellement un problème apparent. Mais le véritable souci est bien plus inaccessible. Les tribulations vers l’obtention de ce désir ne sont que des illustrations pour révéler comme autant de métaphores ou de paraboles le véritable message de l’auteur qui réside dans les profondeurs de ses personnages.
S’afficher ouvertement
Il ne faut pas craindre de manquer de subtilités en insistant sur le désir. Si le lecteur ne parvient pas à se saisir de ce à quoi aspire le personnage, cela ne peut que générer de la confusion. Il est bien plus efficace que le lecteur découvre de lui-même le besoin véritable du personnage caché précisément par la démonstration évidente de la tentative de réaliser un désir.
Parfois, l’objet du désir peut signifier autre chose comme symbolique par exemple. Dans Gatsby Le Magnifique, lorsque nous rencontrons Gatsby, il est bras tendu vers cette lumière verte que Fitzgerald décrit comme sans substance. Fitzgerald nous suggère que la quête de Gatsby ne peut être que fugace, insaisissable.
Lorsque Nick observait l’étrange rituel de Gatsby avec cette lumière verte et lorsqu’il reposa ensuite les yeux sur Gatsby, celui-ci avait disparu dans ces troubles ténèbres ce qui préfigurait dès le début la disparition de Gatsby dans la mort au dénouement de l’histoire.
Que signifie l’inaccessibilité de la lumière verte ? Que l’objet du désir ne sera pas réalisé. Le héros ne réussit pas à atteindre son objectif. Daisy incarne cet objet du désir et malgré que Gatsby et Daisy soit effectivement réunis, nous savons déjà que Gatsby ne sera jamais capable d’atteindre pleinement Daisy tout comme ses doigts ne pouvaient atteindre la lumière verte.
La situation conflictuelle
Comme notre série d’articles sur la méthode Plotto nous en a fait la preuve, les complications, la richesse et la texture d’un récit se constituent des conflits rencontrés dans la tentative d’accomplissement d’un désir.
Que signifie ces conflits ? Pourquoi sont-ils nécessaires ? Parce qu’ils reflètent un problème profondément humain. Non seulement nous n’obtenons pas de la vie facilement ce que nous en attendons mais surtout, le conflit désigne l’ampleur de notre erreur en jugeant ce que nous croyons être bon pour nous et que nous formons en un désir.
La complexité dramatique d’une fiction ou d’un documentaire est créée en faisant en sorte qu’un personnage prenne position dans un contexte, en s’y situant et en en formulant un désir qui devient un objectif identifiable (visible à la fois par le lecteur et les autres personnages) même si ce désir singulier est superficiel ou ne représente que partiellement ce que le personnage recherche vraiment.
Sans cet engagement du personnage qui est aussi celui de l’auteur, les scènes n’ont plus de sens et la dramaturgie s’effondre.
Et comment peut alors se manifester le désir et tout ce qu’il peut y avoir de souterrain dans la psyché qui l’accompagne ? Dans les habituelles (pour l’auteur) relations entre les personnages.