Un personnage doit vouloir quelque chose, ne serait-ce qu’un verre d’eau. Du moins, le désir est ce que le personnage pense qu’il veut. Le désir répond à un manque. Ce peut être en effet quelque chose d’aussi banal qu’un verre d’eau.
Lorsqu’on invente un personnage dont le désir est un simple verre d’eau, ce n’est évidemment pas pour étancher la soif du personnage que, généralement, ce désir sera implanté en lui.
Par exemple, le désir devient un prétexte à une interaction sociale. Et comme les relations à l’autre sont fondamentales dans la constitution d’une histoire, le désir en devient partie prenante.
Le désir est soutenu d’un enjeu
Chaque personnage veut quelque chose. La moindre scène met en avant des personnages qui cherchent soit à obtenir quelque chose de l’autre, soit des circonstances ou de la situation. Comme les désirs s’opposent, cela nourrit la scène. Le lecteur raffole des situations conflictuelles.
Donc, lorsque débute l’histoire et qu’un personnage y est introduit, il est bien de se demander ce que veut précisément ce personnage et pourquoi le veut-il ? On en vient alors à se demander ce qu’il a à perdre ou à gagner s’il n’obtient pas ce qu’il veut. On fixe ainsi des enjeux ce qui justifie l’existence même de ce personnage.
Il doit vraiment y avoir quelque chose de majeur, de crucial pour le personnage. S’il a seulement besoin d’un verre d’eau pour étancher sa soif, ce n’est décidément pas intéressant. Si ce verre d’eau doit aider un être cher à prendre le médicament qui lui sauvera la vie, on comprend soudain l’importance d’un point d’eau à proximité.
Et cette immédiateté de la solution ne sera évidemment pas possible.
Un objectif
Le personnage principal d’une histoire doit avoir un objectif, c’est-à-dire une mission qu’il s’est fixé lui-même ou qu’on lui a imposé. On peut être contre cette finalité du personnage principal. Quoi qu’il en soit, lorsque le lecteur comprend la cause (pourquoi un personnage agit, qu’est-ce qui le motive) et la finalité (qu’obtiendra t-il ? Que veut-il ? Qu’est-ce que cela lui apportera?) de ses actions, il peut le comprendre et ressentir ce désir jusque dans son âme et son cœur.
C’est de l’empathie. On dit que le lecteur s’identifie au personnage parce qu’il reconnaît en lui des sentiments, des passions, des troubles que lui-même aurait pu éprouver ou du moins, il participe indirectement aux tribulations du héros (ou de n’importe quel autre personnage, d’ailleurs).
Le lecteur se préoccupe de ce qu’il arrive au personnage. C’est quand même dingue d’éprouver une telle compassion pour un être de fiction alors que l’on est capable d’une telle indifférence dans la vie réelle.
C’est peut-être précisément parce qu’un personnage est un être d’abord compassionnel qu’il nous fascine. Il s’engage pour nous et prend des risques pour nous. Nous voulons qu’il gagne, ou qu’il soit puni pour avoir transgressé ou bien encore qu’il trouve le salut.
Ce que nous voyons en lui, ce sont nos propres désirs qui s’accomplissent dans la paix de notre corps et de notre âme.
Et pour qu’il soit nous, il faut que les personnages veulent quelque chose. Sinon, ils sont passifs et perdent soudain de leur intérêt. Le désir est ce qui anime un personnage, ce qui l’amène à la vie.
Les complications à obtenir ce qu’il veut est la matière à façonner de l’histoire. Votre message peut être à cent lieues de ce désir, n’empêche que ce désir précisément est un des moteurs de l’histoire.
On peut vouloir distinguer entre désir et besoin. Cela en vaut définitivement la peine et nous ouvre de nouveaux horizons de réflexion. On n’en a jamais fini avec la connaissance. Pour faire simple, le désir peut être aussi compris comme une motivation, un but.
Le genre et le désir
Chaque genre met en œuvre des désirs qui lui sont particuliers. Par exemple, dans les comédies romantiques, on cherche l’amour. Dans un thriller, si le personnage principal est en charge de l’enquête, son désir sera de trouver le coupable.
La quête cependant est un choix privilégié à la fois par les auteurs mais aussi plébiscité par les lecteurs.
Pour John Truby, sauver le monde est en tête des quêtes. Les mythes depuis la nuit des temps ont des héros qui sauvent systématiquement le monde (du moins leur monde). Et chacun à leur manière. Le super-héros répond à un désir du lecteur plus ou moins fort selon les époques.
D’autres valeurs telles que la justice et la liberté entrent aussi en jeu. Rappelons-nous les paroles de Benjamin Franklin : un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux. Cela est la réalité. Le héros de fiction nous permet de nous en tirer moralement.
[Attention : j’interprète les paroles de Franklin hors de leur contexte originaire pour les adapter à mon propos. En fait, cette citation ne reflète pas une réalité historique]
Ensuite, l’amour, la vérité qu’elle soit dans la révélation de transgressions (actes criminels d’un individu ou d’une communauté) ou plus spirituelle, réaliser quelque chose est aussi parmi les objectifs traditionnels comme emporter la bataille ou bien assouvir sa vengeance.
Et puis tout en bas de la liste de John Truby, on trouve l’opprimé qui ne veut que survivre ou s’échapper. La chose qui compte en fait est que votre personnage principal n’a pas à sauver le monde pour que vous ayez quelque chose d’intéressant à raconter.
Quête et arc dramatique
Une quête ne peut être sans conséquence. Nous le savons intuitivement. Un personnage possède un désir puissant sur lequel il s’arc-boutera pour le réaliser. Et dans la foulée, il deviendra quelqu’un d’autre. Il éprouvera un changement assez radical dans sa personnalité. Il n’a pas être un être totalement différent, transfiguré. Ce peut être aussi que, hésitant qu’il était au début de l’histoire, ses aventures au cours de celle-ci l’ont renforcé dans des attitudes, des postures qui étaient encore instables.
Bien sûr, atteindre un but ne doit pas être facile. La fiction est faite aussi de ressemblances et de concordances avec la vraie vie. Pour qu’il y ait une histoire, il faut des complications.
Maintenant, devant la page blanche, on peut s’apercevoir que le personnage qu’on est en train d’inventer ne veut rien de particulièrement d’intéressant pour un lecteur. Ou bien, il voulait quelque chose et il l’a obtenu bien trop rapidement et on a le sentiment qu’il manque quelque chose à notre histoire (la théorie narrative Dramatica est toute fondée sur ce manque qui peut advenir aux histoires).
Le désir est d’abord un manque
Comme une défaillance de notre conscience de soi. Il s’agit donc d’une faiblesse, d’une faille dans notre personnalité, d’une vulnérabilité qui nous expose au monde, qui nous fait prendre conscience de notre fragilité en tant qu’être humain et de ce sentiment parfois si angoissant de notre existence (du moins pour les plus humbles d’entre nous).
John Truby, entre autres, a quelques idées assez arrêtées sur ce sujet. Pour Truby, l’histoire devient intéressante lorsque le lecteur a clairement saisi le désir du personnage principal. Tant que cette volition n’est pas clairement établie, le lecteur ne s’accrochera pas au personnage car il ne le comprendra pas.
Le personnage lui-même peut hésiter sur ce qu’il doit faire dans cette histoire. Une question de prudence, probablement, quoi qu’il en soit, il est systématique que le personnage principal commence par refuser la mission qu’on lui propose.
Pour Joseph Campbell, c’est la fonction du héraut (le héraut est un archétype et l’archétype est d’abord une fonction de l’histoire, ce’ n’est pas un personnage tant qu’il n’a pas été travaillé en profondeur), c’est la fonction du héraut, donc, d’amener au personnage principal (le héros, donc) sa raison d’être, c’est-à-dire ce désir dont il doit non seulement prendre conscience mais aussi assumer.
Le désir est en puissance. Toute l’intrigue portera sur la réalisation de ce désir. Il est le moteur de l’intrigue à un point tel que Alfred Hitchcock a inventé le McGuffin, c’est-à-dire un prétexte à créer une intrigue. Ce McGuffin est une chose derrière laquelle tout le monde courre mais qui n’a véritablement aucune importance dans l’histoire.
Nous pouvons faire maintenant la distinction entre le désir et le besoin. Le désir est un objectif extérieur. Le besoin est une nécessité intérieure qui n’est pas satisfaite. En accomplissant son désir, le personnage peut combler ce manque intime. En échouant, il peut aussi devenir meilleur intérieurement. Parfois la rédemption passe par la mort (symbolique ou non).
Ce qui est fascinant chez un personnage, ce n’est pas tant de le voir suer sang et eau pour obtenir quelque chose. Ce qui nous attire chez lui et que l’on compare avec notre propre expérience, c’est de voir comment il évoluera au cours de l’histoire. Et puisqu’on s’identifie à ce changement, on peut en tirer quelques conclusions morales pour nous-mêmes.
Le besoin est la faiblesse
C’est donc à l’intérieur du personnage que le véritable intérêt de l’histoire se cristallise. Un personnage vaniteux, par exemple, deviendra humble à la suite de ses tribulations. C’est cette humilité nouvelle qui nous bouleverse. Qu’il ait sauvé le monde importe peu en fin de compte. Le personnage principal doit vaincre sa faiblesse ou mourir (il peut d’ailleurs mourir en sauvant s’il y gagne la rédemption).
Désir et besoin ont donc des fonctions différentes dans l’histoire. Alors que le désir doit être connu dès l’acte Un, le besoin est plus obscur. L’auteur peut prendre le temps qu’il faut pour décrire ce dont a vraiment besoin son héros pour devenir en quelque sorte meilleur.
C’est très proche de notre réalité. Et alors que, dans la vraie vie, nous pourrions ne jamais découvrir ce qu’il nous manque vraiment (parce que la vie est ainsi faite), un être de fiction a cette possibilité de reconnaître son besoin comme une sorte de révélation qu’il se fait à lui-même, comme s’il prenait conscience que toute sa vie n’était qu’un mensonge.
Ce que propose l’auteur à son lecteur, c’est un accomplissement de soi. Voyez ce qu’il faut faire pour changer. Mais il ne le dit pas ouvertement. C’est à travers l’action, donc le désir, que le message a une chance d’être communiqué. Maintenant que le lecteur le reçoive ou pas, c’est un autre débat.
L’utilité de l’incident déclencheur
L’incident déclencheur est habituellement reconnu comme l’événement qui bouleverse le quotidien du héros. Celui-ci est en effet dans son monde ordinaire et imparfait. Il en a probablement conscience mais il lui manque une incitation à réagir, à sortir de cette routine qu’est sa vie et qui le met tant mal à l’aise.
Après l’événement déclencheur, au cours de l’acte Un, comme l’arrivée du hibou dans Harry Potter qui lui annonce sa convocation à Poudlard ou bien la nouvelle de sa grossesse pour Juno qui lui a été annoncée avant le début de l’histoire, le personnage principal et le lecteur ont une idée assez claire du désir qui s’emparera du personnage principal.
De plus, cet événement unique dans toute l’histoire et qui lui donne un élan, créera dans l’esprit du lecteur quelques expectations. Par exemple, une rencontre entre deux inconnus… et l’on se forme aussitôt le désir que ces deux-là se connaissent un peu mieux.
L’auteur ne satisfera pas cette demande car son incident déclencheur devrait dans le meilleur des cas, aller contre les attentes du lecteur.
Avec l’incident déclencheur, le protagoniste est averti qu’il existe un monde en-dehors de sa propre vision des choses. Engoncé dans ses certitudes et des valeurs morales qu’on lui a imposé plus qu’il ne les a choisi, le héros apprend que d’autres certitudes et d’autres valeurs existent ailleurs.
C’est à la fois angoissant et attirant.On a envie d’y goûter mais on culpabilise aussi de quitter une zone de confort ou de blesser ceux qu’on aime ou estime. Le personnage principal doit prendre une décision. Comment doit-il réagir à cette nouvelle donne qu’on lui propose ?
C’est cette hésitation à basculer d’un monde connu dans un monde dont le héros ne connaît absolument pas les règles que structurellement, le personnage principal refuse de participer à l’aventure qu’on lui propose.
Il finira par l’accepter en prenant à bras le corps son problème et cela précipitera une crise majeure.
La fin de l’histoire
La réalisation du désir donc l’extinction de ce après quoi court le héros signifie la fin de l’histoire. Néanmoins, il faut penser aussi le désir au niveau de la scène. Dans une scène, les personnages ont des objectifs. C’est à cela que l’on doit leur présence ici et maintenant. Un personnage cherche à obtenir quelque chose soit de quelqu’un d’autre, soit de la situation décrite dans la scène.
Deux options : soit il atteint son objectif (dans cette scène particulière), soit il échoue. La dynamique entre des scènes où un personnage obtient ce qu’il veut et celles dans lesquelles il est débouté de sa demande équilibre l’intrigue.
Pratiquement, tôt dans l’histoire, le lecteur s’est posé une question dramatique. Est-ce que le héros réussira ou non ? Tout au long de l’intrigue, le lecteur assistera à des scènes dans lesquelles le héros vivra une petite victoire ce qui réconforte le lecteur dans sa croyance que le but sera atteint finalement.
Et d’autres scènes qui seront autant de défaites et qui convaincront le lecteur, qu’en fin de compte, le personnage principal pourrait très humainement échouer.
Cette façon de faire permet de convoquer chez le lecteur de puissantes émotions viscérales (on les ressent dans le cœur et dans le corps) en alternant des moments d’espoir et des épisodes douloureux de forte inquiétude.
Si les exigences de votre histoire font qu’au point médian de celle-ci, le désir du héros soit satisfait, on peut dire que l’histoire est fini. George Bernard Shaw disait que l’une des tragédies de la vie était de perdre ce qui nous tenait tant à cœur. Quand on ne désire plus, sommes-nous encore vivants ?
Dans une fiction, cela n’arrive pas vraiment sinon l’histoire est finie. Alors, le désir devient un peu plus précis, un peu plus profond. Il se renforce. Une structure classique est d’observer un protagoniste qui ne manque peut-être pas d’initiative personnelle mais qui se retient, qui laisse davantage faire les autres un peu comme s’il fuyait ses responsabilités.
Et puis le moment de crise arrive. Le héros n’y échappe pas. On le croit au fond de l’abîme. Puis, miraculeusement, il puise en lui des ressources insoupçonnées. Comme s’il faisait un quitte ou double. Maintenant, il veut vraiment ce qu’il croyait vouloir au début de l’histoire. Maintenant, ce désir est devenu un impératif.
Un désir ne change pas au cours de l’histoire. Une fois établi dès l’acte Un, il subit quelques changements. Il s’adapte aux circonstances mais ne change pas radicalement. Le personnage principal a un but et un seul dans cette histoire et il fera tout pour l’atteindre.
La stratégie qu’il met en place pour réaliser son objectif ne cesse d’évoluer surtout si les plans initiaux s’avèrent infructueux. On cherche alors d’autres stratégies ou bien on adapte celle qui est en cours à la nouvelle donne. Car les personnages sans cesse cherchent à inventer de nouvelles et ingénieuses manières de vaincre leurs opposants.
Le désir, quant à lui, possède une ligne dramatique. Même s’il n’est qu’un prétexte pour communiquer un message, cette ligne dramatique influera sur le monde de l’histoire. Cette ligne décrit l’objectif et ce qu’il s’est passé pour le réaliser. Le désir sera un point d’arrivée et ce point d’arrivée, on n’en changera pas en cours de route.
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