Admettons que nos perceptions sans vouloir nous tromper ne nous rendent pas néanmoins la vérité des faits.
L’image (ou du moins lorsque les mots du scénario sont devenus des images) participe à l’illusion. L’histoire contée règle la perception que le lecteur doit avoir d’elle. C’est ainsi qu’elle parsème tout au long de son déroulement des fausses pistes, des diversions, des leurres afin de biaiser à son bénéfice le lecteur.
Les choses ne sont pas ce qu’elles sont
Pour créer du suspense, l’auteur met en place des informations comme autant d’indices trompeurs. Car il faut amener le lecteur à croire à une certaine situation. C’est une astuce narrative qui n’est pas significative du message que tente de communiquer le lecteur. Sa finalité est de maintenir l’attention du lecteur en posant encore une question dramatique.
Les choses sont-elles vraiment comme cela, se demande le lecteur qui est alors curieux de vérifier par lui-même ce qu’il se cache sous le jeu des apparences.
Et la question restera irrésolue tant qu’elle servira les exigences de l’histoire. Et cette question peut porter sur n’importe quelle information quel que soit le genre de votre histoire.
Dans une comédie, on peut vouloir amener le lecteur à croire que ce garçon est attiré par l’héroïne pour détourner son attention du véritable amoureux dont ni l’héroïne, ni le lecteur ne connaît l’identité de celui (ou peut-être de celle) qui lui envoie des messages si enflammés.
Dans un thriller, le motif serait le même sauf que cette fois les indices désigneraient un coupable qui ne prouvera son innocence qu’au moment le plus opportun de l’intrigue.
Ces indices trompeurs aident à prolonger le mystère et le suspense qui sont nécessairement au cœur de toute histoire.
Il n’est cependant pas évident de placer des informations sans que le lecteur ne se doute qu’on cherche à le tromper. Et l’inverse est aussi vrai. L’auteur doit pouvoir s’assurer que l’information qu’il donne est perçue comme il l’entend par son lecteur.
La fausse piste est donc un excellent moyen d’ajouter de la complexité non seulement à l’intrigue mais aussi à la caractérisation de ses personnages. Dans les thrillers qui fonctionnent essentiellement sur le suspense, l’auteur possède un véritable pouvoir sur son lecteur. Par le choix de ses mots, l’auteur peint l’innocent avec les couleurs de la culpabilité. Il convainc son lecteur de la culpabilité d’un innocent et autorise le véritable coupable à jouir d’une liberté imméritée. Cela fait réfléchir sur la moralité mise en jeu à travers les personnages.
La trahison
Il y a beaucoup à dire sur la nature humaine et c’est vraiment passionnant. On peut affirmer sans trop d’objections que l’histoire de l’humanité nous révèle que la trahison, la perfidie, la déloyauté sont parmi les offenses les plus habituelles du genre humain.
Cet article pourrait vous en dire un peu plus sur la trahison :
MOTIF D’INTRIGUE : LA TRAHISON
C’est ce qui a motivé Dante, par exemple, a relégué les traîtres dans les régions les plus profondes et les plus froides de son Enfer comme rétribution pour leurs actes de trahison au temps de leur présence sur la terre.
Pour donner une définition, nous pourrions dire que trahir consiste essentiellement à agir au sein d’une relation de façon à favoriser ses propres intérêts aux dépens des intérêts de l’autre. Parfois, nous considérons nos propres besoins comme plus importants que ceux d’un autre ou encore d’une communauté.
La trahison donne un tour diabolique à une histoire. Et concrètement, on utilise des fausses informations pour créer des fausses pistes. C’est un élément narratif qui sert à détourner le lecteur (pour un moment du moins) de la vérité fondamentale, de la cause sous-jacente qui ordonne ce qu’il se passe actuellement.
Et cela dans l’intention d’ajouter du suspense, du complot, de la cabale à l’histoire.
La nature humaine : clef du suspense
Reconnaissons-le : il n’y a rien de plus étrange que la nature humaine. Chacun d’entre nous est différent et ce n’est pas parce que nous sommes de la même espèce que nous sommes pour autant semblables. Nous tentons de nous réunir au sein de communautés aussi diverses que variées parce que nous sommes ainsi faits que notre nature grégaire nous pousse à nous rassembler pour avoir moins peur (le groupe est en effet rassurant).
Et nous sommes aussi des êtres prévisibles. Un auteur qui a quelque peu développé son acuité (autrement dit qui aurait posé son regard sur le monde et s’en serait étonné) peut jouer de ce caractère prévisible de la nature humaine pour désarçonner et dérouter son lecteur. Il est fortement intéressant de prendre à contre-pied un lecteur sur ses expectations.
Parfois, la simple idée que les apparences peuvent être trompeuses suffit à créer un leurre, une fausse piste tout à fait crédibles, c’est-à-dire que le lecteur ne soupçonnera pas ou ne verra pas venir que l’auteur l’emmène vers de fausses croyances.
Par exemple, on sait que cette maison que les occupants viennent de louer pour passer le weekend à la montagne recèle un terrible secret : un serial killer y a trouvé refuge.
Soudain, alors qu’un orage illumine et frappe le ciel en pleine nuit, l’électricité déclare forfait et un homme détrempé fait irruption dans la maison tenant quelque chose dans les mains. Sa silhouette qui se découpe dans la nuit dans un contre-jour par l’effet stroboscopique des éclairs semble vraiment menaçante.
Serait-il le serial killer qui, dérangé dans son hibernation, vient assouvir son instinct de tueur ? Que nenni ! C’est en fait le propriétaire de la maison qui est venu apporter quelque chose pour ajouter au confort de ses locataires.
Mais la situation, l’apparence et le comportement de ce personnage sont prévus pour que le lecteur raisonne faussement parce qu’en se fiant à ses sens et aux souvenirs que ceux-ci agitent dans son esprit, le lecteur est facilement manipulable.
Argumentum Ad Hominem
Parmi les stratagèmes pour dérouter le lecteur sur les véritables intentions de la scène qu’il est en train d’observer, argumentum ad hominem consiste à confondre un adversaire en lui opposant ses propres actes ou paroles.
Schopenhauer donne cet exemple lorsqu’un adversaire fait une affirmation (c’est le propre de l’affirmation de posséder sa propre contradiction) qui prouverait, ne serait-ce qu’en apparence, que ce qui est dit ou fait maintenant est l’inverse de ce qui a été dit ou fait auparavant.
Par exemple, si quelqu’un dit qu’il n’aime pas la ville dans laquelle il vit, on peut lui demander alors pourquoi il y reste. Un tel stratagème narratif ajoute non seulement de la tension dramatique à la scène mais permet aussi de cacher les véritables intentions du personnage qui fait l’affirmation.
En effet, celle-ci est utilisée pour masquer une vérité sur ce personnage que l’auteur ne souhaite pas encore dévoilée.
Argumentum ad hominem ne se fonde pas sur des faits pour déstabiliser l’interlocuteur. Il le force à reconsidérer sa position, l’incitant ainsi non à se révéler parce que ce serait éventé tout ce qu’il reste à venir mais pour mettre en avant une idée du personnage qui s’avérera fausse en fin de compte mais nécessaire néanmoins à ce moment de l’histoire.
On ne doute pas de ce que l’on ignore (argumentum ad ignorantiam)
Si l’on ne possède pas la preuve qu’une chose existe ou n’existe pas, il est très simple de la repousser d’un revers de la main. Tout ce qui n’a pas d’action sur le réel ne peut être vrai. Sommairement, c’est la définition du pragmatisme.
Et réciproquement, ce n’est pas parce que l’on ignore si une chose existe ou n’existe pas que l’on doit conclure immédiatement à sa non existence. Au contraire, l’ignorance dans laquelle nous nous trouvons face à cette chose est la preuve même qu’il est possible qu’elle existe.
Cette technique pour emmener le lecteur vers des hypothèses qui servent les intentions de l’auteur à tel ou tel moment de son histoire consiste à dire qu’une affirmation doit être vraie s’il est impossible de prouver qu’elle est fausse. Ou bien que cette affirmation ne peut être que fausse puisqu’on ne peut prouver qu’elle est vraie.
L’un des aspects le plus intéressant de argumentum ad ignorantiam est que l’absence de preuve peut être utilisée pour supporter deux conclusions diamétralement opposées. C’est un indice révélateur que le raisonnement auquel nous prétendons tous est loin d’être infaillible.
Lorsqu’un même sujet est présenté avec deux prédicats contraires comme d’une part l’affirmation que les fantômes existent et d’autre part l’affirmation que les fantômes n’existent pas et que ces deux affirmations sont énoncées simultanément, l’absence de preuve peut servir à manipuler les esprits.
En effet, argumentum ad ignorantiam est souvent utilisé pour mettre en branle les émotions de son interlocuteur à travers les idées proposées.
Non sequitur
Autre astuce narrative pour détourner l’attention du lecteur, le non sequitur montre que des faits qui n’ont apparemment aucun lien pourraient néanmoins s’expliquer par une relation de cause à effet.
Et en vérité, il n’existe aucune relation causale entre les deux faits faussement impliqués dans la conclusion que l’on donne au lecteur. On est prêt à tout pour faire croire aux lanternes vésicales.
Le documentaire et la fiction ont de très nombreux points en commun.
LES PRÉJUGÉS ET LE DOCUMENTAIRE
Depuis 2014, nous essayons de vous être utiles dans tous vos projets d’écriture. Et vous nous dîtes que nous vous sommes utiles. Merci pour cela.
Si nous existons, c’est grâce à vos dons. Pensez de temps en temps à faire un don pour nous soutenir et nous encourager. Merci