Le mot documentaire a semble t-il été inventé par John Grierson (1898-1972) en 1926. L’un des principes majeurs que Grierson détermina est que le potentiel qu’a le cinéma comme observateur de la vie pouvait être raconté sous une toute nouvelle perspective en considérant que les personnes et les événements réels (tels du moins que l’œil du réalisateur les perçoit) sont de bien meilleurs guides que leurs homologues fictionnels quand il s’agit de donner du sens au monde (ou à la vie).
Ainsi le matériel prélevé sur le vif (comme autant de matière brute) serait bien plus réel que le matériel reconstitué. Pour John Grierson, un documentaire est un traitement créatif de la réalité. Ce qui le différenciait d’autres approches telles celles de Dziga Vertov (1896-1954) qui promouvait la vie telle qu’elle est, la vie prise au dépourvu.
Écrire un projet créatif de documentaire est un processus complexe qui convoque à la fois des considérations matérielles (médias et stratégies de production) et des interrogations sur le contenu et la forme afin d’apporter des réponses à des problèmes et à des choix inhérents à ce projet.
La forme par exemple peut prendre une approche journalistique ou bien celle d’un plaidoyer ou encore être une forme d’expression personnelle.
Comme de nombreuses histoires de fiction, le documentaire bien que non fictionnel a la même intention d’enregistrer certains aspects de la réalité principalement pour les retranscrire dans un but didactique, d’éducation ou de souci historique. Le documentaire a donc un but et en cela, il est singulièrement créatif.
Néanmoins, cette création spécifique au documentaire est limitée par rapport à la fiction.
Ce que n’a pas le documentaire
Hormis les reconstitutions possibles, le documentaire suit le principe que ce que l’on voit est ce que l’on a. Créer un documentaire a pour but de présenter au lecteur/spectateur non pas quelque chose qui se fonde sur votre propre imagination et votre créativité.
En fait, vous présentez au lecteur quelque chose qu’il croit savoir mais qui se révélera totalement différent et innovant dans le même temps.
Les reconstitutions sont toujours intéressantes pour donner du relief au discours du narrateur mais elles sont bien moins exigeantes que ce que réclame une mise en scène pour une œuvre de fiction. Cependant, le ton aura une importance étonnante car il vous faudra souligner les moments joyeux ou les moments tristes. Il faudra discerner quand vous devrez être sérieux.
Donc si le documentaire n’est pas tout à fait comme une fiction, il a cependant certaines particularités. D’abord, ce sont les interviews. Ici, rien n’est vraiment prévu. Vous n’aurez aucune idée où cette interview mènera votre projet.
C’est un peu magique d’ailleurs parce que vous ne pouvez pas prévoir les conséquences que le résultat d’une interview aura sur votre projet. Néanmoins, votre interlocuteur doit avoir bien compris les raisons de cette interview. Vous devrez être singulièrement franc avec lui.
Votre intention sera d’ailleurs appuyée par une préparation de la conversation. Prévenez votre interlocuteur sur les questions que vous lui poserez. Vous pouvez vous présenter comme un néophyte face à un expert. Vous ne perdrez pas en dignité mais vous gagnerez une compréhension nouvelle de votre sujet.
Une image vaut mille mots
Parfois un plan de coupe peut dire beaucoup plus que le narrateur. Il existe des images, des scènes chargées d’une émotion poétique (un visage, une horloge sur un mur, un lieu lourdement chargé d’histoire…).
Comme il est difficile de traduire cette émotion en mots, ce qui compte alors est de décrire cette image et d’espérer que ce moment poétique atteindra le lecteur/spectateur.
Ainsi, certaines images serviront à la narration comme transition par exemple. Un personnage entre dans un immeuble et l’instant d’après vous êtes sur une interview. Le plan de coupe sert d’articulation à votre discours. Cela sera préparé au moment de l’écriture de votre documentaire.
D’autres plans de coupe tenteront de rendre palpable une émotion (cela fonctionne d’ailleurs aussi en fiction). Vous savez qu’à un certain moment de votre documentaire, vous devez faire ressentir une émotion particulière à votre lecteur/spectateur. Par exemple, un homme seul assis sur un banc peut porter beaucoup en signification sans qu’un narrateur n’ait à prononcer un seul mot.
Et puis le documentaire est plus souple que la fiction pour ajouter des images pour appuyer le propos en cours. Par exemple, votre documentaire porte sur l’univers de la course automobile. Vous avez décidé de jeté un regard particulier sur une certaine course. Manifestement, c’est la course elle-même qui doit retenir l’attention mais vous pourriez déjà envisager de grêler en quelque sorte votre discours principal avec des images qui n’ajoutent rien au sens mais plutôt qui le confirme tels que le public assis dans les gradins s’empiffrant d’une nourriture quelconque.
Le cinéma direct
Un peu avant les années 1960, le cinéma direct est devenu un gage de qualité pour le documentaire. C’est être à la recherche de la vérité de ce que saisit l’œil du cinéaste (souvent auteur du scénario de son documentaire).
Sur ce même principe d’une quête incessante du vrai, prévoir dans l’écriture du scénario de son projet de documentaire la réalisation même de celui-ci.
Ce qui ajoutera aussi à la vérité de votre discours, ce sont ce qu’on appelle communément des archives. Cela demande probablement un autre article mais considérez dès l’écriture du projet qu’un travail de recherche documentaire sur votre projet comme le ferait un documentaliste vous apportera du matériel (images & images en mouvement, sons, écrits) qui engrossera votre discours avec une sorte de preuve historique.
L’écriture du scénario
Il m’est déjà arrivé de dire dans les pages de Scenar Mag qu’un moyen possible d’écrire un scénario est de connaître l’effet que l’on veut obtenir sur son lecteur/spectateur au dénouement de son histoire et de prendre les choses à rebours en remontant jusqu’au prologue.
La réalisation d’un documentaire suit un processus identique. La différence est qu’on ne peut pas faire autrement que de fonctionner à rebours.
Ce ne sera seulement qu’après avoir collecté vos données (interviews, images d’archives…) et d’avoir mené vos recherches que vous pourrez commencer à écrire le scénario de votre documentaire.
Une simple évidence est, comme je l’ai mentionné, que vous ignorez ce que sera le résultat d’une interview. Vous ne pouvez pas prévoir ce que répondra votre interlocuteur à vos questions et comment ses réponses pourront être liées à votre message.
Pour écrire, il vous faut déjà posséder tous les faits et la matière même de l’encre de votre documentaire.
Gardez en mémoire que vous écrivez pour un lecteur/spectateur et même un auditeur. Tout comme en fiction, tout a déjà été dit. Des choses cependant peuvent être encore découvertes en innovant sur des sujets déjà étudiés par d’autres.
Votre sujet conte une histoire (en fiction comme en non fiction). Le lecteur/spectateur/auditeur compte sur vous pour lancer à sa place l’investigation sur un sujet qui le préoccupe. Il veut être transporté ailleurs, apprendre quelque chose de nouveau, être émotionnellement bouleversé (quelque soit le degré de cette émotion).
Votre point de vue
Écrire de la fiction ou préparer un plan (préalable nécessaire au documentaire et fortement recommandé en fiction), c’est s’engager. S’engager, c’est prendre un risque. Qu’est-ce que vous voulez dire à vos lecteurs ? Que pensez-vous qu’ils méritent de savoir ? Que croyez-vous des choses qui les préoccupent actuellement ?
Quand vous serez sûr du message que vous voulez transmettre, il sera plus facile de l’écrire (et subséquemment de produire votre documentaire). De plus, votre message sera transmis en clair dans l’esprit du lecteur. C’est dans la connaissance de cette cause qu’il pourra juger s’il est d’accord ou non avec votre message.
Mais même en profond désaccord, il aura suivi votre projet jusqu’à son dénouement. Et comment cela se fait-il ? Car vous aurez su l’accrocher et le retenir et lui permettre d’ouvrir les yeux sur la réalité que vous lui présentez. Votre point de vue donnera quelque chose à penser à votre lecteur/spectateur.
Et alors qu’en fiction, il est préférable de ne pas perdre de vue son plan, le documentaire vous oblige à être davantage flexible et peut-être de le laisser aller là où vous n’aviez pas prévu qu’il aille.
Précisez votre projet
Assurez-vous que vous avez bien les moyens de votre prétention. Alors qu’en fiction, les aspects techniques (et donc le financement) s’effacent derrière la qualité du scénario, un documentaire se doit d’être en ordre techniquement pour convaincre.
S’il vous faut réécrire totalement le projet parce qu’à la relecture, vous vous êtes aperçus que vous ne donniez pas à votre message le respect ou la dignité qu’il méritait, faites-le.
Donnez à votre message encore plus de signification et trouvez le matériel adéquat (nouvelles images à tourner, nouvelles archives à sortir de l’oubli…) pour convaincre davantage votre lecteur de votre point de vue.
Un documentaire n’est pas une simple observation de notre humanité. C’est une porte ouverte sur notre nature humaine (même si vous écrivez un documentaire animalier). Vous écrivez sur des choses qui pèsent de tout leur poids sur nos âmes, des choses qui nous rendent joyeux ou nous bouleversent dans des abîmes d’amertume.
Avec votre documentaire, vous impliquez la réalité. Le documentaire s’inscrit dans le réel, dans la souffrance du réel avec de vraies personnes, de vrais problèmes. Tout cela est dangereusement puissant et touche le plus grand nombre d’entre nous.
Toute l’intelligence que vous placerez dans l’écriture de votre documentaire ne vous permettra probablement pas de saisir vraiment les choses que vous capterez mais le cœur, la sincérité de votre message porteront l’émotion qui pourrait autoriser votre lecteur/spectateur à interpréter sa vérité.
Nous avons tous une histoire à raconter. Fiction ou documentaire sont des moyens privilégiés. Peut-être que la différence entre fiction et documentaire, c’est qu’avec ce dernier on touche à ce qui importe le plus aux gens.
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