De nombreux auteurs ont donné des conseils plus ou moins judicieux pour écrire. On a tendance d’ailleurs à suivre ceux dont nous admirons déjà le travail.
Romancière connue pour ses thrillers psychologiques, voici une pensée très intéressante de Patricia Highsmith sur ce que nous pourrions nommer le mouvement.
Pour que l’histoire acquiert cet élan nécessaire et stable qui la mènera assurément jusqu’au dénouement, les auteurs devraient attendre que l’histoire jaillisse d’elle-même dans le cours de son développement et de sa planification.
Pour Patricia Highsmith, c’est un lent processus qu’il ne faut pas hâter parce qu’il s’agit d’un processus émotionnel, une sorte d’achèvement émotionnel qui vous fera dire un jour en vous-mêmes que ce que vous êtes en train de rechercher fera une très bonne histoire à raconter.
Ce n’est seulement que lorsque cette impression vous envahit totalement que les auteurs peuvent alors passer au processus d’écriture proprement dit de leur histoire.
Il faut toujours une séparation d’avec les autres gens autour de la personne qui écrit les livres.
C’est une solitude essentielle. C’est la solitude de l’auteur, celle de l’écrit. Pour débuter la chose, on se demande ce que c’était ce silence autour de soi. Et pratiquement à chaque pas que l’on fait dans une maison et à toutes les heures de la journée, dans toutes les lumières, qu’elles soient du dehors ou des lampes allumées dans le jour. Cette solitude réelle du corps devient celle, inviolable, de l’écrit.
Je ne parlais de ça à personne. Dans cette période-là de ma première solitude j’avais déjà découvert que c’était écrire qu’il fallait que je fasse. J’en avais déjà été confirmée par Raymond Queneau. Le seul jugement de Raymond Queneau. Cette phrase : « Ne faites rien d’autre dans la vie que ça, écrire. » écrire, c’était ça la seule chose qui peuplait ma vie et qui l’enchantait. Je l’ai fait. L’écriture ne m’a jamais quittée.
Marguerite Duras. Écrire
Samuel R. Delany, romancier de science-fiction, fait la distinction entre good writing et talented writing. Entre une écriture somme toute banale tout en étant efficace (good writing) et une écriture beaucoup plus talentueuse qui se distinguera d’elle-même du lot (talented writing).
Pour Delany, une good writing, c’est d’abord un ensemble de choses à ne pas faire. C’est éviter tout ce qui paraît non nécessaire, tout ce bruit dont les auteurs malgré eux pourraient superposer à l’histoire, toutes ces dérives dans lesquelles ils se laissent entraîner par leur imagination (ce qui est différent de la complexité de l’intrigue).
Lorsque nous arrivons au bout d’une première version de notre projet, il est alors temps de le retravailler. Nous nous apercevrons alors des moments où nous avons glissé. Nous allons réviser ce projet et lors de la réécriture, nous lisserons notre texte pour en améliorer la clarté, la lisibilité et soyons clair sur ce point nous améliorerons certainement l’aspect humain que nos divagations auraient pu obscurcir.
Pour Delany, cependant, que nous intervenions sur notre style ou que nous nous recentrions sur notre sujet, enfin quoique nous fassions pour améliorer notre texte, nous finirons par faire une fiction qui ressemble à toutes les autres fictions.
L’écriture sera correcte et efficace, certes, mais paradoxalement, elle ne sera pas une bonne fiction car cette amélioration qui consiste non pas tant à s’imposer des contraintes mais davantage à réduire notre créativité s’avérera en fin de compte insatisfaisante.
Non pas par rapport au lecteur mais bien pour les auteurs qui ne tireront rien de cette manière de s’exprimer, de dire ce qu’ils ont à dire.
Comment comprendre alors ce qu’est une talented writing ? Samuel R. Delany nous dit qu’une good writing est une affaire de clarté. Les choses sont logiques, évidentes, claires, causales mêmes. Mais il leur manque quelque chose. C’est-à-dire une énergie.
C’est cette force qui fait que des choses se produisent dans l’esprit du lecteur, que l’âme des personnages s’y glisse et le bouleverse. Il n’y a pas de logique dans une âme. La passion est chaotique, nous trompe certainement. Pourtant, lorsqu’elle est partagée entre les auteurs, les lecteurs et les personnages, c’est toute la vie qui s’engouffre dans l’écriture.
Pour la poétesse Mary Karr, un auteur, c’est d’abord une voix. Une voix qui dira les expériences intimes et extérieures d’un être humain.
Chacun d’entre nous possède son propre point de vue sur le monde. Ce n’est pas le point de vue narratif d’un personnage qui nous décrit la scène selon son regard. C’est une perspective que chacun d’entre nous, auteurs ou non, concevons sur le monde à la suite de notre éducation, de notre milieu social, de nos expériences personnelles, de nos croyances forgées ou forcées… enfin de tous ces facteurs qui entrent en jeu pour définir une grande partie de notre personnalité.
Travailler cette voix, c’est d’abord de grands moments de solitude, d’hésitations, de faits jetés pêle-mêle sur le papier, des anecdotes aussi. Cela peut prendre du temps de s’ouvrir ainsi à soi, d’être sincère avec soi-même et ses expériences. Lorsqu’on y parvient, le lecteur entendra alors dès les premières phrases cette voix unique.
Ray Bradbury a un conseil qui revient comme un leitmotiv. Ne cessez jamais d’écrire. C’est par cela que les auteurs s’amélioreront. Pour Bradbury, la quantité prépare la qualité.
On peut peut-être percer davantage le mystère de cette quantité en citant Maria Irène Fornès, dramaturge et metteuse en scène américaine : Vous devriez toujours changer de processus créatif. Parce que vous êtes deux en vous. Il y a celui qui veut écrire et celui qui ne veut pas écrire. Et celui qui veut écrire ne doit jamais cesser de déjouer celui qui ne veut pas.
Robert Olen Butler à travers ses cours à la Florida State University Faculty donna du processus fictionnel une idée unique et néanmoins pratique. L’imagination des auteurs doit être considérée comme un instrument solide et souple et préparé à l’effort qui lui sera demandé. Tout comme le corps d’un acteur qui entraîne le lecteur à chaque instant dans une expérience sensuelle.
Mais l’imagination n’est pas l’essentiel. Car ce que doivent rechercher les auteurs, c’est la vérité d’un lien émotionnel avec le lecteur. Et pour Butler, nous sommes davantage dans le domaine de l’inconscient plutôt que dans celui de la technique narrative ou de l’intellect.
Écrire souvent, cela veut dire aussi des nouvelles ou des scénarios de quelques pages. Pour Robert Olen Butler, il faut se départir de l’habitude de dire que nous avons une idée pour un court, par exemple.
Car pour Robert O. Butler, l’art scénaristique, que le projet soit de 120 ou de 12 pages, est avant tout un art : un art scénaristique même si plus tard, le projet devient un outil en d’autres mains.
L’art ne vient pas des idées. L’art ne vient pas de la raison. Il vient du rêve, de l’inconscient qui permet le rêve. C’est dire qu’il serait extrêmement difficile de raisonner sur son écriture. Dans ce cas, on s’éloigne de l’art. Peut-être que sans suivre à la règle cette préconisation de Robert Olen Butler, il serait bon parfois de regarder dans un lieu de nous-mêmes que nous avons tant de mal à affronter car sans raison comme colonnes.
Nous avons déjà rencontré Edward Morgan Forster dans les colonnes de Scenar Mag. Pour Forster, mémoire et intelligence sont intimement connectées parce que sans souvenirs, nous ne pouvons pas comprendre. Comme il le dit, si nous oublions l’existence du roi, lorsque la reine mourra à son tour, nous ne serons pas capable de comprendre ce qui l’a tuée.
Les auteurs attendent de leur lecteur qu’ils se souviennent. Les auteurs font aussi la promesse à leurs lecteurs que tous les détails de l’histoire qu’ils racontent seront satisfaits.
Chaque action décrite compte. Chaque mot décrivant l’action compte. Parce que l’histoire fait appel à l’intelligence de son lecteur qui ne cesse de réarranger et de reconsidérer les informations qui lui sont données, de découvrir de nouveaux indices, de nouvelles chaînes de causes et d’effets et le sens final de l’histoire (du moins si l’histoire est capable de lui en fournir un qui soit intelligent).
Cette signification ultime cependant est quelque chose de compact, de global, qui dépasse la signification de ses parties pour donner sa propre définition. Et Forster ajoute que cette signification aurait pu être donnée immédiatement par l’auteur puisqu’elle existe bien avant que le dénouement ne soit écrit. Mais ainsi, elle aurait perdu toute magie.
Pour Edith Wharton, la véritable originalité ne consiste pas en une nouvelle manière (ce qui serait bien vain si ce n’est présomptueux).
Plutôt en une nouvelle vision. Cette vision innovante et personnelle ne peut être atteinte que si l’on observe suffisamment longtemps l’objet représenté pour le faire sien.
Et l’esprit capable d’un tel exploit doit nourrir cette vision qui ne demande qu’à s’épanouir en accumulant connaissances et expériences. Connaître une seule chose, c’est vouloir connaître de nombreuses choses. Cela s’appelle la connaissance. Mais les auteurs ne peuvent se contenter de n’appréhender que la surface de leur sujet. Edith Wharton cite Kipling lorsqu’il demande ce que les auteurs savent de l’Angleterre que seule l’Angleterre connaît et d’en faire un mot d’ordre symbolique pour l’artiste créatif. Dit différemment, les auteurs doivent lever le voile des apparences pour atteindre, si cela est jamais possible, à la vérité des choses.
Et si vous manquiez parfois de conviction, voici ce que nous dit Walter Mosley. La première chose à savoir sur l’écriture est que vous devez écrire chaque jour. Quel que soit le moment de la journée ou de la nuit, et idéalement, le moment que vous choisissez comme celui où vous serez le plus créatif.
Pour Mosley, cela s’explique par deux raisons : d’abord, vous créez, vous produisez quelque chose. Ensuite, vous êtes en lien direct avec votre inconscient (du moins si l’inconscient est une hypothèse que vous souhaitez retenir).
Finir un projet de roman ou de scénario, cela implique de se mettre au travail. Recherche, écriture, il n’y a pas de temps à perdre. La quête de l’inspiration comme prétexte à procrastiner ne vous mènera pas au bout de votre projet.
L’écriture est une entreprise sérieuse qui exige constance et rigueur. Volonté et régularité vous apporteront la satisfaction que vous attendez peut-être inconsciemment de votre écriture.
Pour Mosley, l’écriture est précisément une activité inconsciente. Pour lui, cela dépasse notre entendement. Connexions, sentiments, métaphores, expériences que l’on appelle par notre écriture proviennent du plus profond de nous.
Par moments, vous en viendrez à vous demander si c’est bien vous qui avez écrit ces mots. D’autres fois, vous serez pris dans une passion enfiévrée à décrire le voyage compliqué du cœur en lambeaux de votre protagoniste.
Ces moments sont ceux où vous êtes en lien direct avec ce qu’il y a de plus profond en vous, un lieu caché où séjourne votre envie d’écrire. En écrivant chaque jour comme le préconise Walter Mosley, les auteurs peuvent alors tenter de s’approprier ce lieu secret.
Dans ses lettres à un jeune auteur, Colum McCann enjoint les auteurs à ne pas écrire sur ce qu’ils savent mais plutôt sur ce qu’ils voudraient savoir. Ce qui revient à prendre des risques. Mais c’est aussi une ouverture nouvelle sur le monde. Écrire, c’est en quelque sorte s’engager en investiguant les réalités qui existent au-delà de nous, celles que l’on croit hors de notre portée parce qu’elles sont hors de notre vue.
Pour McCann, un auteur est un explorateur. Il sait qu’il veut se rendre quelque part et il ignore si ce quelque part existe ou non. Ce lieu est à créer ou à recréer. Je ne sais pas si les auteurs sont effectivement en quête d’eux-mêmes à travers l’écriture mais pour Colum McCann, cette exploration peut nous mener à réviser totalement qui nous sommes vraiment.
L’introspection est décidément ennuyeuse. Il faut vraiment sortir de soi, se propulser vers l’extérieur. Penser aux autres, penser ailleurs. Mettre une distance entre soi et soi pour finalement comprendre qui nous sommes vraiment, voilà en quoi consiste écrire pour Colum McCann.
Lynda Barry est une auteure de bandes dessinées underground. Pour elle, le souvenir, la mémoire sont des espaces utiles aux auteurs parce que les représentations nous permettent de reconnaître les sensations que les auteurs peuvent décrire dans leurs fictions.
Pour celle ou celui encore trop confus pour écrire, explorer ces lieux pourrait être un bon début pour se lancer dans l’écriture.
L’idée est simple. L’ordinaire est extraordinaire. A celui qui sait voir, l’ordinaire n’est pas banal. Qu’est-ce que l’ordinaire que Lynda Barry rend si précieux ? L’ordinaire est cette chose que nous voudrions voir revenir lorsque que quelqu’un que nous aimions meurt. Lorsque quelqu’un que nous aimions meurt ou nous quitte ou cesse de nous aimer.
On dit que ce sont les petites choses de la relation que nous avions qui nous manquent le plus. Ces petites choses qui surgissent à l’improviste et qui nous renvoient inlassablement vers eux. Ces petites choses qui sont bien plus que des souvenirs. Ce sont des conflagrations qui nous submergent.
Joyce Carol Oates rejoint aussi ces avis en enjoignant les jeunes auteurs à ne pas se décourager.
Et puis, écrire, ce n’est pas une course. Il n’y a pas de vainqueur dans l’écriture.
La satisfaction est dans l’effort et rarement dans la récompense, si tant est qu’il y en ait une. La fiction pourrait consister à laisser son cœur se répandre sur le papier.
Lorsqu’on demande à Ann Sexton pourquoi elle écrivait des poèmes si sombres et si douloureux, elle répondit que la souffrance gravait un souvenir plus profond.
Pensez à un moment de votre vie où vous avez vécu un choc soudain comme une trahison ou une terrible nouvelle. Peut-être alors vous souvenez-vous du temps qu’il faisait ou de la légèreté de la brise qui vous entourait. Ce pourrait être un cendrier plein ou bien un détail sur ce mur qui vous faisait face ou encore peut-être le chandail mité que vous portiez à ce moment-là ou cette sirène que vous entendiez au loin.
Pour Dani Shapiro, la souffrance grave en effet des détails en nous, dans notre mémoire. Au contraire de Ann Sexton, il pense néanmoins que les grands moments de joie en sont tout autant capables.
Virginia Woolf disait que de grandes émotions laissent forcément des traces. Prenez le temps de parcourir ces traces, de remonter tous ces détails et vous redécouvrirez probablement la nature de toutes les émotions que vous auriez pu vivre ou non d’ailleurs.
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