Le pilote d’une série est l’épisode qui expose le moteur qui va propulser la série tout au long de sa durée. Cette exposition se réalisera par l’intrigue, les personnages et le ton donné à l’œuvre. Il est important de prêter une attention particulière au pilote car, comme l’exemple de Game of Thrones nous le rappelle (ils s’y sont pris à deux fois pour le pilote), un pilote qui n’agrée pas aux tests d’audience tue la série dans l’œuf.
En effet, Game of Thrones n’a connu ce destin exceptionnel que parce que le pilote a été remanié après que les lecteurs/spectateurs en accablèrent d’un anathème la première mouture.
Pour comprendre comment fonctionne un scénario, il faut considérer le dénouement de celui-ci et en particulier, l’effet que ce dénouement a sur le lecteur/spectateur en tant qu’intention voulu par les auteurs.
Considérons donc le dénouement du pilote de Game of Thrones : Winter is coming de David Benioff et D.B. Weiss. L’étude de cette partie du pilote nous permettra d’interpréter ce que sera le moteur qui donnera tout son élan à la série. Et cela peut fonctionner avec n’importe quelle série de n’importe quel genre.
Le dénouement
Ce moment d’un scénario d’un pilote est ce qui permet à la série de se lancer à plein régime. Ce lancement étrange provoque chez le lecteur/spectateur un effet qui crée en lui un besoin d’en voir et d’en savoir plus. Il est dans la nature même d’un dénouement, dans sa légitimation de porter la marque distinctive de toute la série.
Le pilote établit le monde merveilleux de Westeros (merveilleux dans le sens où la réalité de ce monde fantastique est quelque chose de normale pour ceux qui y résident. Les lois de ce monde fantastique si étranges qu’elles puissent nous paraître font partie de la banalité, du quotidien de ce monde).
Nous sommes dans un lieu où prennent place machinations politiques et combats dynastiques et où la violence est un art de vivre (ou du moins, il est nécessaire de s’y accommoder).
George R. R. Martin semble s’être inspiré plus ou moins de la Guerre des Roses du quinzième siècle anglais (mais ses références ont été puisées tout au long de l’histoire humaine, de ses mythologies et légendes autant dans ses grandes lignes que dans ses détails les plus insignifiants, probablement encore plus porteurs de sens).
On ne peut d’ailleurs s’empêcher d’y voir une analogie entre ce continent majeur de Game of Thrones et ses sept royaumes où la plus grande partie de l’histoire se déroule et l’état actuel de l’Union Européenne et de ses 28 membres.
Game of Thrones où plus exactement l’ensemble de l’œuvre A song of Ice and fire bien que fictionnel rappelle par certains aspects la société européenne à travers ses politiques, son économie et ses cultures.
A la fin du pilote, Bran (le jeune fils des Stark) grimpe le long d’une des tours de Winterfell, le siège du souverain du Nord, la maison des Stark.
Il surprend alors par hasard Cersei, la reine des sept royaumes de Westeros (Stark est un vassal) et son frère jumeau Jaime dans une situation d’adultère incestueux.
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Quelle impression nous laisse cette dernière image ? Celle d’un gâchis, d’une destruction d’un être innocent. Bran sans intention de faire le mal surprend un terrible secret. Ceux qui détiennent ce secret briseront cette innocence pour préserver ce qui ne peut être révélé.
Cet acte terrible blesse aussi l’innocence (ou du moins l’esprit de l’enfant qui est peut-être encore en nous, le nihilisme est décidément trop dépressif) du lecteur/spectateur et le laisse désarmé, angoissé devant cet ultime image ce qui crée aussitôt en lui le désir ou même le besoin de soulager cette inquiétude. Il est dorénavant accroché.
Nul besoin de s’immerger profondément dans le monde de Game of Thrones pour comprendre que le thème essentiel de cette histoire est la lutte pour le pouvoir. Le moteur qui donnera son élan à toute l’intrigue est la contradiction douloureuse de la nature de ce pouvoir.
Posséder le pouvoir est à la fois une satisfaction, une jouissance mais est aussi destructeur. Et Robert, l’actuel Roi de Westeros, en est bien conscient en pensant à ses vassaux.
Le pouvoir permet d’obtenir tout ce que l’on veut mais ce processus est létal. Dans l’accomplissement sans réserve de ses désirs, l’être humain s’assèche et meurt bien trop tôt.
Dans Game of Thrones, l’information est l’ultime pouvoir. Connaître les secrets d’autrui, c’est contrôler autrui. Connaître le monde, c’est maîtriser le monde.
Le revers de la médaille est que cette connaissance illicite et malsaine tue l’innocence. Nous-mêmes, lecteurs, ne brûlons-nous pas du même désir de connaître ? Mais la séduction du pouvoir ne nous mènera t-elle pas à un aveuglement destructeur ?
Le moteur de Game of Thrones est bien un conflit entre les deux faces du pouvoir : séduction et châtiment. C’est précisément ce sentiment qui est illustré par le dénouement de ce pilote.
La première impression
Après avoir interprété le dénouement du pilote, il est bon d’en analyser le début afin de tirer profit de cette étude pour l’élaboration de notre propre projet personnel. Souvent, un prologue existe avant la séquence d’ouverture.
Le prologue du pilote s’ouvre avec 3 rangers (Gardes de la nuit) qui s’aventurent hors du Mur protecteur pour patrouiller les étendues sauvages qui s’étendent au-delà. L’un des hommes découvrent des cadavres affreusement mutilés mais lorsqu’ils reviennent sur les lieux du massacre, tous les corps ont disparu.
Seul un morceau de tissu rouge est retrouvé sur place. Puis, une étrange créature aux yeux bleus apparaît et décapite deux des rangers avant de jeter l’une des têtes aux pieds du survivant. Ce prologue est exemplaire d’abord parce qu’il crée un profond sens de mystère. L’attention du lecteur/spectateur est attirée par le morceau de tissu.
Ce mystère est crucial parce qu’il incite le lecteur à s’interroger, c’est-à-dire à vouloir connaître la signification de ce morceau de tissu. La connaissance se double même ici d’une promesse de réponse (nous n’obtenons pas toujours toutes nos réponses dans la vie réelle). Cette promesse est une bonne chose parce que le lecteur l’exige et qu’il continuera à tourner les pages pour qu’elle se réalise.
Mais alors que le lecteur/spectateur prend un certain plaisir à quêter les réponses aux interrogations que la situation lui suggère, l’attaque brutale du monstre transforme l’attente bienheureuse en un moment de terreur et de douleur.
Ce prologue manipule le lecteur et ce sera précisément la marque de toute la série. Ce sera ce double type d’expérience (plaisir et douleur) à laquelle nous convie Game of Thrones.
Évidemment, ce prologue est un exemple parmi d’autres. Il est intéressant néanmoins parce qu’il traduit bien l’intention des auteurs : nous donner l’envie d’en savoir plus mais nous devrons en payer le prix.
Le pilote présente de nombreux personnages
En effet, il est habituel que nous soyons introduits assez rapidement avec l’ensemble des personnages (du moins les plus importants) dès le pilote. Cela peut causer de la confusion dans l’esprit du lecteur. C’est néanmoins nécessaire.
Un des moyens d’éviter le chaos dans l’esprit du lecteur est de présenter chaque personnage avec un point de vue bien spécifique sur le conflit majeur du monde de l’histoire. Chaque personnage devrait offrir son propre et différent angle sur un conflit qui est partagé par tous.
Ensuite, il faut bien clarifier les relations qui unissent les personnages. Concrètement, vous repérez deux parmi vos personnages les plus importants qui incarnent chacun un point de vue différent et opposé sur le problème à résoudre.
Chacun d’entre eux représentera un aspect contradictoire du monde. Cela renforce le conflit et permet l’intrigue qui est essentiellement une affaire de relations entre les personnages.
Dans Game of thrones, ce sont avec les Stark que nous faisons d’abord connaissance. Et ce sera avec les yeux de Bran que nous découvrirons l’univers singulier de la lignée des Stark.
Bran assiste à l’exécution du ranger survivant du prologue. Cette expérience lui est nécessaire car pour s’ouvrir au monde, il lui faut apprendre ce qu’est la mort.
Bran insiste. Il est volontaire pour cette initiation. Cette nouvelle connaissance est douloureuse parce qu’en découvrant le sens de la mort, il assiste à la fin d’un homme. En apprenant, Bran souffre parce que son innocence meurt aussi.
Le sortir de l’enfance est un passage douloureux. Il est important de comprendre que Bran ne sera pas un personnage qui influera l’intrigue. Sa fonction consiste essentiellement à nous expliquer le monde de Game of Thrones et à éclairer certains aspects des autres personnages.
Et ce monde qu’il nous explique est l’inexpérience (de l’innocence qui nous pousse à la curiosité, de comprendre les choses du monde) et l’expérience (qui résulte en la souffrance, en la perte de l’innocence).
La reine Cersei et son frère jumeau Jaime nous sont aussi présentés lors des funérailles de la Main du Roi (le guide spirituel, mentor et principal conseiller du Roi). A cette occasion, Cersei s’inquiète de ce que Jon Arryn (la Main du Roi qui vient de décéder) aurait pu révéler avant de mourir.
Son frère la rassure à sa manière (un humour noir revendiqué) en lui répondant que si la Main du Roi avait dit quoi que ce soit, leurs têtes à tous deux seraient suspendus aux portes de la ville.
Cette introduction confirme la problématique de Game of Thrones. Posséder l’information, c’est posséder le pouvoir mais cette connaissance est aussi une menace fatale.
Présenter les Lannister comme les détenteurs d’un terrible secret met aussi en place la relation conflictuelle entre les Lannister et les Stark. Et ce sera ce conflit singulier qui alimentera le moteur dramatique de toute la série.
L’intrigue du pilote
Toute l’intrigue se fonde sur le désir et le besoin d’informations des Stark et l’effort constant des Lannister à masquer cette information. C’est un motif classique des intrigues de pouvoir. Pour intensifier ce motif, l’objectif majeur de l’intrigue consistera alors à insérer Ned Stark au cœur même du territoire des Lannister, c’est-à-dire à la cour du Roi.
Pour que cela soit possible et que la présence de Ned Stark soit ressentie comme une menace par les Lannister, il lui fallait par conséquent un poste important auprès du Roi. C’est ainsi que se justifie la mort de Jon Arryn, la précédente Main du Roi et le désir du Roi que son vieil ami le rejoigne.
Ned Stark acceptera à contrecœur (c’est un principe narratif que les décisions importantes aient lieu en deux temps) et il va se retrouver immergé dans l’ombre sinistre des intrigues de cour.
Non seulement le Roi est demandeur d’un service personnel mais il existe aussi une amitié sincère et une histoire partagée entre lui et Stark. Il est donc logique que le Roi se déplace chez Stark. Ce sera alors l’occasion tout à fait normale pour les Lannister d’être aussi présents chez les Stark.
Par cela, nous comprenons que le conflit qui déchire les deux familles sera encore plus intense lorsque les Stark seront dans le fief des Lannister.
Et l’intrigue se conclue par son climax juste avant le départ pour la cour du Roi. Catelyn, la femme de Ned, a reçu une missive de sa sœur, l’épouse de Jon Arryn, qui la prévient que son mari a été assassiné par les Lannister. Elle en informe Ned.
Cette information est capitale à la fois pour les Stark mais aussi pour le lecteur parce que non seulement elle intensifie le conflit entre les deux familles mais elle donne aussi une raison à ce que Ned Stark fourre son nez dans les affaires de Cersei et de Jaime.
Bien établir chaque intrigue de la série
On pourrait croire surtout dans une série comme Game of Thrones que les lieux de l’action décident de l’intrigue qui s’y déroule. Ainsi, Westeros ou Essos pourrait ordonner toute l’intrigue du pilote.
Il s’est avéré que lors d’une première écriture, les scènes se déroulant à Essos étaient présentées juste après l’introduction des Stark.
En ce montage, le pilote était davantage fidèle au roman. Mais c’était oublié qu’un scénario est un être à part qui doit être adapté pour fonctionner. Il faut asseoir confortablement les personnages dans l’esprit du lecteur si l’on souhaite l’accrocher pour au moins le second épisode.
Or, l’arrivée inopinée du jeu de personnages liés à Essos alors que celui de Westeros n’était pas encore parfaitement établi a troublé le lecteur/spectateur qui s’est soudain désintéressé à la fois de Essos et de Westeros.
Dans la version remaniée du pilote, les auteurs ont efficacement retardé les scènes de Essos jusqu’à ce que le conflit entre les Stark et les Lannister soit parfaitement compris du lecteur et que le Roi ait demandé à Ned Stark de devenir la Main du Roi et de s’installer dans son château.
Dans une série, ce ne sont pas les lieux qui décident de l’action. Dans une série comme Game of Thrones, ce sont pourtant ces lieux qui offrent toute la richesse et le passionnant intérêt de cette histoire. Néanmoins, ce sera le conflit majeur qui anime ces lieux qui en sera le moteur dramatique.
Et ce conflit est le mieux décrit par l’opposition que vont se livrer deux personnages importants concernant l’approche qu’ils ont chacun de ce conflit majeur.
Tyrion Lannister
Tyrion nous est présenté par l’intermédiaire de Catelyn Stark
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Cette scène fonctionne parce qu’elle s’inscrit dans le moteur de l’intrigue du pilote : tout est affaire de sombres secrets et Tyrion n’y échappe pas. Est-il un penseur ou un ivrogne ? Et que signifie sa taille qui surprend autant Lady Catelyn ?
Certains détails renforcent aussi ce sentiment de choses cachées lorsque par exemple Tyrion crie à Jaime de fermer la porte de la maison close comme si les secrets étaient mieux gardés derrière les murs.
Puis le scénario se concentre de nouveau sur la personnalité de Tyrion lors d’un dialogue avec Jon Snow lorsque Tyrion lui dit de ne jamais oublier qui il est parce que le monde ne l’oubliera pas.
Il faut porter ce que l’on est comme une armure pour éviter d’être blessé par ce que le monde pourrait faire de la véritable nature d’un être humain.
C’est un rappel du conflit au cœur de cet univers. Tyrion a appris en souffrant. Il aurait aimé que le monde soit différent mais il a été blessé par sa cruauté. Ce qu’a appris Tyrion néanmoins, c’est de tirer le plus grand avantage de ce cauchemar dans lequel il est né.
Tyrion n’est pas considéré comme un antagoniste. Dans une série, il ne devrait pas y avoir d’antagonisme déclaré. Tous les personnages résistent chacun à leur façon à la loi du monde dans lequel ils sont jetés.
Ces façons sont souvent contradictoires et sources de conflits personnels mais chaque personnage devrait être un reflet de ce moteur qui anime le monde.
C’est ainsi que Tyrion nous est montré comme un être mystérieux, pleins de contradictions et donc de conflits intérieurs et somme toute, sympathique.