PERSONNAGES : UN TOUT

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Un auteur a souvent l’intuition de ce qu’il doit écrire. Mais lorsqu’il sait qu’il existe une structure, un processus de développement et un modèle pour conter son histoire et que tout cela ne ruine en rien son propre processus créatif, nul doute qu’il doit se sentir bien rassuré.
Savoir planifier son histoire la rend bien plus puissante.

Et dans la préparation de l’histoire, une étape dont l’histoire profitera avec le plus grand bénéfice est le soin apporté à la création des personnages qui la peupleront. A la limite, je me demande même s’ils ne sont pas plus importants que l’intrigue parce que sans eux, point d’intrigue… point de conflit… Point d’histoire.
On peut même constater que la caractérisation des personnages est le moyen par lequel on peut exprimer les thèmes qui nous préoccupent. Et que souvent un auteur conserve tout au long de sa carrière d’écrivain. L’expérience aidant, il devient plus mûr et manifeste ses thèmes de prédilection (ce qui le préoccupent) avec de plus en plus d’acuité (quitte à se rendre compte parfois qu’il faisait erreur).

Vos personnages sont votre voix

Nous avons vu précédemment que le concept est une notion indispensable à maîtriser avant de se lancer dans le processus d’écriture proprement dit. Concrètement, ce concept est la démonstration de comportements et de conduites dans des circonstances et situations particulières. Et à qui se référer lorsqu’on parle de comportements et d’attitudes (morales et autres…) ?
Aux personnages bien sûr.

Et votre voix ? Comment le lecteur peut-il l’entendre ?
Un des moyens de communication les plus passionnants en fiction est l’évolution des personnages entre le début et le dénouement de l’histoire. On parle d’arc dramatique ou de ligne dramatique (Dramatica).
Et cet arc dramatique possède lui aussi une structure. En effet, un personnage (le personnage principal la plupart du temps) ne change pas brusquement de personnalité. Cela se fait progressivement et le fait de le voir ainsi évolué (souvent pour le bien mais le mal n’est pas exclu) est ce qui fascine généralement le lecteur.

Ce changement majeur de la personnalité des personnages suit le mouvement de l’intrigue et globalement la structure de l’histoire. Parce que le héros apprend beaucoup et sur lui-même et sur le monde au cours de l’intrigue qu’il peut lors du dénouement apparaître comme quelqu’un d’autre, quelqu’un de foncièrement transformé.
C’est cette métamorphose que l’auteur doit rechercher et savoir expliquer pour en faire la démonstration. C’est dire l’importance du point de vue des personnages dans une histoire. Néanmoins, cela signifie aussi pour l’auteur une ligne de conduite de son histoire et il a un choix énorme en la matière.

Intrigue et personnages ne font qu’un

Deux concepts : une intrigue et des personnages. Apparemment, ce sont deux éléments dramatiques qui peuvent être théorisés séparément. Mais le véritable intérêt est que ces deux éléments vont fusionner pour donner quelque chose qui les dépasse tous deux.
Cette fusion est possible seulement si l’auteur possède une compréhension intime du passé de ses personnages, s’il sait orienter son intrigue d’après le conflit interne et personnel de son personnage principal et construire un arc dramatique pour au moins ce personnage.

Dans l’acte Un, nous faisons connaissance avec le personnage principal. Il ne s’est pas encore engagé dans l’aventure que l’auteur lui a préparée. Les forces antagonistes sont mentionnées mais ne sont pas totalement actives. Ce sont surtout des indices sur la nature du conflit qui attend le personnage principal. Parfois même, on ne sait pas qui ou quoi sera l’antagoniste dans le premier acte. Ce sera au cours de l’intrigue que ces forces se manifesteront.

Faire connaissance avec le héros, c’est rendre clair pour le lecteur ce qu’il veut et ce qu’il fait lorsque nous entrons dans sa vie. Tant que l’incident déclencheur n’a pas eu lieu, nous ignorons quelle sera la destinée de ce personnage. Après ce premier point majeur de l’histoire, nous comprenons ou avons l’intuition que quelque chose va changer dans la vie du héros.
Nous le voyons agir selon sa persona, c’est-à-dire qu’il porte un masque social qui est soit une recherche d’estime de la part d’autrui, soit parce qu’il souhaite orienter l’opinion que les autres ont de lui. Mais cette persona ne donne pas beaucoup d’explications de ce qui réside sous cette nuance, cette image qu’il offre de lui aux autres. Dans l’acte Un, il est encore trop tôt pour de telles révélations.

Tout au plus, avons-nous quelques indices sur les conséquences (qui se manifestent dans sa conduite) d’événements passés mais dont nous ignorons encore les détails. Par contre, lorsque survient l’incident déclencheur, nous comprenons immédiatement que les choses vont changer.
Mais le héros ne s’engage pas derechef dans l’acte Deux. Cette articulation n’a lieu qu’après un moment d’hésitation, d’incertitude alors que le personnage principal s’interroge encore sur ce qu’il doit faire. C’est lors de ce moment de doute que l’auteur peut donner des informations sur le passé de ses personnages. Ces précisions sur ce qui a fait que les personnages sont devenus ce qu’ils sont devenus permettent de pointer sur les démons intérieurs qui les meut à ce moment de l’histoire.

C’est alors que le lecteur peut comprendre que les actes des personnages dans le premier acte servent à compenser une blessure qui les fait encore souffrir depuis longtemps et qu’ils vont devoir les surmonter ou succomber.

L’acte Deux : une nouvelle situation

L’intrigue impose généralement un nouveau lieu pour l’histoire. Dans ce nouveau monde que le héros ne connaît pas, de nouveaux problèmes, de nouveaux obstacles se feront jour. Mais bien plus que cela, de nouveaux besoins et de nouveaux objectifs deviendront des impératifs pour le personnage principal.
Par impératifs, il faut comprendre que non seulement le héros ne peut y échapper mais qu’il sera aussi très motivé pour atteindre ces objectifs et satisfaire les besoins nouveaux. C’est à cette articulation (toute structurelle) du passage de l’acte Un à l’acte Deux que la quête peut commencer.

Dans la première partie de l’acte Deux (on en dénote généralement deux séparées par le point médian de l’histoire, nœud dramatique indispensable), le protagoniste répond à la nouvelle situation. Il n’est pas encore véritablement proactif, il ne fait que réagir à ce qu’il lui arrive. Parfois, il fuit la réalité, d’autres fois il l’examine au mépris des risques rencontrés.
Il peut vouloir aussi défier cette nouvelle situation dans laquelle l’auteur l’a jeté. On conçoit très bien qu’il n’accepte pas les choses telles qu’elles se présentent à lui. Il va objecter et opposer un refus mais tant que le point médian (qui ne se situe pas exactement au milieu de l’histoire et qui peut s’étendre de quelques lignes à plusieurs pages) n’est point advenu, ce refus sera sans effet (ou du moins sans conséquence sérieuse sur l’orientation de l’histoire).

En fait, le protagoniste ne va pas croire à la situation. Dans Rain Man, Charlie va littéralement enlevé Raymond dans l’intention manifeste de récupérer sa part d’héritage. Il refuse de croire que les jeux sont faits. Mais cette incrédulité, cette absence de foi est ce par quoi Charlie découvrira qui est vraiment Raymond, qu’il va apprendre à l’aimer et par là même, changer.

Dans cette première partie de l’intrigue, le héros ne s’est pas encore vraiment attaqué à son problème. On peut dire qu’il explore les options qui lui sont offertes. Il est un peu en errance. Et il fait des erreurs. Il est de la nature humaine de faire des erreurs. Il est de la sagesse de les reconnaître.
Ainsi, les personnages commettent des fautes et ils en tirent des leçons. Bien sûr, selon les exigences de l’histoire, tous ne sont pas capables d’apprendre. Mais au moins le personnage principal doit saisir ce à quoi il fait face, ce qu’il doit atteindre et ce qui se dresse sur son chemin. Et ce processus s’accorde à celui du lecteur. Un ouvrage de fiction est d’abord un acte de communication.

Les vieux démons réapparaissent

De l’introduction au point médian de l’histoire, les vieux modèles auxquels se conforment les personnages sont de vigueur. Pour ceux qui connaîtront un arc dramatique, ces démons personnels en sont le point de départ. Et pendant toute la première partie de ce nouveau contexte que constitue l’intrigue pour le personnage principal, ces failles dans sa personnalité vont le hanter et compromettre ses efforts.

Le début de l’acte Deux (jusqu’au point médian) est aussi l’espace où l’antagonisme connaît son heure de gloire. En effet, le héros est encore assailli par ce qui le hante depuis si longtemps. Il est comme handicapé et la force antagoniste en profite. On a souvent l’impression d’une prescience de l’antagoniste qui sait frapper là où cela fait mal au héros.
De plus, à ce moment de l’histoire, il n’a pas encore vraiment compris ce contre quoi il luttait vraiment et il pourrait aussi ne pas en être conscient. Pendant toute cette première partie, le personnage principal s’agite en tous sens. Et c’est très important qu’il agisse ainsi parce que cela renforce l’empathie du lecteur envers ce personnage et cela permet aussi de jouer sur les émotions.

Le protagoniste prend progressivement conscience que quelque chose doit changer en lui. Parce que, sinon, il échouera et peut connaître alors la mort (physique, spirituelle ou symbolique). Cette persona qui le caractérise tant porte de plus en plus de conséquences et de contraintes. Et cette prise de conscience s’opère alors que nous commençons à creuser sous la surface des personnages.
Le lecteur comprend les raisons des choix des personnages d’un point de vue rationnel cette fois. Il découvre quelle est la peine que ces actions masquent et dans quelle illusion, dans quel mensonge vivent les personnages (c’est surtout le cas pour le personnage principal et l’antagoniste lorsque celui-ci est incarné).

Et le point médian change la donne

Un bon antagoniste est un personnage bien plus fort et meilleur que le protagoniste. Tant que le point médian n’intervient pas, le héros est confondu par le soi-disant méchant de l’histoire. Parvenu au milieu approximatif de l’histoire, il est temps de donner quelque espérance au héros.
Au cours de ses tribulations, nul doute que le protagoniste en a tiré des leçons. Il acquiert ainsi une nouvelle volonté et de nouvelles capacités qui vont lui permettre de s’élever (spirituellement la plupart du temps) au-dessus de ses démons personnels.

Dans le seconde partie de l’acte Deux, le héros devient proactif. En somme, il attaque. Ses premières tentatives ne seront pas des réussites (et c’est mieux ainsi pour la satisfaction du lecteur). Mais, pour le héros, s’il doit succomber, ce ne sera pas sans avoir lutté.
Son apprentissage dont nous avons été les témoins lors de la première partie du second acte est maintenant terminé. Par ailleurs, le prolonger casserait le rythme de l’histoire. Et c’est dorénavant nullement intimidé qu’il affronte les obstacles, à la fois intérieurs et extérieurs. Il réalise aussi que ce qui était profondément enraciné en lui était ce qui entravait sa marche.

Maintenant, le protagoniste est prêt pour son ultime combat contre l’antagonisme. C’est le moment du climax. Ce climax peut se situer soit à la fin de l’acte Deux, soit être intégré à l’acte Trois. Tout dépend des exigences de l’histoire.


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