DRAMATICA : LA THÉORIE EXPLIQUÉE (64)

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Les appréciations de l’intrigue est un concept introduit par la théorie narrative Dramatica. On peut le comprendre comme la réception et la compréhension de l’intrigue par le lecteur.

Continuons sur notre lancée de la traduction du chapitre 17 de la théorie (que nous avons annotée pour tenter de rendre plus lumineuse la pensée de Melanie Anne Phillips et de Chris Huntley (les auteurs de cette théorie)).

Sommaire de tous les articles :
DRAMATICA : LA THÉORIE EXPLIQUÉE 
Au cours de l’article précédent, nous avons abordé les appréciations (ou Appreciations selon les termes de Dramatica) en parlant du Story Goal, des exigences (Story Requirements) et des conséquences (Story Consequences).

Story Forwarnings

Forwarnings signifie littéralement avertissements (nous pouvons aussi ajouter indices). Lorsque les exigences (Story Requirements) sont au fur et à mesure rassemblées et remplies au cours de l’intrigue, le lecteur possède graduellement les informations qui lui indiquent que le but (l’objectif ou Story Goal) est proche.

De même, un certain nombre d’autres indices ou informations  sont aussi donnés au lecteur. Ces avertissements sont autant d’informations qui préviennent le lecteur que les conséquences en cas d’échec sont elles aussi tout à fait possibles et qu’elles peuvent effectivement se produire.
Ce peut être par exemple des fissures dans un barrage (qui annoncent une catastrophe imminente) ou être plus subtil comme des rendez-vous manqués dont la répétition présage du pire pour le personnage principal.

Les personnages non seulement sont arcboutés sur l’obtention du but qu’ils se sont fixés et ils essaient aussi d’échapper aux conséquences si les choses vont mal.
Et la tension dramatique est décuplée lorsqu’on est à la fois celui qui poursuit et qui est poursuivi.

Dans les histoires où les conséquences sont déjà en place, les Story Forwarnings indiquent à quel point les choses sont proches de rendre ces conséquences permanentes.
Comme par exemple dans La belle et la bête des productions Disney où les pétales de la rose présagent en tombant le moment où le prince restera à jamais une bête.

Les appréciations de l’intrigue réparties entre Pilotes et Passagers

Pour ces notions de Pilotes & Passagers, je vous renvoie à :

  1. DRAMATICA : LA THÉORIE EXPLIQUÉE (7)
  2. DRAMATICA : LA THÉORIE EXPLIQUÉE (8)
  3. DRAMATICA : LA THÉORIE EXPLIQUÉE (9)
  4. DRAMATICA : LA THÉORIE EXPLIQUÉE (10)

Pour Dramatica, puisqu’il y a des personnages qui sont les pilotes de l’histoire (ou moteurs de celle-ci) et d’autres qui sont les passagers de cette histoire, il doit y avoir aussi des appréciations liées à l’intrigue qui correspondent aux pilotes et aux passagers.

Le Story Goal, les exigences (Story Requirements), les conséquences (Story Consequences), les Story Forwarnings concernent les pilotes.
Les quatre appréciations qui suivent Dividends, Costs, Prerequisites et Preconditions sont pour les passagers dont la fonction est de moduler le cours de l’intrigue propulsée par les pilotes.

Story Dividends

Dans l’effort fourni pour parvenir à réaliser l’objectif, certains bénéfices peuvent être accordés aux personnages ou acquis au cours de l’intrigue. Cela renforce la motivation des personnages à persévérer dans leur quête. Personne n’apprécie vraiment de travailler d’arrache-pied pendant une éternité avec pour seul espoir de recevoir une hypothétique récompense.

Et de manière similaire, quelqu’un qui souffre déjà d’une conséquence (telle que Dramatica définit ce terme), simplement accepter ce tourment tout en travaillant pour s’en soulager devient rapidement insupportable.
Pour les personnages de fiction, ce n’est pas différent. Ils ont besoin de recevoir quelques récompenses le long du chemin, des petits à-côtés qui rendent le voyage supportable et l’effort tolérable.

C’est ainsi que l’on constate assez souvent que dans la première partie de l’acte Deux, le protagoniste remporte quelques succès sur l’adversité. Comme il applique ses expériences passées à résoudre le problème immédiat ET que ce problème n’est pas encore très bien organisé, le succès est compréhensible et accepté par le lecteur.

Cependant, comme l’adversité (ou Inequity selon Dramatica) se renforce et que le protagoniste n’a pas encore vraiment appris ou sorti grandi de ses tribulations, il ne peut plus s’en remettre à ses expériences passées, à son vécu, et ne reçoit plus de Story Dividends.

Le prix à payer (Story Costs)

Tout comme des bénéfices ou Story Dividends (donc positif) récompensent l’effort fourni pour atteindre au but, un prix est à payer (donc négatif).
Chaque fois qu’un personnage endure quelques déplaisirs ou contrariétés dans sa tentative de réaliser son objectif, il advient un prix à payer (Story Costs).

Story Costs et Story Dividends modulent l’intensité de la motivation des personnages objectifs pour le Story Goal. Ces personnages ignorent s’ils réussiront ou pas. Somme toute, fournir un effort sans être convaincu qu’il en vaudra la peine revient à parier sur des probabilités ou des possibilités.
Quelle que soit l’issue, ce pari cependant nécessite un coût. Une machine à sous exige toujours une mise pour jouer.

Chaque gain est un Story Dividend. En équilibrant le gain et le coût (ou prix à payer), la motivation à continuer dans l’espoir du jackpot (l’obtention du Story Goal) est maintenue.
Parce que chaque bénéfice ou avantage que l’on tire d’une situation donnée est vu comme une preuve de l’ultime récompense que l’on peut obtenir.

Et même si le prix à payer (Story Cost) est plus lourd que l’avantage (Story Dividend) dans une situation donnée de l’intrigue, l’objectif couvrira ce prix à payer et laissera bien plus de profit.
Bien sûr, comme d’ailleurs dans tous les jeux de hasard, les personnages peuvent accumuler des Story Costs à un point tel que la réussite du Story Goal sera compromise parce qu’il ne couvrira pas la dette ou physique ou émotionnelle.

Les prérequis  (Story Prerequisites)

Tout effort requiert certaines choses qui lui sont essentielles. Nous avons vu que la réussite de l’objectif réclamait certaines exigences. Or, ces exigences ont besoin d’un matériel narratif que l’on peut qualifier d’essentiel pour qu’elles puissent être concrétisées.

La différence entre Story Requirements et Story Prerequisites est subtile et se situe essentiellement dans le fait que les Story Requirements concernent les pilotes et les Story Prerequisites concernent les passagers.

On peut même considérer que les Story Requirements décrivent un état de conscience alors que les Story Prerequisites insistent davantage sur un état des choses (donc une situation nécessaire et préalable).

Les Story Prerequisites sont les prérequis sans lesquels aucune progression ne peut être faite. Il faut donc assembler ce dont on a besoin si l’on veut mettre en place une exigence.
Par exemple, ces prérequis (ou Story Prerequisites) pourraient être de se procurer un certain moyen de transport (si les personnages doivent se rendre dans un certain lieu et qu’il leur manque un avion, il leur faudra d’abord se procurer cet avion). Et ils ne peuvent faire l’économie de se rendre dans cet endroit car c’est à partir de celui-ci qu’ils pourront reprendre leur quête.

Ce pourrait être aussi la nécessité de se procurer un certain montant d’argent. S’il manque 3000 € à votre personnage principal pour faire opérer son enfant avec une chance qu’il survive, il lui faudra trouver cette somme.
L’exigence (Story Requirement) est de rassembler l’argent. Le prérequis (Story Prerequisite) est de se le procurer. Cela fait autant de scènes qui viennent peupler votre intrigue.

Par exemple, le personnage principal devra tordre sa morale en acceptant qu’il lui faudra commettre une transgression pour se procurer l’argent (Story Requirement).
Pour se procurer l’argent, il lui faut mettre en place une escroquerie (Story Prerequisite) qui impliquera un passager.

Tant que l’objet à se procurer (Story Prerequisite) est essentiel au support de l’effort pour réaliser l’objectif, c’est un prérequis. Ce prérequis en soi ne fait pas avancer l’intrigue (il ne rapproche pas spécifiquement du Story Goal comme peut le faire une exigence).
Le Story Prerequisite définit le matériel narratif ou les fondations qui doivent être en place avant de procéder à la quête de l’objectif.

Story Preconditions

Pour expliquer ce que sont ces Story Preconditions, considérons les amendements à une proposition de loi. Cette proposition de loi représente l’objectif comme par exemple la sauvegarde d’une espèce en voie de disparition.
Le vote de la loi est l’exigence requise (Story Requirement) pour que l’espèce soit effectivement protégée de son prédateur, quel qu’il soit.

Les prérequis (Story Prerequisites) consistent à convaincre le nombre suffisant de députés à voter pour la loi. Nous avons ainsi un Story Goal (la sauvegarde d’une espèce en danger), une exigence ou Story Requirement (que le héros de cette histoire parvienne à faire passer la loi c’est-à-dire en fait un changement de mentalité et de pratiques) et pour ce faire, il doit obtenir un nombre suffisant de voix favorables (Story Prerequisite).

Maintenant quelles sont ces Story Preconditions ?
Pour obtenir une majorité à l’Assemblée, il va falloir faire passer un amendement qui permettra à l’industrie du tabac (par exemple) de bénéficier de certaines exonérations. Cet amendement n’a clairement rien à voir avec la loi en question et il pourrait même s’avérer philosophiquement ou moralement contraire à l’intention première de la loi mais pour que celle-ci puisse passer, une concession devra être faite.

Cette concession est précisément une condition préalable à l’exigence. C’est une Story Precondition.

Les conditions préalables à l’exigence dans une histoire sont des contraintes ou des prix à payer que les personnages doivent subir pour pouvoir être aidés par quelqu’un qui contrôle un Story Prerequisite essentiel.
Le fonctionnement est asses simple : une Story Requirement exige une Story Prerequisite qui exige à son tour une Story Precondition.

Ce qui distingue cette condition préalable (Story Precondition) du Story Prerequisite est qu’elle n’est pas essentielle. Ce pourrait être par exemple un bédouin qui peut fournir les chameaux (Story Prerequisite) dont l’expédition a besoin pour traverser le désert et atteindre un temple (Story Requirement).
La Story Precondition serait alors que ce bédouin insistera pour que l’expédition emmène avec elle sa fille particulièrement incontrôlable en échange des chameaux.

Dans Karaté Kid, le protagoniste est un jeune garçon qui veut devenir un champion de karaté. Pour accomplir ce rêve (Story Goal), il doit satisfaire à l’exigence (Story Requirement) de remporter quelques combats préliminaires.
Pour qu’il puisse remporter ces combats, il doit recevoir un entraînement additionnel de son maître (Story Prerequisite). Le maître qui contrôle ce Story Prerequisite ajoute cependant une condition préalable.

Il insiste pour que le jeune garçon apprenne de nouveaux mouvements en faisant certaines corvées dans la maison du maître (Story Preconditions). Ces conditions préalables ne sont pas posées là gratuitement par l’auteur pour qu’il fasse du remplissage de son intrigue.
Dans Karaté Kid, ces corvées n’ont apparemment rien à voir avec des leçons de karaté mais elles traduisent la volonté du maître que l’élève apprenne l’humilité en même temps qu’il acquière la maîtrise de cet art.

En résumé

Ces 8 appréciations de l’intrigue sont les points de touche entre l’intrigue et le thème. Sans elles, l’intrigue serait seulement une série d’événements sans réelle signification.
Avec elles, l’intrigue supporte l’argument thématique et à travers cet argument thématique atteint les appréciations thématiques (que l’on peut considérer comme la perception et la réception par le lecteur du contenu thématique de l’histoire).

Parmi ces appréciations thématiques, il y a celle du problème du personnage principal qui est au cœur de ce qui motive les personnages de l’histoire.
Ainsi, le thème apparaît être un pont liant les personnages à l’intrigue d’une manière telle que ce que font les personnages impactent sur le plan thématique la progression des événements et ces événements qui surviennent dans le cadre du thème impactent la façon de penser des personnages.

Concernant l’argument thématique, je vous renvoie au chapitre 15 de la théorie narrative Dramatica.

  1. DRAMATICA : LA THÉORIE EXPLIQUÉE (58)
  2. DRAMATICA : LA THÉORIE EXPLIQUÉE (59)
  3. DRAMATICA : LA THÉORIE EXPLIQUÉE (60)

Merci au-delà des mots à ceux qui me soutiennent déjà.
Merci à ceux qui voudront bien m’apporter leur aide.

 

 

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