Lors des précédents articles sur l’évaluation de notre scénario abordée sous l’angle du protagoniste, nous avons posé quelques questions qui demandent à être répondues par l’affirmative.
Dans le cas contraire, il faut remanier son scénario afin de se donner une réponse satisfaisante.
Après avoir traité de l’empathie, de la crédibilité, de l’arc dramatique et du défaut majeur de la personnalité du protagoniste, penchons-nous sur son objectif dans l’histoire.
A lire :
EVALUEZ VOTRE SCENARIO : LE PROTAGONISTE (1)
EVALUEZ VOTRE SCENARIO : LE PROTAGONISTE (2)
EVALUEZ VOTRE SCENARIO : LE PROTAGONISTE (3)
LE PROTAGONISTE
Est-ce que l’objectif de mon protagoniste est valide ?
Formuler un objectif pour le héros consiste à exprimer son désir dans l’histoire.
Ce désir est quelque chose d’objectif, d’extérieur au personnage. C’est sa mission dans l’histoire. Et elle est claire et distincte à la fois pour les autres personnages et pour le lecteur.
Ce que nous entendons par validité cependant, ce n’est pas comment cette mission apparaîtra dans l’histoire. Il s’agit de connaître l’essence de ce désir, sa véritable nature.
La question préalable à se poser sur le but du protagoniste ne concerne pas ses motivations. Mais à quel essence corresponds ce désir.
Deux types de conflit
On distingue deux types de conflits dans une histoire : extérieur et intérieur. Le conflit interne est l’expression de la lutte que doit se livrer le personnage principal contre son défaut majeur dans sa personnalité et qui l’empêche de se réaliser complètement, d’être en accord avec sa véritable nature.
Et il y a le conflit externe qui consiste pour le protagoniste à obtenir ce qu’il veut absolument dans l’histoire.
Le besoin et le désir sont deux concepts fortement conflictuels en eux-mêmes.
La dynamique conflictuelle de ces deux mouvements mène le protagoniste à devenir quelqu’un de meilleur à la fin de l’histoire. Son monde à la fin de son parcours sera différent de celui avec lequel il a commencé l’histoire.
On s’accorde à dire que l’intériorité d’un personnage est ce qui est vraiment passionnant à suivre.
Bien plus que l’action.
Or il faut aussi se poser la question du pourquoi d’un tel objectif. Lui donner en quelque sorte une légitimité dans cette histoire, justifier ce désir qui est sien.
L’objectif devrait donc avoir une cause, avoir lui-même un but.
Il semble évident que le but du héros doit être intimement lié à l’intrigue. Mais il se doit aussi de résonner avec la nature éminemment humaine du lecteur.
Différentes théories
Il existe différentes théories pour justifier nos désirs. Concernant la fiction, la théorie Dramatica est une possibilité (certes ardue à déchiffrer mais l’effort est gratifiant).
En 1943, Abraham Maslow publia A Theory of Human Motivation qui suggérait que tous les désirs humains se réduisaient à 5 catégories.
Selon Abraham Maslow, l’ordre de ces 5 besoins fondamentaux à la racine des objectifs qu’un être humain est censé entreprendre au cours de sa vie suit son évolution dans le même mouvement qu’il prend une conscience plus aiguë de lui-même et du monde (du moins de son environnement immédiat).
Un personnage de fiction devrait logiquement suivre un modèle sensiblement similaire.
Qu’est-ce qu’un héros ? C’est un personnage ordinaire qui devient par lui-même extraordinaire. Le véritable héros n’est pas celui qui a un pouvoir quelconque. Mais quelqu’un qui a la sagesse et la maturité pour user de ce pouvoir avec prudence (c’est-à-dire en discernant entre le bien et le mal et en optant pour les moyens les plus aptes à faire le bien).
Globalement, son objectif est de faire du monde un meilleur endroit. En dépit de ses faiblesses et de ses doutes et parfois même sans s’expliquer vraiment pourquoi il agit ainsi, le héros surmonte les obstacles et triomphe.
Cette sagesse et cette maturité dont a besoin le héros ne sont pas innées au personnage. Une progression de sa personnalité est nécessaire pour lui permettre de fixer cet objectif.
Le désir tombe dans l’une des 5 catégories
Du moins, nous pouvons le supposer pour nous faciliter la tâche. On présuppose donc que notre héros se positionne quelque part entre un instinct de survie primal et un individu maître de soi et de son destin.
La physiologie
Ce sont les besoins liés à la préservation de l’espèce. Ils sont à la base de la pyramide de Maslow ce qui signifie que le protagoniste ne peut pas donner trop de pensées, de temps, d’énergie, d’efforts aux autres catégories.
La physiologie accapare toute l’attention du personnage lorsque son objectif dans l’histoire se rapporte à elle.
Dans Autant en emporte le vent, à la fin de la guerre de sécession, Scarlett O’Hara fait le vœu de ne plus jamais avoir faim.
Cet objectif à ce moment de l’histoire orientera dorénavant la destinée du personnage et justifiera son attitude.
Prudence et Sécurité
Lorsque les besoins physiologiques sont satisfaits, notre préoccupation consiste à assurer notre bien-être et celui de ceux que nous aimons.
Ce n’est plus la préservation de l’espèce qui est importante puisque celle-ci semble assurée. C’est comme si nous resserrions notre position dans le monde à notre environnement immédiat. Maintenant que nous avons un abri au-dessus de notre tête, il nous faut le défendre contre l’extérieur.
On se sent en sécurité chez soi. C’est ainsi que dans Le Labyrinthe de Noah Oppenheim et James Dashner d’après son roman Le Labyrinthe, les blocards ont aménagé le bloc non seulement pour se protéger des griffeurs mais aussi pour maintenir leur vie au quotidien à un niveau acceptable.
Amour et Appartenance
Lorsque la sécurité matérielle n’est plus un problème (du moins un souci vital pour la personne) vient alors des désirs et des besoins émotionnels.
Considérez cependant qu’un besoin apparemment rempli n’est pas figé dans son nouvel état.
Par exemple, votre héros qui était à la rue a trouvé refuge chez une petite communauté. Maintenant qu’il a satisfait et assuré ses besoins physiques pour le futur proche, immédiat, il peut se lancer dans des amitiés ou des romances.
Or, le temps est proche quand le héros prend conscience que les convictions religieuses de la petite communauté qu’il pensait avoir intégrée deviennent trop lourdes, trop exigeantes et il s’en retourne à la rue.
Les amitiés et les romances ne peuvent le suivre dans cette nouvelle trajectoire.
Cette catégorie de désirs (qui fixe un objectif extérieur pour le héros ou l’héroïne) se fonde sur les relations.
La relation à autrui est une nécessité pour l’homme. C’est dans sa relation aux autres, dans le regard des autres qu’il se définit. En fiction, cela aboutit très souvent à des relations interpersonnelles basées sur le conflit, sur l’opposition.
En somme, une fiction serait presque un exercice de psychologie sociale. La théorie narrative Dramatica distingue plusieurs types de relations : structurelles, situationnelles et émotionnelles.
Elle met aussi en avant le rapport que ces relations entretiennent :
- conflictuel en créant chez deux personnages des traits de personnalité qui vont s’opposer à chacune de leur rencontre,
- un partenariat entre deux personnages, soit matériel, soit spirituel. Les deux personnages en relation œuvrent ensemble dans l’intrigue. Ils se soutiennent. Mais ils ne partagent pas les mêmes traits de personnalité.
Ce qui aurait pour conséquence de minorer leurs importances respectives dans l’histoire. - Un contraste entre deux personnages qui illustre une dépendance mutuelle. Ce contraste permet par ailleurs d’expliquer les personnages qui s’avèrent ainsi complémentaires dans l’histoire.
Ces relations interpersonnelles sont une tentative de la part des personnages pour trouver l’harmonie et l’accomplissement de soi à travers leurs relations. Elles aboutissent souvent à du conflit.
Cette catégorie de désirs (Amour & Appartenance) peut aussi montrer un protagoniste qui tente de donner un sens à sa vie, qui tente de comprendre pourquoi le monde l’a rejeté (alors que paradoxalement ce monde lui a été imposé) ou qui essaie de trouver sa place dans ce monde.
Estime & Considération
Cette catégorie de désirs qui ne peut prendre place qu’à la condition que les trois précédentes soient apparemment satisfaites surgit lorsque le protagoniste commence à s’interroger sur sa place dans le monde.
Ce qu’il est et ce qu’il fait sont-ils reconnus à la valeur que lui, il leur accorde ?
Est-ce que notre présence au monde est significative ?
Est-ce que dans notre recherche de reconnaissance, ne sommes-nous pas dans l’erreur ? Aveuglés par l’ambition ou que sais-je, parce que nous interprétons mal ce que nous devrions faire pour rendre ce monde meilleur ?
Un désir de reconnaissance n’est pas d’une évidence claire et distincte pour un lecteur. Si votre héros souhaite devenir président (et quel qu’en soit les raisons), il est difficile pour le lecteur de fonder ce désir sur de la considération.
Mais pourtant, c’est bien ce dont il s’agit.
Dans cette catégorie, on trouve des désirs
- d’indépendance. Ne pas dépendre d’autrui. On peut aussi explorer des notions de liberté. Sommes-nous vraiment libre de nos choix, par exemple ?
- de réparation. Ce n’est pas de vengeance mais plutôt d’une sorte de revanche sur la vie. Faire sa place dans le monde, réussir dans la vie alors que l’on est issu d’un milieu qualifié de défavorisé…
- de respect. Comme l’opprimé qui tente de faire respecter ses droits. C’est une reconnaissance de soi par le monde qui est recherchée.
- d’acceptation. Intégrer une communauté et y trouver la sérénité. Le désir d’appartenance à un groupe est toujours très puissant et peut s’avérer vital chez certains.
Entre autres spéculations…
La réalisation de soi
Tout en haut de la hiérarchie des besoins selon Maslow se trouve le désir de trouver et de s’accorder au sens profond de la vie. Le protagoniste ne veut pas seulement vivre sa vie de fiction. Il veut en tirer le suc, l’essentiel.
Il cherche à atteindre toute la portée de son potentiel, tout ce dont il est capable. Cette réalisation de soi est une ouverture vers la possibilité de la totalité de son être.
Au début de l’aventure, cet être qu’il deviendra à la fin de celle-ci n’existe pas encore.
Ce sont ses tribulations sous la forme d’une prise de conscience progressive dans la durée de l’histoire qui l’autoriseront (peut-être) à devenir un être meilleur, à atteindre la plénitude de son être.
Considérez qu’il manque quelque chose au début de l’histoire chez le protagoniste. Quelque chose qu’il doit trouver. C’est en cela qu’un désir peut correspondre à cette catégorie.
Chevauchement des catégories
Dans nombre d’histoires, un chevauchement des catégories est souvent un avantage parce que cela crée des buts et des motivations différents ce qui ajoute de la complexité au personnage.
Cela permet aussi d’avoir une résonance au spectre plus large auprès des lecteurs.
C’est intéressant de voir qu’un sociologue trouve sa place dans la création d’un personnage de fiction. Cela montre l’impressionnante capacité que doit avoir un auteur pour donner vie à des personnages imaginaires.
Pour l’auteur, je parlerai plus volontiers de curiosité. Peut-être est-ce par ce biais que l’on peut encore s’étonner devant la complexité de la psyché humaine ou plus généralement de la nature humaine. Merci d’être intervenu. Il est important de savoir que l’on est lu. Je ne sais pas si vous l’avez aperçu, dans le forum que nous venons de mettre en place, il existe un forum justement qui permet de débattre autour des sujets abordés dans les articles.
Merci encore de votre intérêt envers Scenar Mag.
A très bientôt