Stephen King voit l’horreur comme une mesure des choses qui troublent les pensées de toute une société. Pour Aristote, l’horreur dans les tragédies donne au public la possibilité d’être purgé de ses émotions (du moins les émotions négatives). L’horreur participe à la catharsis.
La peur de l’inconnu est l’essence de l’horreur mais nombre de fictions horrifiques soulèvent d’autres peurs plus viscérales et se complaisent aussi abondamment dans l’écœurement de leur public.
Quelques histoires qui ont marqué les esprits :
- la franchise Saw de James Wan depuis 2004 et jusqu’en 2010
- Massacre à la tronçonneuse (Texas Chainsaw Massacre) de Tobe Hooper en 1974
- Hostel d’Elie Roth en 2005
- The Human Centipede de Tom Six entre 2009 et 2014
- Martyrs de Pascal Laugier en 2008.
Ces histoires héritent probablement d’Oscar Méténier qui prend la direction du Grand-Guignol dès 1897 et sont chargés de violence, de souffrance physique et bien évidemment d’éléments grand-guignolesques.
Le succès du Grand-Guignol ne vient pas seulement de son architecture gothique qui mettait immédiatement les spectateurs dans l’ambiance désirée par l’étrangeté des lieux mais aussi parce que ceux-ci étaient désireux d’endurer la terreur qui exsudait des pièces jouées pour ressentir des émotions et des sentiments puissants (on retrouve ici la notion de catharsis chère à Aristote).
Cette catharsis était d’ailleurs vécue souvent au cours de l’expérience théatrale car les loges secrètes qui entouraient la scène servait aussi de défouloir à l’excitation souvent sexuelle que procuraient les effets joués sur scène. Le public du Grand-Guignol était par ailleurs reconnu comme étant très turbulent et perturbateur.
Pourtant, nul doute que l’attrait du dégoût était ce qui était recherché par le public. La première histoire gore qui fut portée au cinéma est Blood Feast sur un scénario de Allison Louise Downe et dirigé par Herschel Gordon Lewis en 1963. S’inspirant du Frankenstein de Mary Shelley et de James Whale (le Frankenstein de 1931), cette histoire contient des scènes de torture, de démembrement, de décapitation et même de cannibalisme. Elle fut la première à utiliser du matériel gore comme élément dramatique fondamental de l’histoire.
Les années 2000 après s’être débarrassées de la censure (la conjoncture culturelle s’y prêtait) virent des sorties telles que :
- Hostel (2005) de Eli Roth qualifé de torture porn
- House of 1000 Corpses de Rob Zombie en 2003
- Wolf Creek de Greg McLean (2005)
- Ichi the killer de Sakichi Satō d’après le manga Ichi the Killer d’Hideo Yamamoto dirigé par Takashi Miike en 2001
- Adapté du roman éponyme de Virginie Despentes, Baise moi dirigé par Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi en 2000 montrent des séquences de torture extrême, des corps sans tête, des déchaînements de violence à coups de massue…
A noter que les progrès des effets spéciaux, des images générées par ordinateur (CGI) et des prothèses ont permis à l’imagination des auteurs de dépasser les limites imposées par leur époque et d’ajouter à l’impact sur le public.
La psychanalyste Julia Kristeva rapproche l’abjection ou notre répulsion lorsque nous sommes confrontés à des fluides corporels tels que le sang, le sperme mais aussi l’urine ou les excréments et notre attirance pour ces éléments internes et externes. Ce serait donc notre fascination pour le corporel qui serait à l’origine de notre passion envers les histoires d’horreur et ce besoin de gore.
Des séries télévisées telles que Les Experts joueraient donc sur cette idée des espaces intérieurs du corps enfin dévoilés comme substratum à la fascination pour le gore et à ce désir de dégoût du public.
Cependant, le sensationnalisme n’est pas la solution. Inventez des choses qui soient purement du sexe ou de la violence gratuits ou bien encore un étalage de mauvais goût n’a jamais attiré le public.
Jusqu’où pouvez-vous aller ? La réponse est simple : si vous placez des éléments d’horreur qui n’ont rien à voir avec l’intrigue ou l’arc dramatique de l’histoire (en d’autres termes, si ces éléments horrifiques ou gores ne font pas avancer votre intrigue ou sont sans lien avec votre message), vous perdrez le contrôle de votre histoire et probablement votre public.
Considérez que le public spécifique de l’horreur s’attend à ce qu’il va lire ou voir contrairement aux autres genres. Vous ne devez donc pas combler son attente en lui proposant des scènes d’horreur ou de gore disséminées çà et là sans raison. Elles doivent s’inscrire dans la logique de l’histoire car c’est avant tout une histoire qui va être contée à vos lecteurs et c’est à cela qu’ils viennent assister et non à un déferlement d’images dont ils peuvent voir la version réelle dans l’actualité quotidienne du monde.
Stephen King et le baromètre social
Pour Stephen King, l’horreur est un baromètre social qui mesure les peurs et les angoisses d’une société selon les époques. En effet, les peurs ne sont pas les mêmes selon le contexte économique, social et culturel d’une époque.
Dans les années 1970, les mouvements féministes n’ont jamais été aussi puissants. La domination masculine s’en est trouvée fortement ébranlée. Une peur de la féminité s’est alors répandue et a mené à Carrie de Brian de Palma en 1976. L’horreur pour Carrie commence vraiment lorsqu’elle commence à franchir le pas vers sa féminité et ses pouvoirs (ou bien ce pouvoir féminin) augmentent jusqu’à des niveaux démoniaques. Cela peut être lu comme un problème sociétal concernant le pouvoir grandissant des femmes et particulièrement ces jeunes femmes qui apprennent à s’exprimer elles-mêmes et à assumer leurs pouvoirs intellectuels et d’expression.
The Mist de Stephen King adapté par Frank Darabont en 2007 prend un vieux thème des films de monstres datant de la guerre froide des années 50 pour asseoir son véritable propos : la peur du fondamentalisme. King a choisi le christianisme mais son thème est universel. Pour illustrer son propos, King s’est servi de la peur du communisme au cours de la guerre froide qui se concrétisait par une peur de l’étranger (ou de l’invasion) qui planait comme une entité invisible au-dessus du peuple américain. Planète Interdite adapté par Cyril Hume d’après une histoire de Irving Block et Allen Adler est une illustration typique de cette menace.
Mais dans les années 2000 (50 ans plus tard) la guerre froide ne fait plus recette. King ne se concentre donc pas sur les manigances de militaires et de scientifiques fous (même s’il se sert d’eux comme une explication de l’étrangeté des événements). Dans les années 2000, d’autres peurs ont vu le jour. C’est ainsi que King situera la majeure partie de l’action dans le supermarché. C’est dans ce lieu confiné (l’angoisse du confinement est sollicitée) qu’une fanatique religieuse œuvrera. Madame Carmody va nourrir les frayeurs des autres pour capter leur attention et se fabriquer ses propres ouailles.
King cherche d’abord à nous inspirer de la pitié envers cette femme, à orienter l’empathie vers elle mais lorsque les choses deviennent de plus en plus pires, elle attire à elle ceux qui autrefois la rejetaient et finalement nombreux seront ceux pris dans son hystérie.
Les monstres qui se cachent dans la brume ne sont en fin de compte que les reflets de sa monstrueuse idéologie qui suinte en images abjectes : tentacules, créatures antédiluviennes aux formes angoissantes, des choses volantes munies de dard qui éclatent pour en révéler des centaines d’autres. Le discours de Stephen King s’attaque à des peurs contemporaines : celles du fondamentalisme en religion comme en science.
Catharsis
Depuis Aristote, le terme de catharsis a été utilisé pour expliquer que devant le spectacle d’une tragédie, on se purge de ses émotions négatives (dans un environnement où l’on n’est pas soi-même en danger).
On ressent un soulagement, un allègement (ce qui évite l’implosion si ces émotions ne sont jamais purgées de l’âme). Des études ont montré que l’horreur agissait comme une valve de sécurité et non pas comme une incitation à l’agressivité.
En réponse à l’intrigue et à la résolution de celle-ci, on éprouve une intensification d’effets positifs lorsque le mal est vaincu par le héros ou l’héroïne. Il faut simplement que cette résolution soit satisfaisante pour le lecteur, il n’a nul besoin d’une fin heureuse. Si le héros meurt à la fin par exemple, le processus fonctionnera à l’identique si dans le même mouvement, il a vaincu le mal. Gardez à l’esprit que contrairement à d’autres genres, le lecteur sait à quoi il doit s’attendre dans une fiction d’horreur. Il a besoin de cette catharsis et c’est ainsi que parmi tous les genres qui existent, l’horreur est celui qui obéit le plus aux règles et codes du genre.
L’orphelinat de Sergio G. Sánchez dirigé par Juan Antonio Bayona en 2007 nous emmène progressivement vers la catharsis. Il y a d’abord ce malaise lorsque Laura arrive à l’orphelinat. La demeure est menaçante (héritage du roman gothique ?) et on se demande si Laura a vu quelque chose. Le doute s’installe dans l’esprit du lecteur (dispositif dramatique particulièrement bien adapté au fantastique).
Un sentiment d’effroi grandissant se déploie dans le cours de l’histoire avec les apparitions, les portes qui claquent et les bruits des enfants qui jouent dans la demeure vide.
Puis il y a la disparition de Simon et la peur de la perte d’un enfant qui est aussitôt sollilcitée chez le lecteur. Le thème de la mort vient frapper avec l’un de ses éléments les plus terrifiants : la mort d’un enfant. Ici, cette peur est encore plus nette car Laura n’a simplement pas voulu céder à un caprice de Simon avant sa disparition et ressent un puissant sentiment de culpabilité (un élément psychologique qui ajoute beaucoup de profondeur à un personnage).
Au sujet du sentiment de culpabilité :
WILLIAM INDICK : DU CONFLIT – PART 1
WILLIAM INDICK : DU CONFLIT – PART 2
WILLIAM INDICK : DU CONFLIT – PART 3
A la fin de l’histoire, Laura se suicide et est de nouveau réunie avec Simon. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un Happy End, c’est malgré tout une résolution satisfaisante qui n’est pas ressentie comme une frustration par le lecteur et la catharsis peut alors avoir lieu.
La maison des ombres (The Awakening) en 2011 de Stephen Volk et Nick Murphy possède une fin plus ambigüe. Maud (qui est la mère du petit Tom) et qui fut la nourrice de Florence (qui suite à un traumatisme a tout oublié de cette période de son enfance) s’est empoisonnée elle-même ainsi que Florence afin qu’elles puissent rejoindre Tom dans l’au-delà.
Florence, cependant, confie à Tom qu’elle ne veut pas mourir mais qu’elle sera toujours avec lui (Tom est en fait son demi-frère). Tom procure à Florence le nécessaire pour qu’elle se purge elle-même du poison.
La scène finale nous montre Florence quittant l’internat sans que personne ne s’en aperçoive vraiment ou bien peut-être est-ce seulement ce que Florence a besoin de voir. Nous sommes en 1921 dans cette histoire et son départ dans cette sorte d’indifférence est peut-être dû au statut des femmes de cette époque.
Ou bien peut-être le fait qu’elle soit sauvé par Tom n’était qu’un fantasme et qu’elle soit effectivement devenue elle aussi un fantôme (comme le suggère son manteau blanc). C’est au lecteur de décider mais une catharsis émotionnelle a bien eu lieu lorsque l’arc dramatique de Florence est complété par sa prise de conscience pleine et entière qui fait d’elle un être meilleur qu’elle ne l’était au début de son histoire alors qu’elle était torturée sans en avoir conscience par ce traumatisme dans son enfance.
Avant qu’elle ne réalise qui elle était vraiment, elle était dans un déni permanent de vérité. Le déni de vérité et le fantasme sont souvent liés. Ce concept se retrouve chez des personnages comme Eleanor Lance (La maison du diable de Robert Wise en 1963) ou Malcolm Crowe de Sixième Sens de Night Shyamalan en 1999.
Ne pas apporter toutes les explications est une règle du genre fantastisque dont l’horreur est certainement une variante qui s’en approche le plus alors que le merveilleux (et la fantasy) et la science-fiction vivent dans des mondes autonomes dont la réalité est souvent une allégorie de notre réalité.
Le fantastique et l’horreur s’ancrent dans notre réalité avant de la fissurer pour y laisser entrer l’inconnu. Le héros cherchera toujours à comprendre ce qu’il lui arrive, à nommer ces formes inconnues qui le terrifient, à flirter parfois avec l’hypothétique science-fiction pour justifier les phénomènes énigmatiques qu’il rencontre mais jamais l’explication ne pourra être totale parce que ces événements étranges sont hors de la portée de notre jugement.
Vous pouvez donc terminer votre histoire sur une fin ouverte afin que votre lecteur et votre lectrice puissent y apporter leur propre jugement mais le jugement n’est pas une catharsis. Vous devrez peut-être même avec plus d’attention viser à ce que votre fiction parvienne à cette catharsis.
La psychologie
Pour Carl Gustav Jung, l’horreur est devenue populaire par ses liens et ses rapports avec d’importants archétypes et tout particulièrement celui de l’ombre.
Pour info :
HORREUR ET IDEE D’HISTOIRE
Mum & Dad de Steven Sheil sorti en 2008 relate l’histoire d’une famille vivant près des pistes de l’aéroport d’Heathrow à Londres. Leurs enfants adoptés (plutôt enlevés) travaillent dans des emplois subalternes pour l’aéroport.
Lorsque la fille Birdie se lie d’amitié avec Pola (une technicienne de surface de l’aéroport), Pola est attirée dans le monde de torture de cette famille où l’horreur sous des atours meurtriers et pervers s’installe aussitôt. Sa seule option si elle ne veut pas mourir est de se joindre à cette folie.
L’image traditionnelle des parents aimants a été ainsi subvertie par Steven Sheil en archétypes d’ombres les plus sombres qui soient.
Tout comme dans Massacre à la tronçonneuse dont Mum & Dad se veut une adaptation (dans ce cas, on dit aussi hommage), le scénario joue sur le langage accepté des relations familiales mais en en inversant les valeurs pour en faire une parodie cauchemardesque.
Robert McKee donne une explication intéressante et pratique de l’inversion de valeurs pour contruire scènes et séquences.
A ce sujet :
ROBERT McKEE : STORY VALUES
Présenter un monde aux valeurs inversées pour faire ressortir l’ombre présente en chacun de nous peut être atteint par l’usage de miroirs, de dédoublements comme l’a fait Kubrick avec The Shining (1980) adapté de Stephen King.
Ancré dans la réalité, le fantastique a besoin que le doute s’installe dans l’esprit du lecteur. C’est son incertitude qui permet à un lecteur de différentier les événements étranges et les phénomènes énigmatiques (souvent qualifiés de paranormaux). Pour cela, il lui faut suspendre le temps de l’histoire son incrédulité. Le lecteur est certes aidé par des astuces dramatiques telles que la nuit et la brume où la perception peut être altérée et où l’inconnu peut surgir à tout moment mais le lecteur doit cependant être prêt à en accepter l’éventualité, à envisager que des choses comme les maisons hantées, les zombies ou bien un enfant possédé par un démon pourraient être possibles.
Il faut aussi que l’auteur et l’autrice aident le lecteur/spectateur à adhérer à leur monde en créant une réalité cohérente et logique où le lecteur s’immergera en acceptant de jouer le jeu. Il faut que l’horreur ait du sens et ne soit pas seulement un étalage de sensationalisme gore (des effets sanguinolents outranciers et gratuits).
Pour vous donner gratuitement le plus d’informations pertinentes afin de vous aider dans tous vos projets d’écriture, Scenar Mag investit régulièrement. Cependant, il est parfois difficile de boucler notre budget d’autant plus que nous ne faisons aucune publicité pour ne pas perturber votre lecture. S’il vous plaît, faites un don. Merci