Nul doute qu’une véritable chasse aux sorcières contre le cliché existe chez les auteurs mais aussi chez les lecteurs. Même les personnages mineurs n’y échappent pas.
Du côté de l’auteur, on frôle le plagiarisme et pour le lecteur, il s’agit presque d’une rupture de contrat. En effet, pourquoi continuer à lire si vous avez entendu parler de l’histoire avant ? C’est l’effet que fait un cliché, un sentiment de déjà-vu !!
Alors que le lecteur a besoin de l’illusion de la fiction, le cliché révèle la main de l’auteur ou de l’autrice. Et on n’y croit plus et on n’y est frustré : la pire des réactions d’un lecteur face au travail d’un auteur.
La difficulté réside dans le fait que, depuis la nuit des temps, de l’oralité à l’écriture, des mythes, légendes, contes de fée, nouvelles, romans, scénarios pour le cinéma et la télévision, il y a tellement eu de personnages créés.
De ce fait, éviter le cliché est presque impossible. Bien sûr, une idée de personnage même si elle relève de notre conscience collective peut toujours faire l’objet d’une narration intéressante et captivante.
Un lecteur entre dans une histoire avec un certain nombre d’attentes.
Si, en tant qu’auteur, vous répondez à trop de ces attentes, la magie ne s’opérera pas entre votre lecteur et vous.
D’où viennent ces attentes ? des innombrables histoires écrites avant la vôtre et de personnages qui partagent un fond commun.
Quel que soit le point de départ de votre histoire, quelle qu’en soit son idée, il y aura toujours quelque part une idée qui revendiquera la paternité de votre idée.
Comment un auteur peut-il alors susciter et surtout conserver l’attention de son lecteur et de sa lectrice ? Sachant que ceux-ci élaborent rapidement un certain nombre d’expectations ou de préjugés sur son histoire, il appartient à l’auteur d’ébranler les certitudes que le lecteur/spectateur acquiert dès les premières pages ou les premières scènes.
Pour cela, l’auteur peut utiliser à son avantage cette propension du lecteur à juger personnages et histoires en le détournant des préconceptions qu’un nombre incommensurable de personnages et d’histoires a implanté dans l’inconscient collectif ou dans l’expérience individuelle des lecteurs.
Il faut que l’auteur prenne à contre-pied les attentes du lecteur/spectateur en l’incitant à rejeter ses préjugés déplaçant ainsi son histoire sur un terrain nouveau en déstabilisant le lecteur. Considérez par exemple les variations qui ont été faites sur le personnage de Blanche-Neige pour avoir une petite idée de ce que nous cherchons à dire.
La première démarche consiste à éviter une caractérisation trop facile.
Nos personnages de fiction sont tout comme nous des personnages complexes avec des traits de caractère qui les rendent sympathiques mais aussi détestables (même s’il s’agit de votre héros). Les éléments qui composent leur psyché devraient être variés, inattendus, souvent contradictoires.
Vous devriez pouvoir créer une idiosyncrasie pour chacun de vos personnages qui va venir confronter l’opinion toute faite du lecteur envers celui-ci. Il ne faut pas que les attentes des lecteurs soient confirmées par les actions et comportements de votre personnage mais vous devez forcer le lecteur à voir votre personnage comme quelqu’un de spécifique (comme un individu à part entière) plutôt qu’un personnage banal de roman de gare.
Pour aborder le côté pratique de cette création de personnage, vous pourriez partir d’un type connu (nous ne parlons pas ici de stéréotypes, ni d’archétypes) par exemple un trader aux dents longues : autour de cette simple image sont accrochés des caractéristiques présumées. Vous ne pourrez pas vous en débarrasser, le cliché prend le dessus.
Par contre, vous ne devez pas vous contenter de ce que vous offre le cliché. Vous devez comparer les traits issus du cliché avec des comportements et des attitudes hautement individuels et par là surprenants. Par exemple, vous pourriez montrer au cours de l’histoire que ce trader froid, égoïste et cupide tel qu’il apparaît d’emblée est en fait un humaniste profond et actif.
Cette astuce dramatique fonctionne parce que nous frustrons le penchant naturel du lecteur à juger.
La seconde étape est de s’assurer que votre histoire maintienne sa capacité à surprendre.
Somme toute, c’est assez logique. Si votre lecteur croit reconnaître dans votre histoire des éléments, vous devez contrer cette tendance en le surprenant par ailleurs. Une histoire consiste simultanément à fournir ce que l’on n’attend pas d’elle tout en construisant une conclusion qui s’avère, avec le recul, logique et inévitable.
Il en est de même avec les personnages : ils doivent se comporter d’une façon inattendue (dans le sens où le lecteur ne s’attendait pas à une telle réaction) mais font les choses conformément à leur vraie nature.
Il est utile du point de vue dramatique de laisser penser que les choses peuvent tourner dans un sens ou l’autre, que rien ne coule de source pour votre personnage. Prenons l’exemple d’un homme doux et solitaire. Il vit seul, a de bonnes relations dans son travail et avec ses voisins, mais il garde sous des couvertures une arme chargée. Il ne s’en est jamais servie mais du point de vue de la tension que cette arme cachée engendre dans l’esprit du lecteur, nul doute que vous parvenez à distinguer votre personnage en créant un malaise chez votre lecteur.
Merci de soutenir Scenar Mag dans son effort de partage.