Le renversement qu’il se produise chez les personnages ou dans la situation est un rebondissement sur lequel vous ne devriez jamais faire l’impasse.
Il peut intervenir à tous les niveaux du scénario : la scène, la séquence, l’acte. C’est un moyen de lutte efficace contre le cliché en aménageant un effet de surprise destiné à prendre à contre-pied l’attente du lecteur.
Un personnage entre dans une scène avec une intention précise. Seulement, un autre personnage ou les circonstances de la situation vont faire que le premier personnage va être surpris par ce qu’il se passe dans cette scène.
Celle-ci ne lui apporte pas du tout ce qu’il en attendait. En conséquence, le personnage principal, influencé par ce qui se déroule dans ladite scène, va changer ses intentions. Généralement il fait l’exact opposé de ce qu’il avait initialement prévu.
Il y a effectivement un changement de valeurs.
Lire à ce sujet les articles de Robert McKee sur les Story Events et les Story Values :
- ROBERT McKEE : LES STORY EVENTS
- ROBERT McKEE : STORY EVENTS, STORY VALUES ET STRUCTURE
- ROBERT McKEE : STORY VALUES
- COMPLETE STORY
Sur le plan pratique, les scènes où interviennent ainsi des renversements d’objectifs, de buts (chaque scène possède son propre objectif, différent de celui de l’histoire mais généralement en rapport soit avec l’intrigue principale soit avec l’intrigue secondaire) se déroulent en temps réel (pas de contraction ou d’élongation du temps).
La durée de la scène correspond effectivement (généralement entre trois et quatre minutes) à la réalité du temps. Ce temps réel permet au lecteur de vivre le renversement qui se produit chez le personnage dans le même temps que celui-ci.
L’idée est de partager le changement ou la prise de conscience du personnage avec le lecteur dans le même mouvement que lui.
Les renversements de situation (les circonstances ou l’état psychologique d’un personnage) ne concernent pas seulement l’évolution du personnage au cours de l’histoire (son arc dramatique), ils permettent aussi de renforcer l’intrigue avec des rebondissements destinés à maintenir l’attention du lecteur.
Ces rebondissements peuvent servir à révéler d’importantes informations (un lourd secret, par exemple) et c’est la raison pour laquelle ils interviennent assez souvent dans le troisième acte où ils aident alors au dénouement de l’histoire.
Ce qu’il y a de bien avec ces moments où vous jouez avec votre lecteur, c’est que ce rebondissement, ce retournement complet de la situation est un moment dont il se souviendra.
Un lecteur ne peut se souvenir de toute l’histoire que vous lui avez racontée. Réservez-lui alors quelques moments, quelques scènes ou séquences ou actes, où ses attentes seront non pas comblées mais interpellées et satisfaites par d’autres moyens que ceux qu’il attendait. Ne soyez donc pas prédictible avec vos personnages ou vos scènes.
Dans Ghostbusters de Dan Aykroyd et Harold Ramis, Peter Venkman est dépeint comme un coureur de jupons.
C’est donc tout naturel qu’il soit assez excité à l’idée de son rendez-vous avec Dana.
Lorsqu’il arrive à l’appartement de celle-ci, espérant bien conclure, il est accueilli par une Dana qui agit pour le moins étrangement : son personnage n’ayant fini par accepter le rendez-vous que devant l’insistance de Venkman.
Nous avons ici une première surprise avec le personnage de Dana qui a un comportement complètement inversé avec celui que nous lui connaissions jusqu’à présent.
Dans le même temps, on s’attend (conformément à son personnage) que Venkman considère l’attitude de Dana comme une preuve naturelle qu’elle a cédé à son charme jusqu’à ce qu’il réalise qu’en fait, Dana est possédée par Zuul.
Et là, nous avons une seconde surprise (qui rend le personnage de Peter Venkman encore plus attachant), il fait tout pour éviter les avances de Dana.
Une attitude qui ne lui correspond pas : Venkman réfutant une femme aussi sensuelle que Dana n’est effectivement pas du tout dans le caractère de Peter. Un renversement d’un trait de la personnalité de Venkman qui donne du souffle, de l’énergie à l’intrigue.
Dans Des hommes d’honneur de Aaron Sorkin, d’après sa pièce A Few Good Men, c’est au cours du second acte que les retournements sont les plus remarquables.
Kaffee rend visite à ses clients Dawson et Downey leur annonçant triomphalement qu’il a négocié pour eux 6 mois d’emprisonnement alors que l’accusation porte tout de même sur un meurtre.
C’est une première surprise, certes, mais qui sert l’intrigue puisque Kaffee ne réalise pas encore que le département de la Navy l’a choisi pour son inexpérience et sa réputation d’affairistes pour étouffer l’affaire.
Mais Dawson rejette le marché pour une question d’honneur (ce qui frappe de plein fouet la personnalité ou l’égo de Kaffee tel qu’on nous les a présentés jusqu’à présent).
Et lorsque Kaffee quitte les deux hommes, ce n’est plus avec ce sentiment de victoire facile avec lequel il a débuté la scène mais avec une amertume qui l’a presque décidé à abandonner.
Il y a donc ici un changement complètement inversé de l’état d’esprit de Kaffee, un changement utile pour expliquer son revirement plus tard auprès de Joanne Galloway et son investissement personnel dans le procès.
L’arc dramatique de Kaffee est ainsi amorcé mais sans le renversement de la situation au cours de la visite des deux condamnés, cet arc dramatique (et l’intrigue, d’ailleurs) n’aurait jamais pu être initiés.
Ceci est un exemple de l’importance du retournement de situation dans le développement d’une intrigue. Notez aussi qu’un tel retournement n’est pas non plus un incident déclencheur. Dans Des hommes d’honneur, il sert davantage à lancer l’intrigue au moment majeur du passage à l’acte Deux.
Dans Le Silence des agneaux de Ted Tally, d’après le roman de Thomas Harris, la jeune Clarice Starling, jeune et brillante stagiaire au département des sciences du comportement du FBI est chargée d’interroger Hannibal Lecter.
Bien qu’elle soit prévenue de ne pas laisser Lecter la manipuler, Clarice est motivée seulement par obtenir de Lecter qu’il l’aide à faire le profil d’un tueur en série.
Clarice pense à tort qu’elle a l’entraînement suffisant et les outils nécessaires pour garder le contrôle et si elle réussit ce tour de force qu’elle pense à sa portée, elle espère bien être recrutée par le FBI. Les intentions de Clarice sont donc motivées par l’ambition.
Mais il est clair que c’est Hannibal qui mène la danse. Hannibal renverse la situation à son complet avantage. C’est lui qui fait le profil exact de Clarice, une exactitude qui fait froid dans le dos et laisse Clarice complètement pantoise, émotionnellement et psychologiquement.
Les valeurs et les croyances de Clarice sont remises en cause de manière brutale à la manière d’un interrupteur qui fait passer sans transition d’un état à un autre.
Notez que le personnage de Lecter ne change pas. Cette scène sert à déstabiliser Clarice et à installer le rapport initial entre ces deux personnages. Lecter va encore plus loin dans la manipulation de Clarice en lui offrant un indice en forme d’énigme.
Dans Impitoyable de David Webb Peoples, lorsque William Munny retrouve son ancien partenaire Ned Logan pour lui demander de veiller sur ses enfants pendant son absence, Ned tente désespérément de convaincre Munny de renoncer à la prime pour abattre deux cow-boys qui ont défiguré une prostituée.
Ici, nous avons l’exemple d’un revirement personnel. Ned change d’opinion et décide de rejoindre Munny dans cette aventure. Vous remarquerez que dans les exemples que nous avons donnés jusqu’à présent, un seul des deux personnages impliqués dans la scène change d’opinion ou de valeurs ou de croyances. Le mouvement n’est jamais réciproque.
Dans Butch Cassidy et le Kid de William Goldman et George Roy Hill, nous assistons à une série de renversements de situation.
Après avoir repéré une banque en ville, Butch et le Kid retournent dans leur planque pour se rendre compte que Cassidy a été détrôné de son poste de leader par Harvey Logan : premier retournement de situation d’importance pour Butch Cassidy qui perd son autorité sur les autres membres du gang.
Sidéré parce qu’il ne s’attendait pas à un tel geste, Butch Cassidy est bien obligé de se rendre à l’évidence surtout après que l’un de ces hommes lui ait dit qu’il leur a toujours mentionné que n’importe lequel d’entre eux pouvait le défier.
Donc d’abord réticent, Cassidy est obligé de se battre : second renversement de situation. Butch Cassidy ne voulait pas se battre : “I don’t want to shoot with you, Harvey” mais Logan sort un couteau méprenant les propos de Cassidy.
Donc Butch Cassidy se bat contre Logan et remporte le combat regagnant dans le même mouvement son autorité sur le gang et c’est le troisième retournement de situation.
Notez la dynamique qui est créée par ce mouvement entre ce que Robert McKee appelle la charge ou la polarité d’une valeur : par exemple, Cassidy a une autorité sur le gang (polarité positive) qu’il perd à son retour (polarité négative) puis qu’il récupère en prouvant au groupe qu’il est le plus fort (polarité de nouveau positive) et qu’il mérite sa position de chef de meute.
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