Dans l’article précédent, nous avons commencé à voir comment John Truby pense la création de personnage. Continuons cette exploration en y apportant comme à l’habitude nos propres considérations.
Un personnage ne se conçoit pas seul mais à travers un réseau de relations (très similaire à un schéma actanciel qui décrit les personnages et leurs relations). Ces relations peuvent être établies selon certaines techniques narratives. Continuons la fonction des personnages que nous avons débutée lors de l’article précédent.
Pour John Truby, ce qui intéresse un lecteur, c’est de voir l’évolution qui se produit chez un personnage (généralement le héros). Cette évolution, cette transformation progressive de la personnalité d’un protagoniste est en substance ce qui est contenu dans la prémisse de votre histoire (voir à ce sujet : LA PREMISSE DE VOTRE HISTOIRE SELON LAJOS EGRI).
Pour que cette transfiguration ait l’impact recherché chez le lecteur, il est nécessaire que tous les personnages de votre histoire y participent. Cette participation peut se faire par le biais des fonctions des personnages dans le récit.
LA FONCTION DU HEROS
Le héros est le personnage principal de votre histoire, d’où son importance. Le héros est le personnage qui prend en charge le problème central de l’histoire. Il est celui qui fait principalement avancer l’intrigue dans le but de résoudre le problème.
Le héros a un désir de poursuivre ce but (bien qu’il fasse pratiquement toujours preuve d’une certaine réticence avant de se décider). Mais comme tout être humain, il a des qualités mais surtout des faiblesses qui l’empêchent de réussir son objectif.
Tous les autres personnages qui gravitent autour du héros représentent soit une opposition, soit une alliance (parfois une combinaison des deux).
Vous remarquerez que toutes les péripéties d’une intrigue tournent autour du flux et reflux d’oppositions et d’alliances entre les différents personnages et le héros.
LA FONCTION DU MÉCHANT
La principale opposition pour le héros est le personnage qui a le plus d’intérêt à le voir échouer. Effectivement, cet adversaire désire la même chose que le héros et il ne veut pas partager. Donc le meilleur moyen pour lui d’obtenir cette chose est d’empêcher le héros de l’obtenir avant lui. Il y a aura donc une confrontation directe entre le héros et cet antagoniste qui partage le même but.
Cette situation conflictuelle entre un protagoniste et un antagoniste peut prendre n’importe quelle forme. Prenons un couple. Considérons que LUI est le héros. Il se sent opprimé par ELLE et cherche des moyens d’évasion pour se libérer un peu du carcan étouffant de ELLE.
ELLE ne supporte pas qu’il sorte sans elle, qu’il passe des heures avec ses copains sans même parfois qu’elle sache où il est. Dès que ELLE et LUI se retrouvent, ce n’est pratiquement plus que pour s’envoyer des vérités, des non-dits ou tout autre chose à la face.
Quel est alors le but commun de ces deux personnages ?
La préservation de leur couple.
Sauf que LUI ne conçoit pas le couple sans une certaine forme de liberté, un ciment selon lui nécessaire au couple ; Et que ELLE considère le couple de manière exclusive. Tout tourne autour du couple, le monde extérieur n’a pas à interférer sur la vie de couple.
ELLE et LUI désirent donc la même chose : préserver leur couple mais leur point de vue sont différents et ils sont donc en conflit.
Il est nécessaire que vous alliez chercher le conflit le plus intense qui soit entre le héros et le méchant de votre histoire. Car leur relation est uniquement basée sur le conflit.
John Truby indique que cette relation est la plus importante. Sans méconnaître son importance en tant qu’étai de votre récit, nous pensons qu’il y a d’autres relations qui sont tout aussi cruciales pour une histoire. Par exemple, la relation entre un mentor et le héros peut s’avérer primordiale pour le devenir de ce dernier même si la relation entre le mentor et le protagoniste n’occupe qu’un certain temps dans la totalité de l’histoire. Mais sans cette relation, l’intrigue s’effondrerait.
D’où l’importance égale que nous souhaitons accorder à d’autres relations qu’à celle du protagoniste et de l’antagoniste. Cependant, alors que la relation entre le héros et le méchant est un mur porteur de l’histoire, celle entre le mentor et le héros n’est pas obligatoire.
Plus sur ce point avec la théorie narrative DRAMATICA.
LE THEME
Par ailleurs, les conflits entre le héros et le méchant sont porteurs du thème et de la problématique globale de votre récit. Le thème est la part la plus importante de votre récit et est à l’origine de tout ce qui s’y passe.
Le thème est la raison d’être de votre histoire. Il est important pour votre lecteur mais aussi pour vous. Sans thème, une histoire semble fade. Elle n’a pas de sens véritable.
Un thème intéressant fera que votre histoire restera dans les esprits. Elle sera beaucoup plus qu’un simple produit commercial à usage unique. Le thème apporte un cœur et une âme à l’histoire qui lui permettent de résonner profondément en nous.
Si une histoire nous atteint émotionnellement, c’est en grande partie grâce au thème d’où l’importance de celui-ci, peut-être une importance plus grande que l’histoire elle-même.
Le thème est universel, le plus grand nombre est capable de le percevoir. Le message (c’est-à-dire votre réponse personnelle au thème) renforcera encore l’impact émotionnel de votre histoire.
C’est par le thème et votre message que vous véhiculerez ces éléments qui nous désignent en tant qu’êtres humains. Votre histoire a besoin de ces éléments pour exister.
Alors comment distinguer le thème de votre histoire ? Demandez-vous quelle est la décision la plus importante sur le plan émotionnel que doit prendre votre héros. La réponse à cette question est votre thème.
Ce thème ne vous sautera pas aux yeux immédiatement. Il apparaîtra probablement clairement au cours des réécritures successives. C’est à cela aussi que servent les différentes versions d’un scénario : à réécrire vos scènes en fonction des découvertes que vous ferez sur votre histoire. Souvenez-vous que la première version est généralement de l’improvisation. A partir de celle-ci, vous resserrerez les choses plus précisément.
Un petit détail aussi que précise John Truby. Votre héros n’est pas dans l’obligation de haïr son antagoniste : il n’y a aucune raison particulière à cela.
LA FONCTION DE L’ ALLIÉ
L’allié a un rôle important dans une histoire car non seulement c’est une aide précieuse et loyale pour le personnage principal mais il agit aussi comme caisse de résonance pour les valeurs et les sentiments du héros.
En règle générale, l’allié a le même objectif que le héros mais il lui arrive d’avoir son propre but dans une histoire.
John Truby donne l’exemple de Horatio dans Hamlet de Shakespeare. Élargissons cet exemple :
Horatio est le fidèle ami et confident de Hamlet. Lorsque nous le rencontrons la première fois, c’est au moment où il aperçoit le spectre du père d’Hamlet.
Horatio est intelligent et fait preuve de discernement mais l’apparition du spectre le rend mal à l’aise. Mais il n’est pas effrayé par le fantôme sauf de ce qu’il présage pour le Danemark.
Horatio est quelqu’un de calme, de résolu et surtout de rationnel et il exige du fantôme qu’il lui explique les raisons de son apparition, s’il s’agit de confesser un méfait ou de prédire le destin du Danemark.
Horatio parle franchement aussi à Hamlet, n’hésitant pas à lui dire ce qu’il pense. Lorsque Hamlet rencontre le fantôme pour la première fois, Horatio lui dit clairement que de choisir de suivre le fantôme en espérant apprendre les raisons de son apparition est peu judicieux.
Les arguments de Horatio sont honnêtes et francs et il semble sincèrement inquiet que Hamlet pourrait perdre la raison et sombrer dans la folie, une folie qui le pousserait à avoir des idées suicidaires.
Lorsque Hamlet est finalement convaincu par le fantôme et qu’il jure de venger la mort de son père empoisonné, Horatio jure lui-même de garder le secret. La loyauté de Horatio envers Hamlet est ainsi démontrée : en gardant le secret d’Hamlet, Horatio lui montre qu’il est un ami loyal.
Horatio aime Hamlet de tout son cœur mais il est gouverné par une disposition d’âme plus sensible qui le pousse à dire la vérité sans ambages à Hamlet même si ce dernier ne tient pas compte de ses avertissements.
Lorsque que Hamlet est tué par Laërte, Horatio, fou de douleur, veut mettre fin à ses jours. Mais Hamlet, mourant, le conjure de n’en rien faire mais plutôt de raconter son histoire. Horatio devient ainsi le narrateur.
LA FONCTION DU FAUX ALLIE
Le faux allié est un personnage qui semble être l’ami du héros mais qui s’avère en fait un adversaire. La fonction de ce personnage est d’ajouter encore plus d’intensité au conflit, de durcir l’opposition envers le héros et de permettre quelques rebondissements dans l’intrigue.
Le faux allié est un personnage qui devrait être assez travaillé parce que sa position morale est déterminée par un dilemme. D’un côté, il est l’ami du héros (et il est sincère et dévoué) mais de l’autre, son point de vue sur le problème central de l’histoire est radicalement différent de celui du héros et contrairement à l’allié, il ne peut se résoudre à laisser le héros réaliser son objectif parce que cela heurte ses propres convictions.
Le faux allié va donc s’élever contre le héros, œuvrer en secret contre lui. Cependant, ses tentatives pour nuire au héros seront vaines (car ce n’est pas sa fonction) et il finira par aider le héros à atteindre son but (parfois malgré lui, parfois non… c’est vous qui décidez).
Un exemple de faux allié est le Grand Duc dans Cendrillon.
LE PERSONNAGE D’INTRIGUE SECONDAIRE
Ce personnage intervient seulement dans l’intrigue secondaire ou des B-Stories le cas échéant.
Nous vous conseillons ces quelques articles sur les intrigues secondaires :
Pour John Truby, ce personnage est certainement le plus incompris parmi les auteurs. Reconsidérons Hamlet.
Hamlet et Laërte ont probablement grandi ensemble, s’entraînant ensemble à l’escrime et se confiant l’un à l’autre. Puis Hamlet est parti pour Wittenberg et Laërte pour Paris. La séparation des deux amis a estompé leur amitié dans l’éloignement, mais Hamlet a toujours considéré Laërte comme une jeunesse très noble.
Shakespeare a clairement montré tout au long de l’histoire que Laërte était le reflet inversé de Hamlet. Il est à l’image de Hamlet mais se comporte d’une manière tout à fait opposée. Hamlet préfère la parole, Laërte privilégie le physique ; Hamlet se fond dans l’amertume, Laërte fanfaronne.
L’amour de Laërte pour Ophélie et son devoir envers Polonius poussent Laërte à une action passionnée tandis que l’amour de Hamlet pour Gertrude et son devoir envers le Roi, son père mènent Hamlet à une inaction passionnée. En fait, l’image de Laërte renvoie à ce qu’aurait pu être Hamlet si celui-ci ne s’était pas laissé bercer par le son de sa propre voix.
Ainsi, la fonction du personnage d’une intrigue secondaire est très précise. Elle se définit par comparaison avec le protagoniste.
L’intrigue secondaire est utilisée pour apporter un contraste entre le héros et le personnage principal de l’intrigue secondaire dans leur façon de gérer un même problème. Ce faisant, le personnage central de l’intrigue secondaire met en valeur les traits de caractère, les valeurs et les dilemmes du héros qui déterminent ses réactions émotionnelles face aux obstacles.
Pour être efficace dans l’histoire, ce personnage de l’intrigue secondaire ne devrait pas être un allié du héros (ce que Shakespeare à démontrer en éloignant Laërte et Hamlet).
Ils suivent des chemins parallèles pour aborder un problème similaire avec des résultats différents.
Hamlet et Laërte veulent tous deux venger la mort de leurs pères respectifs mais tous deux prendront des voies différentes pour régler ce problème similaire.
Nous vous invitons à continuer la lecture de cet article :
LE PERSONNAGE SELON JOHN TRUBY – PART 3
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