Nous allons nous livrer à un petit démontage de Django Unchained de Quentin Tarantino.
Qu’est-ce qui motive Django au cours des 10 premières pages du scénario ?
Lorsque nous rencontrons Django pour la première fois, il est évident que les actes de brutalité envers sa femme et lui occupent son esprit.
Il est accablé de ne pas savoir où elle est et cette question le taraude. Les souvenirs douloureux de sa femme et de leurs vies d’esclave le pousse à vouloir quelque chose de meilleur. Django ne se résigne pas et cela est déjà inscrit lorsqu’il nous est présenté.
Cependant, Django ne cherche pas à être libre. Evidemment, notre position en tant qu’observateur d’un déplorable fait de société tel que l’esclavage nous incite à penser que la liberté est la réponse à ce problème.
Mais ce n’est pas le point de Tarantino. Lorsque Django est libéré de ces chaînes, il ne cherche pas à fuir. Lorsque Schultz fait une offre aux frères Speck pour le rachat de Django, celui-ci ne fait pas montre du moindre intérêt et lorsque, à la page 16 du scénario, Schultz dit à Django qu’il va acheter sa liberté, Quentin Tarantino ne donne aucune indication sur le comportement de Django ni ne met de lignes de dialogue entre ses lèvres parce qu’il n’y a rien à dire.
Tarantino n’explique rien du passé de Django dans les premières pages du scénario qui indique qu’il veut être libre ou être réuni de nouveau avec sa femme.
Il montre seulement comment l’esclavage tue l’esprit d’un homme et annihile la volonté pour qu’un homme accepte son statut d’esclave.
Les coups et les marques avilissantes ont fait comprendre intimement à Django les dangers de vouloir être réuni avec sa femme et d’être libre.
Les personnages sont l’âme d’une histoire. Leur évolution au cours du récit est cruciale. Elle est décrite par l’arc dramatique. Voyons comment Django évolue :
1) Suivre l’homme qui est devant lui et auquel il est enchaîné,
2) Aider Schultz à tuer les frères Brittle et prendre ainsi une petite revanche,
3) Trouver un cheval qui fait les mêmes trucs que celui de Schultz.
Cette ligne dramatique n’est pas très puissante mais c’est exactement ce que Tarantino essaie de nous dire. Django est un personnage qui fournit des efforts à ne rien vouloir.
Du moins jusqu’au moment où Schultz lui ouvre les yeux sur une toute nouvelle façon de vivre. Django commence alors à entretenir l’idée d’acheter sa liberté et de retrouver sa femme.
Et cela ne se produit qu’assez tard dans l’acte Deux. Donc une partie du développement du personnage de Django est le fait de Schultz qui lui réapprend à trouver une dignité qui passe par le libre-arbitre et la volonté. Schultz agit comme un mentor envers Django.
A propos de Schultz, il est à noter que c’est lui qui entraîne la première partie de l’histoire, Django ne prononçant ses premiers mots qu’à la page 4 du scénario en réponse à une question de Schultz. Les motivations de Schultz sont claires. S’il est chasseur de prime, ce n’est pas pour une question de justice mais d’argent.
Il a l’opportunité d’utiliser la volonté brisée de Django pour retrouver les frères Brittle et il l’a prend. En fin de compte, au départ, Schultz exploite Django comme le font les autres mais sans la brutalité.
Il est relativement facile de déceler chez Schultz une humanité sous-jacente. Ce personnage est sympathique et attachant et pas seulement pour son phrasé original ni parce qu’il traite Django différemment mais parce qu’il aide aussi les autres esclaves en leur rendant la faculté de choisir.
Ce qu’il est intéressant de noter est l’arc dramatique de la relation entre Django et Schultz. Ce dernier se sentant quelque peu responsable de Django (c’est le premier esclave qu’il libère) fait de lui un tireur émérite avant que les deux dorénavant associés décident de retrouver Broomhilda, la femme de Django.
L’arc dramatique personnel de Schultz évolue lui aussi. On le voit progressivement abandonné son égoïsme (lié à l’argent) pour embrasser un idéal plus haut et plus héroïque (l’égalité entre tous les hommes).
La scène où il refuse de serrer la main de Calvin Candie et le tue est révélatrice de ce changement. Il dit lui-même qu’il n’a pas pu s’empêcher de le tuer. En refusant de signer un pacte diabolique avec le diable lui-même, Schultz affirme son humanité et devient un véritable héros.
On est en droit de se demander d’ailleurs si Schultz n’outrepasse pas quelque peu sa fonction de mentor pour s’accaparer celle de héros au détriment du personnage de Django.
Les faiblesses
Les faiblesses majeures des personnages est ce qui les rend toujours intéressants. La faille de Schultz qui le mènera à sa perte est son dégoût profond de l’esclavagisme.
La faille de Django est sa mentalité et son attitude d’esclave. Un défaut majeur dans sa personnalité qu’il réussira à surmonter grâce à l’aide de Schultz.
Au début de son aventure, Django est incapable de penser à autre chose qu’à un autre jour à survivre. Ce défaut deviendra sa plus grande force lorsqu’il sera prêt à affronter le monde pour défendre son rêve.
L’incident déclencheur
Un incident déclencheur est un événement marquant dans la vie du personnage principal. A partir de cet incident, le comportement du héros change, sa vie telle qu’il la connaissait est dorénavant caduque.
Pour résumer l’acte Un, il s’agit pour l’auteur d’établir un protagoniste (par définition, capable de faire avancer l’histoire), de créer une empathie envers lui et le lecteur, de le sortir de son quotidien (où normalement, il se sent en sécurité grâce à ses repères même s’il est insatisfait de sa situation) et de l’envoyer vers une aventure (qu’on espère divertissante pour le lecteur).
Lorsque Django entre dans la ville à cheval, c’est déjà une situation nouvelle pour lui mais ensuite lorsqu’il entre dans le bar et commande un verre (accompagné de Schultz), l’histoire passe à la vitesse supérieure.
Mais peut-on vraiment considérer ce moment comme l’incident déclencheur ? Concentrons-nous un instant sur Django. Lorsque Schultz le sort de son esclavage, cela ne change en rien la situation actuelle de Django. Il est toujours imprégné de cette mentalité d’esclave et ne s’engage sur aucune voie qui pourrait le mener à une transfiguration de sa personnalité.
L’incident déclencheur ne l’incite en rien à devenir un chasseur de prime et de sauver sa femme. Etre libre ne fixe aucun objectif pour Django.
Pénétrer en ville sur un cheval devant toute la population à majorité blanche ne fait pas non plus de lui un chasseur de prime. Cela est certes nouveau pour Django comme d’entrer dans le bar, mais à part de briser les tabous d’une société, cela ne provoque aucun changement majeur chez Django.
Par contre, se tenir aux côtés d’un blanc qui vient juste de tuer le sheriff devant toute la population, pour Django, c’est comme de traverser un seuil sans retour.
Cette fois, il n’a plus le choix autre que de s’engager auprès de Schultz et dans le même mouvement dans son aventure. L’incident déclencheur est juste cela : le héros n’a plus le choix.
Une porte s’ouvre devant lui et il ne peut faire autrement que d’entrer dans son aventure et la porte se referme derrière lui. Sinon, il n’y aurait pas d’histoire.
Il faut noter la précision du scénario de Quentin Tarantino. En effet, le Derringer n’est pas un McGuffin. Il permet à Tarantino d’assurer la transition vers l’acte Deux et de lier l’incident déclencheur à cette transition.
Lorsque Django voit Schultz utiliser le Derringer contre le shérif au moment de l’incident déclencheur, il agit de la même façon lorsqu’il tue Big John Brittle. Il prend sa revanche contre les frères Brittle ce qui lance l’intrigue.
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