Nous vous proposons une série d’articles sur l’œuvre phare de Joseph Campbell : Le héros aux mille et un visages à partir du texte original : the hero with a thousand faces.
Introduction :
CAMPBELL : ESSAI D’EXEGESE – PART 1
Voici le paragraphe, objet de cet article (Part 1 The Adventure of the Hero – Chapter 1 Departure – 1. The Call To Adventure) :
As a preliminary manifestation of the powers that are breaking into play, the frog, coming up as it were by miracle, can be termed the « herald »; the crisis of his appearance is the « call to adventure. » The herald’s summons may be to live, as in the present instance, or, at a later moment of the biography, to die. It may sound the call to some high historical undertaking. Or it may mark the dawn of religious illumination. As apprehended by the mystic, it marks what has been termed « the awakening of the self. » In the case of the princess of the fairy tale, it signified no more than the coming of adolescence. But whether small or great, and no matter what the stage or grade of life, the call rings up the curtain, always, on a mystery of transfiguration —a rite, or moment, of spiritual passage, which, when complete, amounts to a dying and a birth. The familiar life horizon has been outgrown; the old concepts, ideals, and emotional patterns no longer fit; the time for the passing of a threshold is at hand.
En tant que manifestation préliminaire des forces qui entrent en jeu, le crapaud, qui surgit comme par miracle, peut être appelée le « héraut » ; la crise de son apparition est « l’appel à l’aventure ». Cette convocation qu’apporte le héraut peut être de vivre, comme dans le cas présent, ou, à un moment ultérieur de la biographie du héros, de mourir. Il peut sonner l’appel à une grande œuvre historique. Ou bien il peut marquer l’aube d’une illumination religieuse. Tel qu’appréhendé par le mystique, il marque ce qu’on a appelé « l’éveil du moi ». Dans le cas de la princesse du conte de fées, il ne signifiait rien de plus que le début de l’adolescence. Mais que cet appel soit quelque chose de petit ou de grand, et quelle que soit l’étape ou le niveau de la vie, il lève le rideau, toujours, sur un mystère de transfiguration – un rite ou un moment de passage spirituel qui, une fois achevé, équivaut à une mort et à une naissance. L’horizon familier de la vie a été dépassé ; les anciens concepts, idéaux et modèles émotionnels ne conviennent plus ; le temps du passage d’un seuil est proche.
THE CALL TO ADVENTURE
The call to adventure (l’appel de l’aventure) est la première étape du voyage du héros lorsque ce héros est appelé à entreprendre une quête. Pour Joseph Campbell, le Call To Adventure est présent dans tous les mythes, contes et autres textes sacrés de tous temps et de toutes cultures.
Parfois, l’appel n’est compris par le héros qu’après qu’il se soit produit et si dans le récit apparaît la figure archétypale du fripon, du farceur (par exemple, Renart le Goupil du Roman de Renart), cet appel pourrait être très bien maquillé afin de ne pas être reconnu.
[la langue anglaise le nomme trickster, celui qui fait des tours de passe-passe avec les esprits des autres.]
Un guide sage et voulant aider (il est souvent considéré comme le mentor) peut de temps en temps expliquer l’appel pour le candidat potentiel à l’aventure mais il arrive aussi que cet appel soit une exigence incompréhensible hors du sens commun.
L’appel peut assigner au héros une tâche spécifique telle que tuer un dragon ou bien l’envoyer vers l’accomplissement d’une œuvre qui restera à jamais dans les annales (high historical undertaking).
Il peut être aussi pour le héros une révélation transformant profondément sa perception et sa compréhension de soi et du monde ou bien encore une véritable illumination religieuse par la connaissance ou la foi (Or it may mark the dawn of religious illumination. As apprehended by the mystic, it marks what has been termed « the awakening of the self »).
Quelle que soit l’assignation, l’appel annonce toujours un changement qu’il soit au niveau d’un royaume ou de l’âme d’un individu. Et la quête qui y mène peut être grande ou petite, seul compte le changement lorsqu’elle est réalisée (whether small or great).
L’appel à l’aventure peut aussi être compris comme la quête psychologique que chaque psyché devrait entreprendre (selon la pensée jungienne).
Dans ce cas, l’assignation alerte la psyché que du contenu inconscient est prêt pour le travail d’intégration du processus d’individuation (In the case of the princess of the fairy tale, it signified no more than the coming of adolescence). C’est ainsi que les princesses des contes de fée se préparent à quitter l’enfance pour une vie de femme.
Dans le sens jungien, l’appel peut résulter d’une insatisfaction avec sa vie de tous les jours, de rêves perturbants, d’une maladie, en fait de tous statu quo frustrants. C’est ainsi que la quête qu’assigne l’appel peut être entreprise à n’importe quel âge et quelle que soit sa condition sociale (and no matter what the stage or grade of life).
Bien que dans les mythes, le héros est presque toujours un personnage extraordinaire, Jung dit que cette quête est disponible pour tous les êtres humains puisque en chacun de nous existe une part d’ombre en attente d’intégration. Ce que Campbell reprend dans le Héros aux mille et un visages.
a rite, or moment, of spiritual passage
La quête est une initiation, un apprentissage. Elle peut être, par exemple, le parcours d’un jeune qui passe de l’adolescence à l’âge adulte après avoir triomphé d’épreuves et d’obstacles.
Le labyrinthe est un symbole adéquat pour illustrer cette quête. C’est un archétype de la connaissance. Son parcours est un chemin d’épreuves qui sépare deux univers. Sortir du labyrinthe s’effectue au prix de sa traversée et les directives sont consignées dans les rites et traditions.
L’initiation est un rite de passage. Le candidat qui réussit la traversée (son voyage ou hero’s journey) subit une transformation intime de sa personnalité. Il acquiert de nouvelles valeurs, de nouveaux idéaux, de nouveaux concepts, de nouvelles croyances et des modèles émotionnels nouveaux.
L’initié est un nouvel individu. Ses anciennes valeurs, ses anciens idéaux et ses anciens concepts n’existent plus. Il s’agit d’une mort symbolique. L’initié est un nouvel individu qui vient au monde.
Il s’agit bien d’une mort et d’une naissance (when complete, amounts to a dying and a birth). Contrairement au phénix qui renaît de ses cendres et qui symbolise le cycle de mort et de résurrection, l’initié vient au monde comme nouvel individu. C’est symboliquement une naissance et non une renaissance.
HERALD
L’appel n’est pas une simple proposition. Il est véritablement une assignation à s’engager dans une quête pour le récipiendaire. Cet appel est délivré par un héraut (herald) ou messager tel Hermès, messager des dieux ou les sorcières que rencontrent MacBeth et Blanquo.
Le messager n’est pas un oracle. Il ne fait aucune prédiction. D’ailleurs, on venait consulter l’oracle. L’héraut, quant à lui, surgit soudain et de manière inattendue (coming up as it were by miracle).
Le messager est souvent confondu avec le mentor. Cependant, il est plutôt l’incarnation de l’appel. Il pourrait être assimilé à l’incident déclencheur ou catalyst chez Blake Snyder. Cependant, il serait dommageable pour le récit de ne pas les distinguer.
Ainsi, il peut prendre n’importe quelle forme, être une force ou puissance surnaturelles, un événement ou simplement une simple lettre comme par exemple la lettre que reçoit Harry Potter pour rejoindre Poudlard. Le messager est Rubeus Hadrid alors que l’événement déclencheur est cette convocation à Poudlard.
Chez la princesse, il est l’image déformée d’un désir refoulé.
Le rôle du messager est d’orienter le héros vers une nouvelle direction, vers sa destinée obliquant ainsi le récit vers une autre direction.
C’est un personnage important de l’histoire car il bouleverse l’équilibre actuel de la vie du héros et l’oriente vers son aventure même si celui-ci (tout comme la princesse) n’a pas encore conscience de la nécessité de cette aventure pour son devenir.
La venue du héraut correspond en fait à un malaise incertain chez le héros. Il sent qu’il lui manque quelque chose dans sa vie ou bien que quelque chose doit changer, mais il ne saurait dire quoi. Cela correspond en fait à une crise chez l’individu, un malaise psychologique. C’est ainsi que Campbell emploie à escient le terme de crise : the crisis of his appearance. L’évolution est faite de crises et de ruptures. Elle n’est pas progressive comme l’a souligné Thomas Samuel Kuhn.
Lorsque la décision de s’engager dans l’aventure, dans cette quête de soi, est prise, c’est comme si un seuil était franchi. Ce seuil est d’importance car il signifie qu’une fois franchi, un point de non retour sera atteint.
Il n’y aura alors pas d’autre alternative que de continuer sur ce chemin qui promet nombre d’épreuves afin d’atteindre à la transfiguration nécessaire (the time for the passing of a threshold is at hand).
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