L’évolution est un produit dérivé de la nature lorsque les fruits fânent puis montent en graines. Ces graines contiennent la possibilité de renouveller le cycle mais ne le garantissent pas. Ces graines ne viennent pas non plus instantanément à la vie.
Il y a une dormance où la possibilité de la mort maintient la vie en état d’hibernation. Dans le cycle de nos propres vies, ces moments de mort imminente sont riches de possibilités dramatiques accrues dont un auteur pourrait tirer parti.
Ce sont les moments du drame humain où les enjeux sont les plus élevés, où nos choix importent le plus.
C’est une question de vie ou de mort.
Du point de vue dramatique ou thématique, le protagoniste doit parvenir à un point où il est sur le point d’être détruit et où le conflit extérieur exige une transformation personnelle, intérieure si la survie est espérée.
Afin de créer une histoire qui exprime l’arc dramatique de cette transformation, la nécessité de ce changement doit être établie. C’est dans ce contexte que la faille majeure voire léthale d’un personnage entre en jeu.
Cette faille ou faiblesse s’enracine dans trois postulats :
- Parce que le changement est essentiel à l’évolution, il est obligatoire à toutes formes de vie.
- Si quelque chose n’évolue pas, il est destiné au déclin et à la mort.
- Il n’y a pas de stase dans la nature. Rien ne peut atteindre une position permanente sans évolution ou déclin.
Nous avons tendance à résister au changement et à se cramponner fermement à d’anciens systèmes de survie (le monde ordinaire avant que l’appel à devenir autre ne se fasse pressant) parce qu’ils sont familiers et semblent sûrs.
Et même si ces vieux systèmes obsolètes nous font sentir seuls, nous isolent, nous rendent craintifs, sans inspiration, nous déprécient ou laissent nos cœurs vides de tout amour, nous raisonnerons toujours dans le sens qu’il est plus facile de faire avec ce que nous connaissons que d’affronter ce que nous n’avons pas encore expérimenté.
La conséquence pour ceux qui restent coincés dans ces vieux systèmes est qu’ils se battront pour maintenir des relations aux autres destructives, des emplois peu valorisants et ennuyeux, des activités improductives, des dépendances nocives, des environnements malsains et des comportements immatures et ceci malgré l’évidence qu’ils ne présentent aucun signe de vie (dans le sens où la vie est une évolution) ou que cette conduite soit d’une valeur quelconque.
Cet engagement inflexible envers les vieux systèmes qui ont survécu malgré que leur utilité est depuis longtemps asséchée et cette résistance à l’énergie régénérante de nouveaux niveaux d’existence et de conscience est ce qui crée la faille.
La faille est le combat que se livre un personnage avec lui-même afin de maintenir un système de survie qui ne lui est plus d’aucune utilité depuis longtemps.
Dans La vie est belle, George Bailey s’est engagé de lui-même dans un système de survie qui opère sous l’hypothèse que s’il prend soin des autres, d’une manière ou d’une autre, magiquement, ces propres besoins seront satisfaits. Il y a eu une période dans la vie de George lorsqu’il développait son aptitude à s’occuper des autres qui l’aida à évoluer en un être humain moins égoïste et plus charismatique.
De puissants sentiments d’estime de soi accompagnèrent d’ailleurs son action. Il recevait autant qu’il donnait et cela créait un équilibre bienfaisant dans sa vie.
Puis vint le temps où les retours déclinèrent. La valeur de ce qu’il recevait n’égalait plus celle de ce qu’il donnait. Comme les besoins de la famille et de la communauté exigeaient plus que ses propres besoins, son identité comme tuteur se figea.
D’autres aspects de la nature de George furent refoulés ou ignorés et les seules choses qui finirent par croître furent la colère et le ressentiment.
Le système de placer les besoins des autres avant les siens s’enraya et George se sentit malheureux et insatisfait. Il lui manquait soudain quelque chose dans sa vie. Mais il continua de dépenser son énergie jusqu’au jour où il ne lui resta plus rien. Ce fut ce jour-là qu’il décida de sauter du pont.
La perception limitée de sa propre identité s’est avérée fatale pour George. Le véritable drame de cette histoire se focalise donc sur l’urgence d’étendre cette perception, de prendre la réelle mesure de ses actes avant qu’il ne soit trop tard d’où l’apparition de l’ange qui montrera à George comment la communauté aurait évolué s’il n’avait pas été là.
Identifier et utiliser cette faille cruciale est un des outils les plus puissants à la disposition des auteurs. Elle distingue un aspect du personnage qui non seulement détermine son comportement mais aussi établit le conflit interne qui entraîne l’histoire.
La faille de George c’est-à-dire son incapacité à satisfaire ses propres besoins est exprimée dans son comportement en le décrivant comme quelqu’un qui s’occupe des autres au détriment de sa propre personne. C’est comme si l’altruisme naturel de George censurait ses propres besoins estompant dans le processus sa personnalité, d’où le conflit personnel qui n’a cessé de prendre de plus en plus d’importance et mené George au suicide. Ce suicide est la conséquence logique d’une perception imparfaite de son identité.
Bien sûr, cette faille ne doit pas obligatoirement se concrétiser dans la mort du personnage. Elle peut annoncer une mort plus métaphorique, une perte qu’elle soit de rêves, de désirs, de passions, d’identité ou de n’importe quel autre aspect du Moi qui aurait permis une vue de la réelle nature du personnage.
La faille ou le point faible d’un personnage que l’auteur peut exploiter n’est pas un jugement moral ou autre qu’il porte sur son personnage. Cette faille est inscrite dans la psyché du personnage soit par expérience personnelle, soit parce qu’il en a héritée d’une manière ou d’une autre (les archétypes d’après Jung).
Par exemple, si l’un de vos personnages est toxicomane, cela ne signifie nullement qu’il est irrémédiablement condamné à une mort certaine. Dans ce cas, vous avez porté un jugement sur lui, vous l’avez comdamné sans autre forme de procès.
La conséquence fatale d’une addiction comme dans cet exemple pourrait se produire si le personnage a effectivement atteint une extrémité (différente du point de non retour) si son évolution personnelle, les changements (de perspectives, moraux) qui doivent s’opérer en lui par le simple fait que son cœur bat (et que son âme est à l’unisson) se sont figés. C’est comme si sa vie s’était progressivement ralentie puis aurait marqué un point d’arrêt.
Le mécanisme grippé de la vie a alors pour conséquence une issue fatale pour le personnage.
A propos du toxicomane de notre exemple, la tâche de l’auteur de ce personnage est de comprendre quelles insatisfactions, quels mécontentements ou blessures sont à l’origine de son addiction. L’auteur doit essayer de saisir les circonstances, de dérouler le fil des événements qui ont mené son personnage sur une pente aussi dangereuse. L’auteur doit, dans la toile de fond de son personnage, expliciter cette dépendance et essayer de comprendre pourquoi il y a un tel déséquilibre entre un système de survie actuel manifestement néfaste pour le personnage et la réalité d’un changement que le personnage doit embrasser s’il ne veut pas connaître une destinée tragique.
Identifier le point faible du personnage est ce qui autorise l’auteur à dessiner l’évolution de l’arc dramatique personnel de ce personnage. Cet arc dramatique qui décrit le voyage intérieur du personnage (son évolution personnelle) ordonne la nature du conflit extérieur principal que le personnage doit affronter.
Le conflit extérieur (visible car fait d’actions physiques) s’efface devant la nécessaire évolution interne du personnage (le conflit extérieur dépends entièrement d’elle) qui consiste à abattre les frontières qui l’empêche de devenir réellement ce qu’il est et en quelque sorte de devenir meilleur à la fin de l’histoire.
Pour que cette faille soit efficacement exploitée par l’auteur, elle doit être intimement liée au thème. Ce point faible est potentiellement destructeur, ainsi il doit mettre en avant une valeur qui s’oppose au thème et à l’objectif interne du personnage principal et non pas au Story Goal, objectif externe.
Cette faille représente la valeur opposée à celle du thème et est déterminée en inversant la valeur proposée par le thème.
Dans Le cercle des poètes disparus de Tom Schulman, le thème est amené par John Keating qui explique aux étudiants que leurs vies sont fugaces et qu’ils doivent saisir l’instant pour que leurs vies comptent. Ce thème est tiré d’un vers d’Horace : cueille le jour sans te soucier du lendemain.
Cela met en place l’objectif interne des protagonistes : le besoin d’être sincère avec soi-même. La faille, par conséquent, doit être quelque chose dans la personnalité du personnage qui sonne faux ou le détourne de sa vraie nature.
Ainsi, la connaissance du défaut majeur de la personnalité d’un personnage permet à l’auteur une compréhension exacte de ce qui doit entraîner l’histoire. Tout ce qui est induit par le thème se concrétise dans le développement du personnage de manière tangible par des faits et des traits de caractère qui découlent de cette faille. Au début du travail d’écriture du script, nous ignorons encore probablement avec exactitude comment le personnage se comportera au cours du récit mais nous aurons déjà toutes les informations nécessaires pour rendre crédibles et logiques ses comportements.
Il n’y aurait pas de conflits à résoudre dans Le cercle des poètes disparus si les protagonistes nous étaient présentés en harmonie avec leur véritable nature. Il est donc nécessaire qu’au cours de l’acte Un, ils nous soient montrés, ou du moins que cela soit apparent, qu’ils combattent inconsciemment ou non leurs vraies natures.
Si l’on souhaite prendre comme thème le vers d’Horace (cueille le jour sans te soucier du lendemain) et le relier à l’acceptation de soi ou à l’estime de soi, il est nécessaire de réfléchir à quelques points :
Qu’est-ce qui pousse quelqu’un à combattre sa vraie nature, à ne pas accepter ce qu’il est ?
Que signifie exactement ne pas être sincère avec soi-même ?
Comment est-ce que cela est seulement possible ?
Il n’y a pas une réponse possible et c’est ce qui permet d’obtenir autant d’histoires différentes par autant d’auteurs différents sur un même thème. La réponse que l’auteur donnera dépend de sa perception du thème. Mais cette réponse personnelle lui permettra d’orienter sa pensée vers le conflit dramatique implicitement contenu dans le thème.
Travailler à partir du vers d’Horace peut être interprété de différentes manières. L’interprétation qu’en a faite Le cercle des poètes disparus est que la véritable nature d’un être est masquée par la conformité contre laquelle Keating prône le libre-arbitre.
Keating croit que de faire de sa vie une vie extraordinaire est l’essence même de la vie et que dans le poème de la vie, chacun peut y écrire un vers.
Utiliser le thème pour déterminer la faille majeure d’un personnage qui pourrait le conduire à sa propre destruction est un bon outil dramatique pour éviter d’affubler ce personnage avec des comportements et des motivations erratiques.
Si ces comportements et motivations ne correspondent pas avec l’intention de l’auteur, avec son thème, le risque est alors grand qu’ils ne soient pas significatifs. Il doit y avoir une nécessaire logique dans l’évolution d’un personnage. Il faut que ses faits et dires soient organiquement liés à l’histoire, à la ligne dramatique de l’histoire sous-tendue par le thème. Organiquement lié signifie que si vous retirez un élément, toute l’histoire s’en trouve déséquilibrée.