Continuons d’explorer la nature du conflit.
Une première étude se trouve ICI :
LA PSYCHOLOGIE DU PERSONNAGE
Nous vous conseillons de vous y référer avant de commencer la lecture de cet article.Pour illustrer le complexe d’Œdipe, Freud sépara l’inconscient en trois structures. Parmi celles-ci, il distingua le ça.
Le çà
Le ça représente une force primale, animale présente dès la naissance. C’est l’instinct entièrement dédié au principe de plaisir et intéressé seulement par la satisfaction de ses propres pulsions.
La libido est la force vitale derrière le çà et qui octroie à chaque animal les instincts basiques du sexe et de l’agressivité (ce sont les motivations d’ordre biologique au cœur d’Eros et Thanatos.
Pour Freud, le çà est la part bestiale de l’inconscient qui veut faire l’amour avec la mère et tuer le père.
Le méchant de l’histoire et le çà
L’archétype du méchant (antagoniste) est souvent une représentation de l’énergie du çà.
Dans Les nerfs à vif de James R. Webb et Wesley Strick d’après le livre The Executioners de John D. MacDonald, Max est un méchant dont la présence terrifiante résulte de ses comportements et motivations les plus primaires. Lorsqu’il apparaît la première fois, il est un animal enfermé. Il a les mots amour et haine tatoués sur chacune des mains symbolisant ainsi les deux motivations qui l’animent : le sexe et l’agressivité.
L’objectif de Max est de prendre sa revanche sur Sam qui a manipulé son dossier afin qu’il n’obtienne pas les circonstances atténuantes qui auraient pu lui éviter 14 ans de prison. Un objectif pour Max parfaitement légitime d’autant plus que Sam avait été commis d’office son avocat de la défense.
Au cours d’une séquence terrifiante, Max viole Lori et lui arrache un morceau de la joue avec les dents. Au cours de cet acte qui réunit à la fois la satisfaction d’un désir sexuel et une pulsion agressive, Max incarne le çà le plus pur. Il est la personnification du sexe et de l’agressivité.
La puissance psychologique derrière l’antagoniste provient du sens que son personnage est un animal sauvage en apparence humain et que l’on ne sait jamais jusqu’où il peut aller pour satisfaire ses besoins primaires.
Un autre archétype de l’antagoniste qui se comporte véritablement comme un monstre est le vampire car il tire sa satisfaction sexuelle dans l’acte violent qui consiste à sucer le sang des tendres gorges de ses victimes.
Evidemment, l’agressivité peut être tournée vers des sentiments de domination, de conquête ou de destruction selon les exigences de l’intrigue.
Pour un auteur, l’antagoniste est le personnage le plus intéressant à créer (et certainement le plus important d’une histoire). C’est un personnage qui ne connaît aucune inhibition, aucune morale, aucune culpabilité ou regret.
Le méchant est généralement très apprécié du lecteur dont le processus d’identification fonctionne à merveille avec cet archétype. En effet, le lecteur projette ses propres inhibitions et parvient à calmer le bouillonnement de son çà dans le personnage de l’antagoniste. Du pain béni pour un auteur.
A ce propos, comment écrire un méchant efficace ? Simple. Lâchez le contrôle, faites choir vos inhibitions, décrivez vos pulsions, vos peurs, vos rêves, vos motivations les plus sombres dans le personnage du méchant.
Le çà prisonnier
Le çà est comme un animal en cage à l’intérieur de notre inconscient. Nos pulsions fondamentales cherchent toujours à s’en échapper mais nous les réprimons sans cesse.
Comme il est habituel de représenter le çà par une force antagoniste qui vient s’opposer au héros, le méchant de l’histoire est souvent introduit comme un personnage qui se trouve derrière les barreaux (tel Max Cady).
La ligne dramatique du méchant commence avec celui-ci s’échappant ou étant libéré. Ce motif assez récurrent est une illustration de la libération de l’énergie du çà.
William Indick cite La grande évasion, Papillon ou L’évadé d’Alcatraz comme populaire du fait que le lecteur s’identifie avec le sentiment d’enfermement à cause des exigences d’une société répressive et que par l’intermédiaire du héros (avec des qualités négatives dans les trois exemples cités), il ressent ce sentiment indicible de liberté que lui procure le relâchement de ses inhibitions.
Pendant que le méchant est hors de sa cage (c’est-à-dire pendant le moment temporaire où le çà est libre), relâchez vous aussi l’immoralité anarchique en incarnant votre méchant.
Lex Luthor est un antagoniste bien campé parce qu’il adore et assume totalement d’être le coquin de service diabolique et de faire exactement ce qu’il veut sans y réfléchir à deux fois.
Votre antagoniste doit se délecter de sa méchanceté et prendre plaisir à concocter ses intrigues diaboliques (en nuançant cependant ce trait de caractère selon la nature de l’antagoniste).
Une intrigue a toujours besoin d’un antagoniste. Chargez-le à fond et relâcher la pression. Le succès d’une histoire ne vient pas tant de son héros mais plutôt de la qualité de son méchant.
L’éternel méchant
Donc, l’antagoniste impressionne davantage le public que ne pourrait le faire le héros. Le méchant est un pêcheur et les pêcheurs ont toujours eu un charisme indéfinissable et sûr.
Les auteurs aiment à laisser le champ libre à l’antagoniste à la fin de leur histoire afin de lui réserver une place dans une éventuelle séquelle, tel Hannibal Lecter qui fit son retour dans Hannibal en 2001 après être devenu célèbre en 1991 dans Le Silence des agneaux.
La résurrection du méchant est un artifice dramatique souvent réutilisé lorsqu’il s’agit de jeter le chaos sur une société rigide et répressive qui étrangement se délecte d’être ainsi violée par les plans pervers de quelques méchants. D’ailleurs l’ironie qui se dégage de ce motif est excellente car le mal a autant de droit de cité dans nos contrées que le bien, après tout.
Le châtiment du méchant
La clé pour comprendre votre antagoniste est qu’il est immoral. En effet, s’il est l’expression de la libération sans frein de la puissance du çà, son comportement s’inscrit en faux de l’éthique communément admise et aucune tolérance envers son comportement immoral ne peut être envisagée.
En conséquence, le méchant de l’histoire doit être puni des mains du héros (ou du moins par les actions de celui-ci). Son châtiment équivaudra au moins à la hauteur de ses crimes. Le lecteur doit ressentir un sentiment dramatique de l’application de la justice et l’antagoniste devrait souffrir grandement de ses actes et de préférence du fait du héros.
Le châtiment est excellemment montré par exemple dans Piège de cristal où le méchant de l’histoire chute vers une mort méritée. C’est d’ailleurs un joli motif de montrer la chute d’un méchant vers l’abîme qu’il a fui pour semer le chaos dans le monde des vivants.
Le héros lui montre alors le chemin vers ce retour aux sources en débarrassant la société d’un être diabolique. Le méchant retourne aux enfers pour que son âme y soit punie pour l’éternité.
En tant qu’auteur, vous ne devriez jamais vous laissez aller à la facilité lorsqu’il vous faudra planifier la mort de l’antagoniste.
A lire :
WILLIAM INDICK : DU CONFLIT – PART 2
WILLIAM INDICK : DU CONFLIT – PART 3
WILLIAM INDICK : DU CONFLIT – PART 4