Sommairement, nous avons deux états conflictuels dans un récit. Il existe le problème qui concerne tous les personnages. Et il y a le personnage principal avec son propre problème existentiel pourrait-on dire.
Lorsqu’il débute ses aventures, ce personnage principal est troublé parce qu’une expérience passée l’a personnellement profondément marqué ou bien il est pris dans une routine de vie qui l’ennuie infiniment.
Au commencement, le personnage principal est un être imparfait. Et le travail de l’auteur consistera d’abord à lier cette imperfection au problème plus global qui est en fait l’objectif que doit atteindre le protagoniste (qui est souvent aussi le personnage principal) dans une histoire.
Un conflit intérieur
De manière classique, le personnage principal est affublé d’un problème personnel. Il doit résoudre ce problème s’il veut avancer dans sa vie (fictive).
Beaucoup de manuels et de masterclass vous diront la même chose : le personnage qui est au centre de l’histoire, nommément le personnage principal, doit avoir une lutte personnelle qui ne concerne que lui et dont la plupart des autres personnages sont ignorants.
On ne peut cependant prendre le premier trouble par exemple qui peut légitimement affecter un être de fiction. Le problème du personnage principal devrait être thématiquement lié à tout ce qui est dit par ailleurs dans l’histoire.
Sans aller jusqu’à détailler le conflit interne en insistant sur les diverses causes dont ce conflit serait la conséquence, il faut tout de même poser le conflit personnel dans ses rapports avec les autres conflits qui existent dans l’histoire.
Le conflit est essentiel au drame. Le conflit intime participe aussi activement à construire le drame. Les personnages doivent être en proie à des conflits internes. On peut définir ce type de conflit comme une lutte psychologique à l’intérieur de l’esprit d’un être fictif (sa fictionnalité n’en imite pas moins tous les caractères de la vie).
Résoudre ce problème est un des principaux élans de l’intrigue.
Il est toujours intéressant de montrer que le vrai problème du personnage, c’est lui-même. Et dire qu’il lutte contre lui-même est même abusif. On ne lutte pas vraiment contre soi-même. On essaie par contre de vivre avec soi-même.
C’est cette difficulté à s’accepter qui est le vrai problème.
Le conflit aide à élaborer le personnage
Les problèmes internes et les failles dans la personnalité d’un personnage le rendent plus réaliste et plus sympathique. La sympathie est particulièrement importante pour établir une empathie envers un personnage, une compassion du lecteur envers lui.
Il est nécessaire a priori qu’il y ait un courant de sympathie entre ce personnage et le lecteur pour espérer que le lecteur éprouve ou comprenne le personnage sur lequel l’auteur souhaite porter empathie.
Le conflit interne devient ainsi condition de l’identification. Cela lui donne une nouvelle importance dans le récit. Le conflit personnel ne remplace pas l’action. Il est simultané à elle. Cette simultanéité entre intérieur et extérieur s’affranchit des conventions des genres.
Thriller, tragédie, comédie… les personnages ont d’abord des problèmes personnels à résoudre.
Buzz l’éclair par exemple est le seul parmi la dramatis personæ (de tous les personnages) à ne pas savoir qu’il est un jouet. Les autres ont conscience de cette existence qui est la leur mais Buzz n’en a pas pris conscience. On ne peut même pas dire qu’il est dans le déni.
En seconde lecture, ce qui a présidé à la création de cette psychose chez ce personnage, ce n’est pas parce que les auteurs ont pensé que ce comportement psychotique seraient amusants ce qui serait insultant et indigne de leur part.
C’est une représentation. Ce n’est pas une imitation. On ne prend pas quelque chose de réel que l’on décalque pour l’imprimer dans une œuvre de fiction. Il y a de la signification ici et c’est quelque chose de très sérieux.
Ce qu’il est abordé avec un personnage comme celui de Buzz l’éclair, c’est un problème très humain et assez universel de différence entre qui nous pensons être et ce que nous sommes vraiment.
Le conflit personnel est au cœur de l’arc dramatique
L’arc dramatique du personnage principal sera donc de surmonter son problème personnel. Dans le cas de Buzz, ce conflit fait de lui un être solitaire. Il doit trouver sa place parmi les autres jouets en acceptant totalement ce qu’il est, c’est-à-dire un jouet.
Dans la série Sur Écoute, l’univers est celui de la drogue à Baltimore à travers les yeux des dealers et des forces de police chargées de l’éradiquer.
Jimmy McNulty est le personnage principal. Il est construit sur une personnalité conflictuelle. Il croit en son code moral qui lui permet de discerner le bien de la corruption par exemple. Mais cela induit chez lui un comportement à la limite de la moralité et donc paradoxal entre ce en quoi il croit et ses actes.
D’abord il a un problème avec l’autorité. Il ne respecte pas la chaîne de commandement. Et sur le plan privé, il trompe sa femme, néglige ses enfants et il est alcoolique.
Lorsqu’on commence à construire un personnage, il faut avoir un thème en tête. C’est-à-dire quelque chose qui tende à l’universalité. Le conflit qui habite McNulty est qu’il est incapable de distinguer entre sa vie professionnelle et sa vie privée. L’une comme l’autre ne cesse d’interférer entre elles.
Ce qui trouble McNulty, c’est de parvenir à cet équilibre délicat entre faire ce qui est bon pour soi et faire ce qui est bon pour la communauté.
Il s’est engagé envers la communauté à corriger ce qui la dénature de l’intérieur. McNulty n’est pas un prophète. Il n’a eu aucune révélation. Mais il n’admet pas les dérives de la société.
Mais cet engagement détruit sa vie personnelle. C’est une forme de sacrifice et la véritable question morale que pose cette série (telle qu’elle nous représente ce personnage de McNulty) est de savoir si ce sacrifice en vaut vraiment la peine.
Ce qui est intéressant avec un thème, c’est que vous pouvez le reprendre pour lui apporter votre propre réponse, votre propre représentation. Il y a mille et une façons d’innover sur une problématique que d’autres ont déjà traitée.
C’est votre point de vue qui vous rend original.
De sempiternelles valeurs
Dans une autre série, Barry, Barry Block est le personnage principal. C’est un ancien Marines revenu à la vie civile comme un tueur à gage réputé.
Cette nouvelle vie l’a toujours répugné et sa conscience s’est toujours offusquée de ce qu’il était obligé de faire pour gagner sa vie. C’est alors que Barry se découvre une nouvelle passion : le théâtre.
La série s’inscrit ouvertement dans les conventions de la comédie. Si l’on prend un peu de distance, cependant, on comprendra que le problème personnel de Barry est qu’il ne sait pas s’il est un mauvais homme incapable de faire le bien ou s’il y a une chance pour lui dans ce monde de connaître une rédemption pour ses actes immoraux.
Le souci avec les valeurs, c’est qu’elles sont duelles. On ne peut définir le concept de bien que si on l’oppose à celui de mal. Par ailleurs, cela facilite la vie de l’auteur lors de la phase de création de ses personnages puisqu’il lui suffit de prendre une valeur, de l’opposer à son contraire et de faire de ce double aspect une identité de la psyché d’un personnage.
Selon les circonstances ou la situation, le personnage oscillera entre l’une ou l’autre valeur (à des degrés différents en fait de l’une ou l’autre valeur, en nuances) et c’est précisément cette hésitation qui chez un personnage comme Barry le fait constamment douter de sa capacité à faire le bien.
Notons que l’objectif (extérieur à Barry, donc) est de pouvoir vivre une vie normale. Pourquoi cet objectif est-il extérieur à Barry ? Parce qu’il concerne tous les personnages qui figurent dans cette histoire.
Une histoire est une succession d’événements liés causalement et que l’on raconte. Or Barry nous raconte les difficultés qu’il rencontre à vouloir vivre une vie normale parce que les circonstances l’obligent toujours à prendre des décisions qui le renvoient à son passé.
Certes, il y a des individus qui sont le mal et qui ne veulent pas ou ne méritent pas le pardon. Et Barry se demande s’il n’est pas l’un d’entre eux.
Diablo Cody et Jason Reitman n’ont pas fait de Tully un ode à la maternité. Marlo vient de donner naissance à un troisième enfant qui n’était pas du tout prévu. Et alors que Marlo est en train de perdre pied, il lui est recommandé une nanny : Tully.
Entre Marlo et Tully se créera une relation inattendue.
La possible cause est dans le passé
Marlo n’a pas demandé de nanny. Celle-ci lui est imposée. On peut alors déduire (sans que l’on nous le dise) que Marlo a déjà eu du mal avec ses deux précédents enfants. Et ce troisième qui n’était pas prévu inquiète son entourage.
La rencontre entre Tully et Marlo qui sert d’incident déclencheur s’explique donc par le passé de Marlo, par cette distance qu’elle a avec ses enfants parce que Marlo est non seulement anxieuse de ne pas pouvoir assumer son rôle de mère mais surtout, Marlo n’a jamais projeté le besoin d’être mère. Elle est devenue cette personne qu’elle n’a jamais voulu être. Et elle en souffre.
Dès que Tully entre dans la vie de Marlo, Marlo croit devenir cette femme qu’elle aurait voulu être. D’autant plus que Marlo croit voir en Tully la Marlo plus jeune. Et l’intrigue peut se lancer.
Et lorsqu’il aborde cette faiblesse chez son personnage, l’auteur doit tenter de rester le plus proche possible des thèmes qu’il met en avant dans son projet comme la nature, l’amour, Dieu, la mort… ou toute autre question existentielle.
Souvent, il arrive que le personnage principal devra résoudre d’abord son problème personnel s’il veut avoir une chance d’aborder sereinement la résolution du problème principal (c’est-à-dire l’objectif).
Considérons Phil Connors (Un jour sans fin de Danny Rubin et Harold Ramis).
Lorsqu’on souhaite aller un peu plus loin dans la compréhension d’une histoire, on peut se livrer à une seconde lecture qui approfondira certains thèmes, nous illuminera certaines allégories ou paraboles ou symboles…
Cette seconde lecture (pour laquelle il faut être expressément demandeur alors que nous consommons, si je peux me permettre la métaphore, l’histoire) nous est permise par les critiques littéraires et les interviews données par les auteurs.
C’est ainsi que Harold Ramis a mentionné que l’idée de l’évolution de Phil Connors fut modelée (en effet, créer un personnage de fiction, c’est comme prendre une argile informe et en faire un être de fiction) en référence aux cinq étapes du deuil de la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross.
Je vous propose de lire cet article LE PROBLEME MAJEUR DU PERSONNAGE PRINCIPAL avant de continuer la lecture de celui-ci.
La signification et la structure
Lorsqu’on cherche à comprendre quelque chose, on cherche d’abord l’intention de cette chose. En analysant la structure d’un scénario, c’est donc à la recherche de l’intention inaugurale de l’auteur que nous nous appliquons.
Nous cherchons à déterminer (ou du moins à interpréter car deux analyses peuvent aboutir à deux interprétations foncièrement différentes) ce que l’auteur veut dire (ou du moins ce qu’il cherche à communiquer).
L’auteur et son texte sont porteurs de signification. Par l’analyse, on cherche à déterminer ces significations. Nous avons donc Harold Ramis qui nous donne lui-même lors d’une interview les réponses que nous sollicitons comme si nous étions à la quête du Graal.
Le problème de Phil est un problème d’acceptation d’autrui. Et l’intention de l’auteur est de nous montrer comment Phil parvient d’un état initial de rejet à accepter l’existence pleine et entière des autres.
Il s’ensuit que la solution pour Phil, la seule chose qui pouvait résoudre son problème personnel, est l’acceptation d’autrui.
Oublions un instant Phil & Harold Ramis et mettons-nous dans la peau d’un auteur et nous voulons obtenir sur notre lecteur un effet où il serait question qu’accepter ce qu’il nous arrive, d’accepter la présence des autres dans notre malheur, serait la solution à notre bonheur.
Nous avons le point d’arrivée. Or l’arc dramatique d’un personnage est diachronique aux aventures qu’il va connaître dans l’histoire. Il évolue au rythme des événements, du moins selon la succession des événements.
Une histoire, c’est une histoire d’événements que quelqu’un nous conte. Or le personnage qu’on jette dans ces événements contés (qui sont l’histoire car l’arc dramatique du personnage est un objet dramatique qui s’ajoute en plus à l’histoire, pour la rendre peut-être plus passionnante) ne sort pas indemne des événements vécus.
Il apprend toujours quelque chose (même une rencontre au coin d’une rue nous apprend quelque chose surtout si elle nous est mutuellement bénéfique). Cette connaissance le fait progresser. Nous avons un mouvement.
Dans notre exemple, nous avons déjà la destination. Nous l’avons formulée même s’il est difficile de traduire en mots (forcément limités) notre pensée.
Nous souhaitons une acceptation du personnage lors du dénouement. Il me semble logique qu’au départ, nous le présentions avec un trait dans sa personnalité qui créera la tension dramatique la plus élevée possible avec cette solution.
Dans le cas de Phil, ce trait fut le rejet, le refus. C’est une résistance ou un besoin d’aller à l’encontre de ce qui est donné à un personnage.
Et c’est là que nous trouverons la véritable signification de Un jour sans fin. Ce n’est pas l’histoire de Phil Connors pris dans une boucle temporelle. Vous constatez d’ailleurs que le genre importe peu sur la signification.
Vous avez un personnage en souffrance. Quelque chose le trouble. Il lui faut comprendre ce qui le désespère, ce qui le maintient dans cet état, dans cette attitude de désespoir même si le personnage ne le conçoit pas ainsi.
Phil Connors grandit ainsi de cette prise de conscience qu’il lui faut cesser de rejeter les autres et d’accepter ce qu’il lui arrive. Cette connaissance nouvelle qu’il a de lui lui permet de sortir de la bouche temporelle (l’objectif). En somme, il devient une personne meilleure.
La structure communique la signification
Le problème du personnage doit être clairement établi dès l’acte Un. Par exemple, on comprend qui est Phil dès que l’on observe son comportement avec les autres. C’est écrit dans les premières pages du scénario.
Certes, il n’est peut-être pas très facile d’identifier à la fois un problème et sa solution. C’est ainsi que la théorie narrative Dramatica qui est avant tout une aide à l’écriture a dénombré (un peu arbitrairement il est vrai mais en connaissance de cause cependant) 64 éléments de caractérisation (ou traits de personnalité) qui permettent de définir un problème et la solution la plus logique.
Par exemple, nous avons l’élément Non-acceptance (dans le cas de Phil, il désigne son rejet morbide des autres) et l’ élément Acceptance (qui signifie pour Phil qu’il accepte enfin l’existence des autres en tant qu’êtres véritablement humains et non pas une seule voix indifférenciée sur laquelle Phil déverse son mépris).
Pour Dramatica, Acceptance et Non-acceptance forment une paire dynamique (Dynamic Pair dans la terminologie de Dramatica) ce qui détermine que ces deux éléments, ces deux qualités (ou attributs ou caractéristiques) sont dans une opposition qui crée une tension dramatique majeure à l’intérieur même de la diégèse sans être partie prenante de l’histoire.
En effet, les événements de l’histoire pourraient être sensiblement les mêmes sans que cette personnalité problématique de Phil soit la cause directe de ces événements.
Notons aussi que le fait que ces deux caractéristiques soient en opposition (Dynamic Pairs) ne signifie pas pour autant qu’elles sont contraires l’une envers l’autre. Cette Dynamic Pair s’applique ici à définir un problème et une solution à ce problème. Cela fait partie de la structure narrative : vous posez un problème, vous en inférez une solution (sinon l’histoire ne fonctionne pas, le récit sera bancal).
Il s’agit d’une opposition, pas d’une négation. Un dernier conseil. Posez-vous d’abord la question de savoir quel effet vous souhaitez obtenir sur votre lecteur. Commencez pas poser la solution et remontez ensuite au problème.
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