Ce que nous cachent les personnages, c’est ce que le texte ne nous dit pas clairement. Comme si les mots servaient à masquer une signification obscure. Il y a une tension qui se crée entre ce qui est révélé et ce qui ne l’est pas.
Lorsque nous croyons que quelqu’un nous cachent quelque chose, on ne peut s’empêcher de lui prêter plus d’attention que d’accoutumée. Ce n’est pas de la curiosité. C’est simplement le pouvoir des secrets.
Pandore et Psyché nous rappellent à tout instant que cette apparente curiosité est une caractéristique bien trop humaine pour pouvoir lui résister.
Un besoin irrésistible de savoir
Un obstacle barre le chemin des personnages ? Ils ne s’empresseront pas de s’en détourner. A contrario, il leur faut savoir ce que recèle la suite du voyage par ce chemin-ci et non ce détour.
On dit que la honte est un puissant sentiment. Il suffit de voir les agissements du méchant de l’histoire qui insiste tant dans sa voie par la réminiscence inflexible de la honte de sa défaite contre le héros.
Surtout, la honte est employée assez souvent par les auteurs pour que leurs personnages cachent certaines choses. Et cette honte n’est pas toujours justifiée.
Pour les personnages de fiction tout comme nous dans la vie de tous les jours, les secrets pointent vers quelque chose qui nous est arrivé et que nous ne pouvons oublier ni partager.
Mais pourquoi les secrets ? Parce que ce qui intéresse les autres, ce sont les choses qui vous sont arrivées. Et surtout, si elles furent terribles.
Les personnæ des personnages (l’image de nous que nous donnons en public souvent loin de la vérité de notre être) s’expliquent selon ce qu’ils croient de l’attente des autres envers eux.
Ils adoptent donc une attitude, un comportement, une posture qui leur permet de s’étendre jusqu’à certaines limites au-delà desquelles ils ne seraient plus acceptés ni aimés.
Les limites sont imposées par le secret. Le secret représente ce que nous craignons, si jamais il devait être exposé, qu’il détruirait notre position sociale au sein de la famille, des amis, de nos collègues, de la communauté.
Souvent, cette peur est hors de proportion parce que très subjective. Évidemment que cela sert les intérêts de l’auteur d’avoir à portée de plume l’existence d’une telle chose.
Le masque social : première définition des personnages
Ce masque social est aussi dit personnæ ou bien ego. Pour Joseph Campbell, cet ego est le monstre qui nous dévore de l’intérieur. La toute première élaboration de nos personnages de fiction serait de savoir pourquoi ils cachent leurs peurs, leurs faiblesses, leurs vulnérabilités, leurs secrets… en un mot, leur humanité.
C’est une vraie angoisse existentielle que la peur d’être ostracisé ou abandonné des autres si nous devions nous exposer dans la nudité de notre vérité.
L’isolement, c’est une sorte de mort sociale. Il faudrait être un Sadhou pour se libérer ainsi des autres ou de l’illusion du monde. Garder des secrets serait une sorte de pensée magique comme condition de notre vie dans le groupe.
Les arcs dramatiques que connaissent nos personnages sont assez habituels parmi les auteurs. Il s’agit d’écorcher ce voile qui dissimule aux yeux des autres ce que nous sommes vraiment .
Comme c’est par le regard d’autrui que l’on se définit (idem chez nos personnages), il faut un véritable courage et une vraie honnêteté avec soi-même pour se révéler et assumer les conséquences de cette révélation (qui commence d’ailleurs souvent par soi).
En fiction, pour que les personnages parviennent à cet état de vérité et de complétude, le secret est d’abord ce qui les hante. Ils ne peuvent s’exorciser de ce secret. Il leur faut une aide, un aiguillon qui les incitera à franchir le seuil.
Souvent, c’est le personnage principal qui est concerné par cette transformation quelque peu drastique de sa personnalité.
Le secret enfoui depuis trop longtemps ne fait surface que parce qu’il s’est manifesté quelque chose ou quelqu’un qui a autrefois participé de ce secret. Le passé pousse dans le présent si puissamment parfois que le dévoilement, ultime étape de la connaissance de soi, est inévitable aussi douloureux soit-il.
Le secret peut être voulu ou non
Sur un plan dramatique, les personnages peuvent sciemment taire leurs secrets ou bien ceux-ci sont refoulés, comme inaccessibles. Il n’y a pas de préférence particulière chez les auteurs. Un sentiment ou un comportement réprimés ne sont que la conséquence de la dissimulation d’un secret enfoui dans nos tréfonds par l’habitude.
Des années de mensonge peuvent rendre aveugle. Mais ce mensonge que l’on se fait davantage à soi-même qu’aux autres n’est pas la clef du drame. C’est la crainte d’être exposé qui fait de ce qui est caché une matière dramatique efficace.
Car que nos personnages aient conscience de mentir délibérément ou bien que des désirs ou certains traits de la personnalité soient réprimés, c’est bien cette peur de la vérité qui est fondamentalement dramatique.
C’est sur cette peur que les auteurs doivent travailler. Car ce qui est en jeu, c’est notre identité sociale, celle qui précisément dissout nos marques distinctives dans la foultitude des autres.
Pourquoi vouloir se fondre dans la masse ? Parce que nous sommes les artisans de ce rôle que nous jouons en société. Nous n’aimerions pas le voir détruit comme un château de cartes patiemment élaboré et effondré en un instant car ce serait assisté au croulement de sa propre vie.
Les auteurs peuvent faire remonter à la surface les secrets les mieux gardés ou bien agiter les plus légers en fouissant dans le passé de leurs personnages. De quoi ont-ils peurs? De quoi ont-ils hontes ? Pourquoi se sentent-ils coupables ?
Et comme ces incidents passés convoquent d’autres personnages, la relation qui existe alors entre eux au moment de ces incidents qui les ont tant marqués font que cette histoire passée est essentiellement dramatique (parce qu’une intersubjectivité est toujours un bon prétexte pour écrire des scènes).
Peut-on vraiment retirer le masque ?
Beaucoup pensent que non. Retirer un masque, c’est en découvrir un autre ou avoir recours à différents masques à disposition.
Le masque ne doit pas être perçu comme un défaut. Car il est d’abord un mécanisme de protection. On ment pour se protéger du monde ou protéger ceux que l’on aime du monde. Et puis le secret fascine le lecteur. Plus les personnages semblent cacher des choses, et plus ils sont fascinants.
Le souci, c’est que cette volonté ou ce besoin de se sentir en sécurité crée un déséquilibre. Attention aussi au sens du mot sécurité. Ce n’est pas seulement d’avoir un foyer protecteur.
Cette personæ que nous avons fabriquée nous permet d’assurer notre position par rapport aux autres. Avec notre personæ, nous créons une situation qui permet aux autres de nous situer.
Et c’est ce qui semble fasciner le lecteur lorsqu’il observe des personnages se débattre ainsi avec un cœur aussi vide qui ne s’emplit que de personnalités d’emprunt ou de passions imitées. Surtout parce que ce mode de pensée est totalement imprévisible. Ce qui le rend d’autant plus effrayant.
Des personnages qui ont pleines consciences qu’ils renvoient d’eux quelque chose qui n’est pas eux les rend si conscients de soi qu’ils en sont immédiatement connaissables par le lecteur. Et le suspense perd en intérêt.
L’illusion devient alors la source du mal. Les méchants de l’histoire ne sont pas consciemment méchants. Selon leurs points de vue, ce qu’ils font est tout à fait justifié. Ils vivent dans une illusion car la réalité avec laquelle ils traitent est façonnée de toutes pièces et n’est point la vérité. Les images renvoyées par les personnages sont aussi creuses que leurs mondes intérieurs.
Et c’est peut-être bien cela qui fait que les personnages sont vulnérables. Parce que le vide de leur âme est lui-même une apparence.
Soit par leurs existences mêmes (leurs actes n’annihilent pas totalement leurs êtres véritables), soit parce qu’ils possèdent cette essence qu’ils ne peuvent tuer. Et tout cela porte une idée de qui ils sont vraiment.
DIALOGUES & PERSONNAGES : UNE UNITÉ