Le personnage est l’ingrédient primordial de la plupart des grandes histoires. Un personnage bien conçu est comme un aimant attirant à lui le lecteur qui le suivra n’importe où ou encore plus impressionnant, nulle part.
Chaque personnage a une fonction bien précise dans l’histoire et il n’y a pas deux personnages dont les traits les rendraient confus. Chaque personnage d’une fiction est unique en son genre.
Habituellement, le monde de l’histoire dans lequel évolueront les personnages est d’abord exposé. Lorsque ce monde et les règles qui le régissent sont bien établis dans l’esprit du lecteur, alors le personnage principal peut être introduit.
Le monde de l’histoire est l’état des choses et la manière dont ces choses fonctionnent dans ce qu’on peut appeler le monde ordinaire de l’histoire.
Ce monde ordinaire fournit une norme. C’est en regard de cette norme qu’un personnage peut revendiquer sa singularité. Par exemple, le personnage est un idéaliste qui vit dans un monde essentiellement pragmatique. Ou bien comme Cléopâtre qui revendique sa féminité dans un monde où les hommes dominent. Ce qui compte, c’est que le personnage se distingue de son environnement quotidien (qu’il n’a pas forcément choisi).
Si le personnage est un saint parmi les saints, en quelque sorte il fait partie du décor et on ne peut pas en faire un personnage à part entière. En somme, on peut s’en passer ou le considérer comme un simple accessoire.
Pour se faciliter la tâche, un auteur peut utiliser une méthode pour élaborer ce que seront ses personnages.
Cette recette se réfère à trois techniques. Deux de celles-ci sont essentielles. La troisième est davantage optionnelle mais est néanmoins un outil puissant.
L’indispensable conflit
C’est la première des techniques. Elle consiste à créer un personnage qui soit en conflit avec quelque chose d’autre. Et concernant le personnage principal, étant donné qu’une fiction est quelque chose de plus grand que la vie, son conflit doit être avec le monde entier (celui de l’histoire, bien sûr).
Pourquoi le conflit est-il si important ? Il faut remonter aux origines de la vie. La vie est si fragile que l’esprit humain a appris à se concentrer non sur ce qui paraît statique (apparemment sans danger) mais plutôt sur ce qui est changeant, mobile, porteur d’une éventuelle menace.
Observer un conflit (et malgré la distance qui sépare le lecteur/spectateur du conflit fictif) sollicite dans notre esprit la même attention, la même mise en garde.
La portée de ce conflit indique l’importance du personnage en regard de l’histoire. Classiquement, un prologue mettra en scène des personnages secondaires qui seront en charge d’expliquer au lecteur les règles du monde dans lequel il est invité.
Ensuite, la séquence d’ouverture introduira le personnage principal en conflit avec l’une de ces règles. Par exemple dans Hamlet, le prologue est constitué des sentinelles et de Horatio. Ce prologue met en place le monde et la scène d’ouverture fait ensuite intervenir Hamlet et nous sommes avertis de son amertume envers le remariage de sa mère qu’il juge incestueux. Ainsi, nous comprenons que ce qui est accepté dans le monde ne l’est pas par Hamlet. Hamlet fait preuve d’une indépendance d’esprit qui l’oppose à l’opinion publique.
Pour trouver le conflit qui déterminera votre personnage principal, il faut donc partir des règles qui régiront votre monde fictif. Celles-ci bien comprises, vous pourrez alors créer un personnage qui viendra s’opposer de manière tout à fait plausible à l’une ou plusieurs de ces règles.
Dans Beaucoup de bruit pour rien de William Shakespeare, la jeune Béatrice se distingue par son avis très personnel de la chevalerie qu’elle considère comme une posture vide de sens.
Cela n’est possible que parce que la chevalerie et son décorum ont été établis comme constitutifs du monde de cette histoire. Et Béatrice s’oppose ouvertement à cette règle.
Évidemment, vous pourriez avoir en tête un personnage avec quelques traits de personnalité mais sans avoir encore bien réfléchi au monde dans lequel il sera jeté. Dans ce cas, il faudra seulement penser à ajouter une règle contre laquelle un des traits de la personnalité de votre personnage entrera en conflit. La situation conflictuelle dessinera les contours de votre personnage.
Une certitude est que le personnage principal offre une résistance à son monde consciemment ou inconsciemment. Ce refus de coopération envers un standard qu’on lui impose pousse le personnage principal soit à changer (son point de vue sur le monde fait de lui un être meilleur), soit à se soumettre, ce qui suppose que c’est le monde qui absorbe le personnage, qui l’assimile en quelque sorte en néantisant sa dissidence.
Le conflit entre le personnage principal et le monde de l’histoire engendre l’intrigue. Mais qu’en est-il des autres personnages ? L’antagoniste aussi est en conflit. Protagoniste et antagoniste sont deux fonctions essentielles de toutes les fictions. Le conflit de l’antagoniste (ou de toute entité antagoniste) est de s’opposer au protagoniste. Ce qui revient à dire que l’antagoniste incarne précisément la règle que refuse le protagoniste.
Il existe aussi d’autres personnages dans une histoire. Ceux qui gravitent autour du personnage principal partagent avec lui le déni ou le refus de la règle mais seulement à un degré moindre pour ne pas interférer trop bruyamment avec l’objectif du personnage principal. Ils permettent aussi par contraste d’expliciter la motivation du personnage principal à aller jusqu’au bout de son intention.
Moonlight de Barry Jenkins,
d’après la pièce de théâtre In Moonlight Black Boys Look Blue de Tarell Alvin McCraney
La règle tragique qui gouverne Moonlight est l’absence totale d’empathie envers la condition de Chiron, plus globalement, c’est l’indifférence à autrui qui se manifeste dans l’intérêt personnel et le gain immédiat.
Pour établir Chiron comme personnage principal, Chiron est en lutte contre cette indifférence en ne cessant de prêter attention à autrui et ne se préoccupant pas de son propre bien-être.
La force antagoniste se manifeste dans le tourment que subit au quotidien Chiron lorsqu’il est martyrisé par les enfants de son âge ou plus tard lorsqu’il devient la victime désignée d’un groupe d’adolescents. Le conflit est donc bien présent entre la cruauté d’un monde et la douceur, trait caractéristique de Chiron.
Ensuite est introduit Juan qui offre régulièrement l’hospitalité à Chiron et lui permet de se mettre un peu à l’abri du harcèlement incessant. Juan et Chiron luttent tous deux contre la dureté du monde, contre le même antagonisme. Mais Juan n’est pas le personnage principal. Certes, il gravite autour de Chiron, possède de l’empathie pour sa situation mais il ne peut s’engager autant que Chiron dans le combat qu’il mène.
La peur : faiblesse incontestée du personnage
La seconde technique pour créer un personnage est de comprendre la peur profonde qui explique la situation conflictuelle du personnage. Cette peur ou cette angoisse ou quoi que ce soit qui terrifie le personnage est certainement le niveau psychologique le plus profond. C’est une véritable force ou énergie qui propulse le personnage et qui le force à agir comme il le fait.
Un personnage de fiction est un être qui se définit selon ses peurs. D’abord, la peur est un moteur puissant du comportement humain. Bien sûr, il est important que nous comblions nos espoirs et nos désirs mais avant tout, notre besoin primaire est de survivre.
Nos peurs agissent sur nous comme des garde-fous contre la mort et la destruction. Elles sont la raison de nos actes les plus extraordinaires (on dit souvent qu’un héros est quelqu’un d’ordinaire dans une situation extraordinaire), de nos actes les plus significatifs de ce que nous sommes et qui présentent ce caractère d’urgence qui révèle aux yeux des autres les secrets les mieux enfouis de notre âme.
Nos peurs font éclater notre persona (en latin, persona signifie masque, rôle. C’est un concept que l’on peut considérer comme un masque social c’est-à-dire l’image de nous que nous donnons aux autres et qui est rarement notre véritable nature ou identité).
Lorsque la peur nous prend aux tripes, lorsque la peur de perdre quelque chose ou quelqu’un sans lequel nous ne concevons pas de vivre, la persona ou ce mensonge que nous nous faisons à nous même ne pèsent plus rien dans l’équation.
Cela peut expliquer aussi pourquoi nous baissons les yeux ou fuyons devant l’adversité ou qu’au contraire, nous devenons capables des exploits les plus extraordinaires.
Un lien magique avec le lecteur
Un avantage littéraire crucial est que la description des peurs du personnage permet d’instaurer un rapport entre ce personnage et le lecteur. Et concernant son personnage principal, l’auteur doit parvenir à créer ce lien impérativement (ne nous offusquons pas sur la contrainte de l’impératif puisque notre esprit aspire naturellement à cette relation).
Sans entrer trop profondément dans les détails où je risquerais de me perdre, posons comme principe qu’un des avantages des sociétés humaines est que pour réussir, il nous faut travailler ensemble (même si parfois cette volonté semble bien contrariée).
L’idée est de créer une symbiose entre les différentes aptitudes et de partager des expériences singulières (amener à la connaissance d’autrui une expérience qu’il n’a pas vécue) afin de créer une relation qui permette le progrès.
La solidarité, par exemple, pourrait être un résultat de cette dynamique. L’altérité s’efface devant la nécessité de l’autre sans pour autant créer de dépendance.
Et s’il y a effectivement une communion, il y a aussi le risque que l’autre tire avantage des conditions de cette relation puisque celle-ci implique que nous nous offrions à l’autre sans défense. Il nous faut être vrai pour que la magie opère. Et le péril est grand d’être exploité, trahi ou d’avoir le cœur brisé par l’autre.
Dans une relation, le facteur le plus important est la confiance en l’autre. Et la question que cela soulève immédiatement est de savoir en qui l’on peut avoir confiance. Et l’angoisse s’installe (l’angoisse contrairement à la peur ne porte sur aucun objet précis. C’est un malaise ou un vertige qui s’empare de nous sans que nous puissions le nommer).
Ce questionnement nous met en situation de vulnérabilité émotionnelle. Et quelqu’un peut alors profiter de cet état. Parce que comme tous les besoins, le besoin de faire confiance répond à un manque. Connaissant ce manque, il est alors possible de prévoir et même de contrôler le comportement d’autrui.
Avant de me perdre totalement dans cette nébuleuse, je proposerai que notre tendance à aller vers l’autre, à vouloir lui faire confiance fonctionne même si l’autre est un menteur, un tricheur ou un voleur. C’est ainsi que nous pouvons reconnaître en des personnages comme Tony Soprano ou Tyrion Lannister (Game of Thrones) ou Benjamin Linus (Lost) des qualités qui nous poussent à nous rapprocher d’eux plutôt que de les fuir (ce qui serait une attitude plus sereine dans la vraie vie).
Mettre en place peur et conflit
Après avoir compris la nature du conflit, ce à quoi se confronte son personnage, soit au quotidien, soit après l’incident déclencheur, il est alors nécessaire de poser sa crainte la plus profonde, ce qui trouble le personnage.
Par exemple, dans Richard III de Shakespeare, le personnage principal craint que son apparence physique soit à l’origine d’échecs amoureux ce qui amène Richard III à haïr ces moments imprégnés d’amour.
Dans Pseudolus (ou Le Trompeur) de Plaute, l’intrigue est somme toute assez classique : elle décrit la lutte de l’esclave contre son maître. Mais si nous cherchons à comprendre ce qui peut motiver un esclave à désobéir à son maître (à transgresser ainsi la loi), c’est la crainte de perdre l’estime de soi, l’ultime expression de la liberté de l’esclave.
Dans Beaucoup de bruit pour rien de Shakespeare, qu’est-ce qui peut pousser ainsi Béatrice à se moquer de ses prétendants si ce n’est sa frayeur de la souffrance de se retrouver de nouveau le cœur brisé par de vaines promesses.
Ne tardez pas à présenter cette peur de votre personnage principal à votre lecteur. Après avoir introduit ce dernier, glissez quelque chose dans le scénario qui va révéler ce trait de la personnalité de votre personnage, ne serait-ce qu’un simple geste ou une réplique qui va s’immiscer dans l’esprit du lecteur et de manière cognitive (c’est-à-dire naturellement) lui faire comprendre ce qui effraie le plus ce personnage.
Même si c’est un moment éphémère, presque insignifiant, tentez de lui donner un maximum d’intensité. L’esprit du lecteur s’en emparera de toutes manières mais il est bon de lui faciliter la tâche en dramatisant davantage ce moment. Ce qui compte, c’est de montrer comment la vulnérabilité émotionnelle d’un personnage l’entraîne inéluctablement dans une situation conflictuelle.
Empathie et Sympathie
Conflit et peur permettent à un lecteur de ressentir quelque chose envers un personnage, de se préoccuper de ce qu’il lui arrive. C’est ce qu’on nomme souvent l’empathie. Et celle-ci est particulièrement importante vis-à-vis du personnage principal. S’il y a un personnage qui doit retenir l’attention du lecteur, c’est bien le personnage principal.
Seul le mot empathie sera employé la plupart du temps. Mais on peut vouloir aussi étudier davantage cette relation singulière du lecteur et du personnage en distinguant un autre concept qui va au-delà de l’empathie et qui permet véritablement de s’identifier au personnage. Et cette notion se nomme sympathie.
Il n’y a aucune urgence en tant qu’auteur a vouloir distinguer l’empathie et la sympathie. Vous pourriez même ne vouloir rechercher que l’empathie et aboutir à un même résultat.
Nous pouvons néanmoins faire une distinction entre l’empathie qui consiste à ressentir quelque chose pour un personnage et la sympathie qui ferait que nous ressentons quelque chose de semblable avec le personnage, que nous éprouvions en notre âme et chair ce qu’il ressent.
La sympathie est véritablement une identification avec le personnage. Avec l’empathie, on peut se sentir chagriner ou en colère ou encore avoir un sentiment de pitié envers la situation du personnage.
Avec la sympathie, on éprouve littéralement la peur qui caractérise ce personnage (ce qui peut laisser supposer que l’on a déjà connu une telle peur, qu’on en a fait l’expérience même si nous n’avons fait qu’effleurer cette expérience vécue). D’ailleurs, nous pouvons aussi étendre la sympathie aux rêves, aux désirs et non seulement aux peurs du personnage.
Un conflit personnel
Il faut bien avouer qu’il n’existe pas 50 manières de créer de la sympathie envers un personnage. Une technique serait de mettre en avant non seulement le conflit extérieur qui permet l’empathie mais aussi un conflit intérieur et c’est précisément de ce conflit interne que naîtrait la sympathie.
Ce conflit intérieur est l’expression d’un conflit entre deux peurs. Le personnage ne se débat plus contre une émotion ou une angoisse, une anxiété ou une appréhension quelconque mais contre deux.
Le conflit personnel relève de l’intime. Souvent, c’est par le langage qu’un personnage exprimera cette rivalité qui le torture entre deux peurs qui le hantent. Le personnage est véritablement pris entre deux choses qu’il craint autant l’une que l’autre.
C’est ainsi que nous comprenons (par le dialogue) dans Birdman d’Alejandro González Iñárritu, lorsque Riggan se querelle avec son alter ego de super-héros, que Riggan craint deux choses plus que tout au monde : ne pas être reconnu et respecté en tant qu’artiste d’un côté, et la peur de n’être rien, d’être un insignifiant perdu dans la masse de l’autre.
Ce dialogue symptomatique du malaise du personnage peut être amené de différentes façons. Dans Les Sopranos, par exemple, Tony suit une thérapie avec un psy.
Passer par un narrateur (la technique du voiceover) est aussi très utile pour faire passer le message comme dans Sex and the city et Scrubs où la voix intérieure permet au lecteur/spectateur d’entendre les pensées intimes du personnage. Nous sommes toujours dans une situation de dialogues mais celui-ci n’est pas entre deux personnages mais entre un personnage et le lecteur/spectateur.
Montrer les choses est tout aussi efficace (surtout dans un scénario). Montrer qu’un personnage fait quelque chose et son contraire peut alors être révélateur d’un conflit intérieur.
Par exemple, un personnage veut rendre visite à quelqu’un mais une fois devant la porte, il hésite à frapper. Ou bien il achète un bouquet de fleurs et au dernier moment le jette dans une corbeille.
Le lecteur/spectateur qui observe ce comportement étrange imaginera sans effort (l’esprit est ainsi fait) le conflit personnel non dit qui bouillonne dans l’esprit du personnage. C’est ainsi que le processus d’identification avec le personnage se met en branle. Plus les conflits intérieurs des personnages seront exposés et plus ils seront fascinants à observer.
Par contre, n’abusez pas de cette recherche de sympathie. La plupart du temps, l’empathie suffit à créer ce lien personnel entre le personnage principal et le lecteur. C’est la raison pour laquelle on se contente bien souvent de l’empathie. Il ne s’agit pas véritablement d’un partage mais l’émotion générée ne serait-ce que parce que le lecteur a éprouvé quelque chose de similaire (même si cela ne lui rappelle que vaguement une expérience vécue) suffit amplement à créer un lien.
La sympathie n’est pas meilleure que l’empathie, elle est simplement un autre outil qui permet un rapprochement entre un être de fiction et un véritable être humain.
La question des dialogues
Créer puis introduire son personnage au sein d’une histoire, c’est seulement le début. Maintenant, il va avoir des choses à faire et à dire. Pour savoir ce qu’il va faire et dire, le mieux est encore d’entrer dans son esprit. Facile à dire, plus délicat à faire.
Le plus simple est d’expérimenter (au moins en imagination) ses conflits personnels et les peurs qui en sont à l’origine. Par la compréhension des peurs du personnage, de ce qu’il cherche à éviter, de ce qu’il craint d’échouer ou de ne pas être à la hauteur des attentes des autres ou même de ses propres idéaux, en somme, tout ce qui peut le terrifier (la terreur se présente selon un grand nombre de nuances), vous devriez pouvoir imaginer ses répliques.
Poser un dialogue entre les lèvres d’un personnage, cela implique de tenir compte de deux composantes essentielles de ce dialogue. D’abord, l’intention sous-jacente de ce dialogue. Le personnage a quelque chose à dire. Il ne parle pas généralement pour ne rien dire. Il vise quelque chose et le dialogue reflète cette intention.
Ensuite, ce seront les mots qu’il emploiera pour concrétiser cette intention.
L’idée est donc d’aller chercher dans les peurs du personnage. L’intention, en fin de compte, est une action comme les autres. C’est une tentative pour éviter un mauvais résultat mais non pas en l’éliminant mais en le remplaçant par un autre jugé meilleur.
Dans une scène, lorsqu’un personnage cherche à obtenir quelque chose d’un autre, s’il échoue, il connaîtra un manque et c’est ce manque qui expose ce personnage à sa plus grande vulnérabilité.
L’intention n’est donc pas de supprimer une menace potentielle mais d’amener l’interlocuteur à concourir à votre point de vue en permettant à l’intention de se concrétiser. Partant, si l’auteur parvient à comprendre ce que cherche à éviter son personnage, il lui sera alors plus facile d’inventer l’intention qui justifie le dialogue.
Le choix des mots est important aussi parce qu’ils participent à l’accomplissement de l’objectif immédiat (celui qui justifie le dialogue et donc la scène).
Un personnage utilisera ou n’utilisera pas tel ou tel mot lorsqu’il fait sa propre autocritique, lorsqu’il est dans une situation conflictuelle ou lorsqu’il fait l’aveu d’un sentiment.
Dans une situation de stress, le vocabulaire employé, le rythme du flot de paroles peut révéler l’anxiété et servir de soupape pour soulager l’angoisse. Un personnage qui craint d’être considéré comme un esprit grossier et inculte se servira d’un vocabulaire ampoulé qu’il maîtrise à peine pour donner le change (et souvent cela ne fonctionnera pas). Un autre en recherche d’identité ou d’appartenance pourrait emprunter les mots d’une communauté à laquelle il est totalement étranger comme celui qui adhère à un parti politique sans en comprendre la doctrine. Celui qui craint d’être inauthentique pourrait prendre l’accent d’une région (un effet comique et ridicule si effectivement le ton sonne faux ou bien participant d’une machination si l’illusion est parfaite).
Dans le même ordre d’idée, le personnage qui fera entendre un langage argotique un peu trop prononcé cherchera soit à intégrer un milieu, soit à montrer de lui un aspect qui ne lui est pas naturel.
Le cas Edmund Exley de L.A. Confidential
Ed Exley est le fils de Preston Exley qui a été un grand policier pour ne pas dire une légende avant de se reconvertir dans l’immobilier. La plus grande peur de Ed est de ne pas être à la hauteur de son père. Alors dans une tentative d’éclipser l’ombre de celui-ci et de se faire son propre nom, Ed a adopté un comportement et un langage que reflètent son insistance à suivre les règles et une certaine froideur. Il y a une distance entre Ed et les autres policiers que son langage et son comportement renforcent.
Mais au fur et à mesure de l’avancée de l’intrigue, plus Ed est mis sous pression et plus son langage change. Au moment du climax, lorsque Ed croit qu’il va être tué, son instinct de survie ou simplement la peur de la mort lui permettent de dépasser ses anxiétés (son ambition, l’image de son père). Son arc dramatique est accompli et son langage et ses comportements sont en accord avec le nouvel Ed.
Gardez à l’esprit qu’une interprétation est très subjective. Elle est néanmoins nécessaire pour réfléchir à son propre projet. Et en particulier, comment amener l’un de ses personnages à exprimer ses émotions sans ligne de défense. Et c’est dans les moments où un personnage se dévoile sans tabou que le lecteur peut y lire de la signification ou simplement apprécier ce moment de vérité.
Repérez dans l’inconscient et le conscient d’un personnage ses profondes anxiétés, ses doutes et ses incertitudes puis définissez son vocabulaire en réfléchissant au passé de ce personnage.
Dans les dialogues qu’il tiendra, définissez l’intention de ce qui le préoccupe ici et maintenant. Donner une faiblesse à un personnage, c’est lui donner de l’authenticité.
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