dDepuis quelques articles, je parle d’une structure émotionnelle qui se manifeste le plus clairement possible dans l’acte Deux.
Une structure en somme est un ensemble de points ordonnés d’une certaine manière. Voyons comment nous pourrions traduire ceci pour l’adapter à la création d’une histoire sous l’angle du parcours émotionnel du héros.
Décomposons la structure émotionnelle :
Au cours du premier acte :
. QUI EST LE HEROS ?
. QUE SAIT-IL ?
Au moment du passage dans l’acte Deux
. CE QU’IL SAIT NE FONCTIONNE PLUS
Dans la première partie de l’acte Deux
Même si l’on considère que le second acte doit posséder un début, un milieu et une fin, il est bon aussi de le voir en deux parties.
. QUE DOIT-IL SAVOIR ?
Au point médian de l’histoire
Le point médian de l’histoire possède une étendue. Ce n’est pas exactement le nombre de pages de votre script divisé par deux.
. CE QU’IL NE SAIT PAS A FAILLI LE DETRUIRE
Dans la seconde partie de l’acte Deux
. EST-CE QU’IL PEUT CHANGER ?
A la fin de l’acte Deux
. EST-CE QU’IL CHANGE ?
C’est le dilemme !
L’acte Trois
. LE CHANGEMENT
C’est un plan assez basique mais c’est le chemin que doit emprunter le protagoniste.
Au cours du premier acte
C’est l’introduction de vos personnages, c’est-à-dire de leurs vies. Nous les montrons dans leur environnement et osons un peu quelques indices sur leur passé (donc les événements antérieurs à l’histoire).
Pour Peter Dunne, ces personnages semblent satisfaits de leurs vies actuelles. Ils sont apparemment confiants en ce qu’ils sont, en ce qu’ils font.
Les questions à se poser pour ce premier acte sont :
- Dans quel type de monde vivent-ils ?
- Quel est leur état psychologique ? Comment voient-ils cet univers dans lequel ils ont été jetés ?
- Est-ce que leur famille jouera un rôle ?
- Par quoi et où sont-ils passés et où pensent-ils se diriger ?
Ces questions sont destinées à façonner le monde dans lequel ils vivent et concernant le héros, cela est d’autant plus important qu’à la fin de l’acte Un, il va être arraché à ce monde, à ce quotidien dont il a l’habitude pour se retrouver dans un univers qui lui est totalement inconnu.
Et ce nouveau monde est primordial pour l’histoire (plus que pour l’intrigue en tout cas) car le héros va devoir aller à la rencontre de lui-même, chose qu’il ne pouvait faire dans son monde ordinaire.
L’acte Deux
C’est au cours de cet acte que l’on observe le héros lutter. Mais cette lutte ne lui est pas facile car il n’a pas l’expérience des épreuves qu’il va devoir affronter.
C’est tout nouveau pour lui. Dans un thriller, par exemple, les 20 ans de service du vieux flic ne lui serviront à rien dans l’investigation qu’il va devoir entreprendre.
Et au terme de cette enquête, il aura découvert quelque chose sur lui qui lui avait toujours échappé.
Pendant le cours de ce voyage, cherchez des moyens qui vont l’exposer bien plus qu’il ne le voudrait. Le principe est de peler le personnage de ses mensonges, le forcer à ne plus fuir ses responsabilités.
Et toutes ces découvertes et révélations se manifesteront dans les comportements et attitudes du personnage.
Auprès du protagoniste
Le héros de l’histoire ne parvient cependant pas à aller à la découverte de lui-même par son seul moyen. Il existe un autre personnage quasi indispensable.
La théorie narrative Dramatica le nomme Influence Character. C’est un personnage dont la fonction est de permettre au personnage principal de prendre conscience de certaines vérités. Cet Influence Character va en effet impacter le héros de telle façon que les choix de ce dernier en seront influencés.
Ce sont les choix et les décisions du héros qui démontreront sa capacité à changer, à tenter de devenir meilleur.
C’est pour cette raison que ces deux personnages devront être le plus possible dans la majeure partie des scènes.
Et si leur présence ne peut suffire à élever l’intensité émotionnelle de la situation, rendez-là compliquée. Ajoutez des difficultés.
Mettre en évidence la fausseté
Le préalable à la possibilité de changer nécessite de mettre à nu le personnage principal et peut-être aussi l’Influence Character.
Car cette confiance avec laquelle ils nous sont présentés n’est qu’une apparence. C’est un mécanisme de défense qui se fonde sur la peur.
C’est une sorte de mauvaise foi comme l’appelait Sartre ou bien pourrions-nous dire une persona, une image fausse de nous que l’on offre aux autres.
Elle a pour but de faire taire nos sentiments plutôt que nous livrer, de les laisser s’exprimer.
Maintenant, élaborer une scène consistera à mettre en avant les fissures de l’armure émotionnelle.
Et l’intrigue se nourrira de ces scènes.
Car les séquences ne seront plus aléatoires mais seront alignées sur la structure émotionnelle. Elles feront sens dans l’histoire parce que nous saurons ce dont l’histoire a besoin pour exister.
Au point médian de l’histoire
Le point médian est ce moment de l’histoire où celle-ci change d’orientation ou plutôt d’aspect.
A ce point médian, l’aventure singulière qui était décrite jusqu’à présent devient une quête universelle, selon Peter Dunne.
Et pourquoi cette quête devient universelle ? ou plutôt qu’est-ce qui cause cette orientation dans l’histoire ?
Parce que l’antagoniste change. Le véritable ennemi est le héros lui-même. Comme l’écrit Peter Dunne, l’ennemi est à l’intérieur.
Avant le point médian, le focus était mis sur le méchant de l’histoire. Après le point médian, le héros doit vaincre ses propres peurs. Le véritable antagonisme est le héros lui-même.
Ce qu’il combat maintenant, c’est ce qui a fait de lui ce qu’il est au début de l’histoire. Un personnage de fiction possède une existence. Par la définition même du fait d’exister, nous sommes un projet, un devenir et le personnage fictionnel est aussi un devenir.
Cependant, cette réalisation de soi a en quelque sorte été bloquée par un trauma et le personnage n’avance plus dans sa vie. Par exemple, avoir eu le cœur brisé au cours de son adolescence a rendu méfiant le héros sur toutes les questions d’amour.
Il se détache émotionnellement de toutes relations amoureuses, il se méfie des femmes.
Or tout ce à quoi il aspire est l’amour. Par l’amour et pour l’amour, aimer et être aimé est la solution à tous ses problèmes. Prenant conscience de cette faille après le point médian de l’histoire, il va alors s’engager dans un combat contre lui-même pour intégrer cette blessure au cours de son adolescence qui a orienté toute sa vie jusqu’au point médian du récit.
Mais le combat sera inégal parce que le héros ne possède pas les armes appropriées. Il n’a jamais tenté de se soigner. Il n’avait peut-être même pas conscience de ce à quoi il aspire.
Et il n’a pas de solution à son problème parce qu’il ne peut se référer à aucune de ses expériences passées pour le résoudre.
Tout ce qu’il a à portée immédiate est une souffrance qu’il ne veut surtout pas revivre.
Dans la seconde partie de l’acte Deux
C’est dans cette espace que le protagoniste va se donner à lui-même la possibilité de changer. Il n’a pas encore résolu son problème. Seulement cette fois-ci, il s’ouvre vers de nouveaux horizons. Il envisage la possibilité d’une rédemption.
On en revient à ce second personnage que Peter Dunne considère comme un second protagoniste mais c’est donné au terme une extension qui ne lui convient pas. Nous préférons adopter la désignation de la théorie narrative Dramatica qui le nomme Influence Character parce qu’il va véritablement influencer le personnage principal.
Le héros et ce second personnage vont chercher l’un chez l’autre des réponses.
Dans cette seconde partie de l’acte Deux, le héros va s’ouvrir au monde. Il deviendra certes vulnérable mais surtout il va gagner en humilité. Et pour Peter Dunne, c’est la condition préalable pour apprendre, c’est-à-dire que des révélations sur lui-même feront enfin jour.
Et c’est là qu’intervient un acte de foi parce que le héros va devoir faire confiance. Il va devoir agir et prendre des décisions avec une incertitude totale quant au résultat de ses choix. Ce qui ajoute autant à la tension dramatique qu’à l’angoisse existentielle du personnage.
Mais ce n’est pas le même aveuglement qu’auparavant. Avant cette cécité était un masque, un jeu d’apparences. Maintenant, c’est une recherche d’authenticité. Et comme toute recherche, c’est une marche vers l’inconnu. D’où la nécessité de la foi en ses convictions parce que celles-ci ne sont étayées par aucune expérience.
Le héros est testé
D’abord, cette nouvelle capacité à être autre, supportée seulement par la volonté, sera mal utilisée et le héros se retrouvera dans de nouveaux problèmes.
Cette mauvaise utilisation vient du fait qu’il applique d’abord ce que ses expériences passées lui ont appris.
Par exemple, notre cœur brisé décide de porter un regard différent sur cette personne qu’il a envie d’aimer. Il ne sait pas encore s’il pourra être aimé d’elle. Il lui faut d’abord convaincre cette personne et la laisser prendre elle-même la décision.
Donc il commence une approche mais celle-ci sera très maladroite parce qu’il mettra trop de retenue de peur d’être rejeté. Sa vieille blessure remonte à la surface. Et il ne veut plus souffrir.
Alors cette première tentative sera un échec. La scène peut cependant se conclure sur une question ouverte : la relation n’est pas encore tuée dans l’œuf. Quelques scènes plus tard, une nouvelle tentative prendra lieue dans une scène où fort de l’échec précédent, le héros mettra un peu moins de retenue, déclarera une flamme un peu plus vive laissant de côté le souvenir douloureux et s’autorisant enfin un espoir.
Notez que l’échec de la première tentative est essentiellement dû parce que le héros capitulait encore devant ses peurs. Elles avaient encore emprise sur lui.
Lorsque nous découvrons le héros au début de l’histoire, il est en contradiction avec lui-même. Son existence ou sa véritable nature ne correspondent pas à ce qu’il offre aux regards des autres.
Pour aller à la rencontre de lui-même, de sa véritable nature, il doit se livrer complètement.
Mais il ne peut le faire seul. D’où la présence de cet Influence Character. La ligne dramatique de leur relation est un lent cheminement vers une confiance mutuelle.
Et c’est précisément cette confiance qui permettra au héros (et peut-être à son interlocuteur) de surmonter ses peurs.